1 minute 30 de leur vie

Maudit stress qui, le temps d’une chanson, a fait perdre leurs moyens aux deux tiers des 150 candidats de The Voice ! Reportage en coulisses, à l’occasion des premiers enregistrements de l’émission, bientôt sur antenne…

A Liège, dans les studios neufs de Média Rives, dans le dédale des couloirs qui mènent du foyer aux loges et des loges au plateau, c’est peut-être bien la dernière des premières journées d’enregistrement public de The Voice Belgique, le futur télé-décrochage dont il est temps de retenir le nom, sous peine de passer pour le/la plus givré(e) du paysage médiatique hivernal (1), mais l’ambiance, survoltée, continue à frôler la surchauffe. La semaine marathon, qui a vu défiler sur scène près de 150 chanteurs, semble avoir fait perdre à chacun son français. Aurélie Berckmans, coordinnatrice RTBF du projet, s’emballe :  » Alors, donc, si un coach buzze un talent en blind date, c’est qu’il le veut dans son équipe. Et s’ils sont plusieurs à buzzer en même temps…  » Hein, quoi ? Stop : traduction !… The Voice, concept télévisuel acheté à Endemol, envahissante société néerlandaise productrice d’émissions dites de flux (jeux, divertissements, télé-réalités…), est un sympathique format musical, sans doute promis à cartonner, mais assez complexe dans son déroulé : au terme d’un appel lancé sur le Web aux candidats-chanteurs d’un pays (il y en eut plus de 2 200, en Wallonie-Bruxelles, âgés de 16 ans à… très vieux), un long processus de sélection vise à les éliminer progressivement, pour qu’il n’en reste finalement plus qu’un seul – comme à Koh-Lanta : ainsi sera désignée, chez nous,  » la plus fantastique Voix de Belgique francophone « . Cette impitoyable mission est d’ores et déjà remplie par quatre jurés eux-mêmes musiciens, qui ont eu à retenir, d’un pool de quelque 150 candidats (après une première sélection), 14 talents chacun. Le but : les faire travailler dur, dans les mois à venir, afin d’espérer sortir de leur propre écurie  » the most beautiful voice of Belgium « … On en est donc là : 150 chanteurs convoqués à Liège, 56 places à pourvoir, et 4 coachs qui font leur petit marché dans le tas des talents. Et uniquement après les avoir entendus, mais pas vus, afin que le physique de ces derniers n’influence en rien leurs terribles choix. Et si telle voix s’élevant dans leur dos leur plaît, les coachs n’ont plus qu’à buzzer – autrement dit, enfoncer le gros bouton sonore placé entre leurs pattes…

Ça s’agite de partout

Assez d’explications, retour à ce vendredi de novembre, dernier jour de sélection des chanteurs à l’aveugle. Dans le studio où les candidats vont défiler un à un (on les sent nerveux, hou la la, tellement excités, en coulisse, qu’un professeur de sophrologie s’évertue à calmer les plus agités), un chauffeur de salle entraîne une centaine de spectateurs à applaudir au moment opportun. Sur le beat d’une rétro house party, l’orchestre s’installe, tandis que des techniciens déchaînés règlent leurs machines en frappant l’air d’un bâton imaginaire. Nicolas Dorian, l’un des artistes de Witloof Bay et répétiteur des candidats, rôde en rodant sa voix, devant le moulage de l’emblème de l’émission, une main d’argent géante tenant un micro. Alec Mansion, qui a écrit les arrangements de chacun des 150 petits extraits proposés, va et vient, lui aussi, comme un lion en cage. Ailleurs, ça s’active en tous sens, dans une ambiance rouge et noire, très Dracula, très Coca-Cola. Quand les quatre membres du jury, Lio, Beverley Jo Scott, Quentin Mosimann et le duo de Joshua (Senso et Greg Avau) gagnent leurs drôles de fauteuil de dentiste pivotants, l’hystérie est à son comble. Gare au stress : la veille et l’avant-veille, et les deux jours précédents également, des talents  » exceptionnels « , dit-on, ont pitoyablement loupé leur instant de gloire par incapacité totale à gérer un trop-plein d’émotion.  » Tous ces gens sont déjà des chanteurs confirmés, assure Aurélie Berckmans. S’ils flanchent, c’est uniquement de peur.  »

Qu’en pense V, première candidate de l’après-midi, à l’issue de sa chanson ratée ? Personne ne l’ayant buzzée, la voilà bel et bien busée. Petite mine penaude, quand Lio, sans cruauté, lui assure avoir entendu la  » note bleue, pas vraiment dans le rythme « . B.J. Scott, 52 ans, grande artiste rock & country installée à Bruxelles (elle est née à Bay Minette, Alabama) la console du mieux qu’elle peut :  » Ce n’est pas la fin. Ce n’est que 1 minute 30 de ta vie. It’s a game, honey, no more.  » V s’en retourne, suivie par le grand bras articulé de la caméra panoramique, aérien et souple comme un cou de brontosaure. Au suivant. La voix d’A, béret et baskets blanches, n’enchante guère. Ses  » aimer-er-er-er « , sur un air de Hallyday, ressemblent aux cri-cri d’une scie sauteuse.  » Si je ne me suis pas retournée, s’excuse l’Américaine, c’est tout simplement parce que je n’ai pas vu cette spook (spectre ? apparition ?) dans ta voix. Celle de Johnny, c’est déjà une caricature. Ne deviens pas la caricature d’une caricature…  » Désolée. Une petite dame ronde a choisi d’interpréter Maurane :  » Ça caaaaaaaasse…  » Ben oui. En tout cas, ça ne passe pas.  » Vous n’étiez pas assez folle d’oser « , lui assène Lio, assez énigmatique. K, qui semble un temps paralysée par la déception, hoche tristement la tête et bredouille :  » J’aurais dû plus…  » sans finir sa phrase. Exit, donc, aussi. On commence à s’endormir : même la démarche chaloupée des régisseurs, avec leurs lourdes ceintures de walkie-talkie, paraît ralentir. Et puis, miracle, une perle. D est arrivée perchée sur hauts talons, dans une minijupe noire et un top à jabot coquelicot. Son Price Tag, de Jessie J, est foireux. Hors rythme. Sans souffle. Et pourtant… les coachs, de dos, se trémoussent. Et Lio finit par se retourner en pressant le bouton, son trône s’éclairant, comme un billard de luna park, du clignotant message I want you…  » Ah, cette femme est terrassée par la peur ! lance-t-elle. Mais comme tu ne l’as pas lâchée, ta chanson, dis ! Quelle immense intelligence tu as eue de te mettre au niveau de ton stress, ma belle ! Alors moi, je te veux !  » Regards déçus de ses comparses, qui ont un peu trop tergiversé, et le regrettent, c’est clair. Dans cette foire au bétail chantant, il faut buzzer à temps. Pas grave. Il reste des candidats, et la prochaine invitée sur scène met cette fois tout le monde d’accord. C’est une belle sauterelle d’une vingtaine d’années, qui n’en revient pas d’avoir suscité l’unanimité. Tétanisée, la voilà devenue muette, se mordillant les lèvres. Aux coachs, à présent, de convaincre la demoiselle de rejoindre l’une ou l’autre équipe.  » Je te veux pour t’apprendre à penser d’abord à chanter, avant de plaire « , lui propose Senso.  » Moi, je voudrais te faire aller vers un ailleurs plus pop, plus acidulé « , tente Lio… Rien à faire, M. a élu B.J. Scott.

Pas de moquerie, pas de cynisme

Après, ce ne fut plus que du  » maudit stress « , sur tous les tons. Un Bruce Springsteen trouant de sa mélancolie, tels les faisceaux des spots, l’obscurité du studio, recueille les compliments du jury féminin.  » Tu as un timbre de voix délicieux. Bwavo.  » (B.J. Scott) ;  » Vous êtes la plus jolie voix masculine qu’on a entendue jusqu’ici  » (Lio). Oh mais c’est qu’ils sont attentionnés, tous. Si soucieux de ne pas faire de peine, terriblement encourageants. Et c’est sans doute la plus belle réussite de cette émission : pas de moquerie, pas de cynisme, pas de grossièretés. On n’avait plus vu ça depuis longtemps. Rien que des gens gentils, à l’instar de Pères Noël distribuant leurs cadeaux. Tiens comme P, justement, autre candidat malheureux. Basse authentique, l’homme trimbale une voix gravissime, caverneuse, proprement inouïe.  » Et vous parlez même comme ça !  » s’étonne Quentin Mosimann, mort de rire, cette fois. Mais P n’y trouve rien de rigolo. Répond calmement :  » Chanteur d’opéra  » à la question de savoir ce qu’il fait dans la vraie vie. Oups. La gaffe du jury, qui a frôlé la raillerie, sera habilement rattrapée par les deux femmes, pleines de tact :  » Je suis totalement soufflée, Monsieur, vous avez un charisme incroyable « , assure B.J. Scott.  » C’est un honneur pour nous. Merci, merci beaucoup « , renchérit Lio, qu’on entendra même souffler hors micro  » Quelle classe, quel bel homme ! « …

(1) Les six premières émissions (six blind date auditions) seront retransmises durant six mardis, sur La Une, à 20 heures, à partir du 20 décembre.

VALÉRIE COLIN

 » Ah, cette femme est terrassée par la peur !  » LIO

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