A l’est de la RDC, des centaines de milliers de réfugiés rwandais vivent sans statut, sans protection, et dans l’indifférence générale. Cette carte blanche met en lumière une crise humanitaire, celle des victimes oubliées d’un conflit non résolu.
La problématique des réfugiés rwandais en République démocratique du Congo (RDC) est un drame silencieux. Elle ne suscite ni débat public, ni réaction politique à la hauteur de son ampleur. Pourtant, elle ne date pas d’hier. Dès avant l’indépendance du Rwanda en 1962, des Rwandais ont fui leur pays à cause des tensions politiques et ethniques.
Mais à partir des années 1990, la situation a pris une autre dimension. Avec la guerre civile déclenchée par le Front patriotique rwandais (FPR) en 1990, suivie du génocide contre les Tutsi en 1994, plus de 1,75 million de Rwandais ont quitté leur pays. La grande majorité s’est réfugiée en RDC (alors Zaïre), où de vastes camps ont été installés avec le soutien du HCR.
En 1996, ces camps ont été attaqués lors de l’offensive menée par l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), dirigée par Laurent-Désiré Kabila et soutenue activement par le Rwanda. Le Mapping Report du Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU, publié en 2010, documente plusieurs exécutions de réfugiés et de civils, évoquant même la possibilité que ces actes puissent être qualifiés de crimes de génocide s’ils étaient jugés par une juridiction compétente.
Près de 750.000 réfugiés ont été rapatriés, parfois de force. Ceux qui ont échappé aux massacres ont été dispersés, souvent dans des zones reculées, vivant depuis dans des conditions précaires et sans aucune forme de protection légale.
Une vie en exil prolongé
Aujourd’hui encore, plus de 200.000 réfugiés rwandais vivraient en RDC selon le HCR. Mais une étude menée en 2025 par notre organisation, All For Rwanda, suggère que ce chiffre est en réalité bien plus élevé: la quasi-totalité des personnes interrogées n’étaient pas enregistrées auprès du HCR. Il s’agit donc d’une population largement invisible, exclue de toute protection internationale.
Imaginez une population équivalente à celle de Liège vivant sans papiers, sans soins, sans école, ni protection contre la violence. Selon notre enquête, 92,5% des réfugiés interrogés vivent en RDC depuis plus de dix ans. Plus de la moitié n’ont aucun statut juridique reconnu. Cette situation est en partie liée à l’application, en 2013, de la clause de cessation du statut de réfugié aux Rwandais ayant fui avant 1998.
«Imaginez une population équivalente à celle de Liège vivant sans papiers, sans soins, sans école, ni protection contre la violence.»
Sans statut, ils n’ont pas accès aux services essentiels: alimentation, soins de santé, éducation. Les femmes et les enfants sont particulièrement exposés: la majorité sont considérés comme «très vulnérables» aux violences sexuelles. L’insécurité physique est permanente. Un grand nombre de personnes interrogées affirment avoir survécu à des tentatives d’assassinat, ou avoir perdu des proches dans des attaques ciblées. Beaucoup restent traumatisés par la destruction violente des camps de réfugiés à la fin des années 1990.
Selon notre étude, 73,7% déclarent que leur pays d’accueil leur refuse l’accès à l’éducation, à l’emploi ou à un permis de séjour. Ils vivent dans l’ombre, souvent dans les forêts, et évitent tout contact avec les autorités, par peur de représailles ou d’expulsion.
Des retours forcés déguisés en rapatriement volontaire
Ces derniers mois, plusieurs opérations de retour forcé, présentées comme des «rapatriements volontaires», ont eu lieu à Goma, dans un climat d’intimidation. Ces rapatriements concernent des personnes identifiées comme rwandaises par des groupes armés, notamment le M23, largement soutenu par l’armée rwandaise selon plusieurs rapports des Nations unies.
L’ONG Human Rights Watch (HRW), dans son rapport du 18 juin 2025, qualifie ces opérations de déportations forcées et rappelle qu’elles constituent un crime de guerre.
Des témoignages rapportent que des civils congolais rwandophones ont vu leurs documents d’identité détruits avant d’être forcés à «choisir» de retourner au Rwanda. Ce type de retour, sous contrainte militaire et sans garantie, viole les principes fondamentaux du droit international humanitaire.
«Des témoignages rapportent que des civils congolais rwandophones ont vu leurs documents d’identité détruits avant d’être forcés à «choisir» de retourner au Rwanda.»
Ces événements surviennent alors que les négociations entre la RDC et le Rwanda, sous médiation américaine pressante, ont abouti à un accord dont la signature a eu lieu ce vendredi 27 juin à Washington. Mais le contenu connu à ce jour laisse plusieurs questions sans réponse. Dans tous les cas, il est essentiel que la question des réfugiés soit abordée dans le respect du droit et de la dignité humaine, et non sous la pression sécuritaire.
Le discours sécuritaire comme écran politique
Depuis plus de deux décennies, le Rwanda présente la présence des réfugiés en RDC comme une menace sécuritaire. Le groupe armé FDLR, issu des forces rwandaises d’avant 1994, est régulièrement invoqué pour justifier les incursions militaires à l’est du Congo.
Cependant, de nombreux rapports des Nations unies et d’analystes indépendants montrent que ces groupes sont aujourd’hui très affaiblis. Ils ne disposent pas de capacité offensive significative contre le Rwanda.
En assimilant réfugiés civils et groupes armés, le régime rwandais élude le vrai débat: fermeture politique, répression, peur des arrestations arbitraires et exclusion économique. Dernier exemple en date: l’arrestation, le 19 juin 2025, de l’opposante Victoire Ingabire, dénoncée par HRW.
Ce récit unilatéral alimente la stigmatisation, empêche toute reconnaissance des droits fondamentaux des réfugiés, et brouille l’enjeu principal: le problème des réfugiés rwandais est avant tout politique et humanitaire, pas sécuritaire.
Pour un retour durable: dialogue, garanties et justice
La grande majorité des réfugiés que nous avons interrogés souhaitent rentrer au Rwanda, mais à condition que certaines garanties soient réunies: sécurité personnelle, justice équitable, possibilité de réintégration, et liberté d’opinion. Ils demandent aussi un processus de réconciliation sincère et inclusif.
Pour beaucoup, l’ouverture d’un dialogue direct entre le gouvernement rwandais et les représentants des réfugiés est indispensable. Ce dialogue pourrait permettre de convenir des conditions concrètes d’un retour volontaire.
Ce type de dialogue a existé ailleurs: dans les Balkans, en Afghanistan, au Liberia. Dans chaque cas, il a permis de mettre en œuvre un retour encadré, durable et respectueux des droits humains. L’absence d’une telle volonté politique au Rwanda ne peut justifier l’oubli ou la coercition.
Rompre le silence, reconstruire l’espoir
La communauté internationale ne peut rester indifférente. Elle doit reconnaître que le discours sécuritaire porté par Kigali masque une crise humaine prolongée. Elle doit aussi encourager activement l’ouverture d’un dialogue politique, et rappeler que le droit au retour ne peut jamais être imposé par la force.
Il est temps de reconnaître que les réfugiés rwandais ne sont pas une menace, mais les témoins vivants d’un conflit non résolu, des citoyens en attente de justice. Ils doivent pouvoir rentrer, volontairement, dans la dignité et la sécurité.
Placide Kayumba
Membre de la coordination de All For Rwanda.