Le personnel européen passé par le statut de contractuel doit travailler plus longtemps et pour une pension moindre que les statutaires de toujours. Cet été, certains l’ont appris à leurs dépens.
Nantis, les fonctionnaires européens? La question revient régulièrement dans l’actualité, souvent au détour d’une augmentation (quand elle a lieu) afin d’ajuster les salaires à l’inflation mesurée en Belgique et au Luxembourg. Et les sphères eurosceptiques de dénoncer opportunément les privilèges dont ils jouiraient au sein de cette organisation aux plus de 60.000 employés (fonctionnaires et agents confondus)…
Pourtant, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne au sein de l’Union. Et, comme partout ailleurs, on cherche l’économie dans un contexte budgétaire de plus en plus serré. Sans surprise, c’est particulièrement le cas en matière de pensions, une charge de plus en plus lourde à porter à mesure que l’espérance de vie augmente, quand le nombre d’actifs à même de financer le système stagne, voire baisse.
Rébellion des contractuels
Certains fonctionnaires européens, passés par la case «agent contractuel» avant d’obtenir un poste fixe, l’ont récemment appris à leurs dépens. Telle C.R., entrée à la Commission en juin 2012 en tant qu’agent, avant d’être nommée fonctionnaire à l’été 2015 et jusqu’en 2023, année de son départ à la retraite à l’âge de 66 ans. Elle –qui a travaillé trois ans de plus qu’un fonctionnaire ayant commencé sous ce statut– s’est vu signifier par l’Office de gestion et de liquidation des droits individuels (PMO) de la Commission européenne que, pour sa période d’activité en tant qu’agent contractuel, le taux annuel d’acquisition de ses droits à la pension était de 1,9% et que, pour sa période d’activité en tant que fonctionnaire, le taux était de 1,8%. Un effet d’une réforme datant de 2014 qui consacre cet état de fait: les anciens agents devenus fonctionnaires ont désormais un montant moins élevé de retraite et partiront plus tard –la réforme ayant fixé l’âge de départ des fonctionnaires européens à 66 ans, contre 63 ans auparavant.
De quoi frustrer C.R. qui estimait que la réforme (datant de 2014, succédant à une première réforme en 2004) ne s’appliquait pas à son cas puisqu’elle a contribué sans discontinuité au régime de pensions des institutions de l’Union européenne (RPIUE). Celle-ci a donc demandé à la Commission de revoir sa décision, «de sorte que son âge de départ à la retraite soit fixé à 63 ans et que le taux annuel d’acquisition de 1,9% lui soit appliqué pour l’ensemble de sa carrière». Par ailleurs, puisque son âge de départ à la retraite aurait dû être fixé à 63 ans, C.R. demande qu’une majoration supplémentaire de 2,5% de son dernier traitement de base lui soit octroyée pour chacune des années travaillées au-delà de 63 ans.
Face au refus de la Commission, l’ancienne fonctionnaire a saisi la Cour de justice européenne (CJUE) l’an dernier. Et elle n’est pas le seul ex-agent à avoir protesté contre une décision jugée «inadéquate», voire «arbitraire»: selon notre décompte, une dizaine de fonctionnaires à la situation similaire, ayant travaillé tant pour la Commission que pour le Parlement, ont porté leur cas devant la CJUE pour –à peu de choses près– les mêmes motifs. Certains ont été nommés au cours des années 2000, d’autres dans les années 2010 et certains, après 2020. Leur point commun? Tous s’estiment victimes des effets «arbitraires» des réformes menées en 2004 et 2014, qui visaient à sauver le système de retraites pour les fonctionnaires européens. Effets qui les pénalisent à la fois en tant qu’anciens agents et fonctionnaires, enfreignant au passage, selon eux, «le principe d’égalité de traitement».
«L’impact global sur le budget de l’Union des réformes de 2004 et de 2014 est nécessairement plus important en ce qui concerne les pensions des fonctionnaires qu’en ce qui concerne celles des autres agents.»
Question de survie
Cette «fronde» contre les dispositions de l’Union en la matière s’est heurtée à l’intransigeance de la Cour début juillet dernier, qui a débouté les requérants dans cinq affaires distinctes. Notamment parce que le principe d’égalité de traitement n’a pas été bafoué, puisque, selon le tribunal, la loi s’est appliquée à «des catégories de personnes se trouvant dans une situation comparable (NDLR: d’anciens agents devenus fonctionnaires)».
Dans le cas de C.R., le tribunal reconnaît que les législateurs de l’Union ont «pu considérer que les fonctionnaires nommés après le 1er mai 2004 ou après le 1er janvier 2014 devaient se voir appliquer un traitement différent de celui dont ils auraient pu bénéficier s’ils avaient conservé, au moins dix ans, leur statut d’agent temporaire ou d’agent contractuel»…
Dommage pour ces fonctionnaires, mais tant mieux pour le budget, résume, entre les lignes, le tribunal. «En effet, l’impact global sur le budget de l’Union des réformes de 2004 et de 2014 est nécessairement plus important en ce qui concerne les pensions des fonctionnaires qu’en ce qui concerne celles des autres agents», peut-on lire. Une question, presque, de survie, acte la CJUE. Et tant pis si cela pénalise les anciens agents devenus fonctionnaires. «Ce raisonnement suit l’objectif de préservation de l’équilibre actuariel du RPIUE et ce, sans qu’il soit porté atteinte aux droits acquis et aux attentes légitimes du personnel en place, lequel s’ajoute aux objectifs plus généraux de discipline budgétaire et d’assainissement des finances publiques dans un contexte socioéconomique difficile.»