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Vladimir Poutine, ce 26 novembre 2025. © Getty Images

«Une paix injuste en Ukraine relancerait une nouvelle guerre»: comment le piège russe se referme devant nos yeux

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Tandis que les pourparlers se déroulent dans une brume épaisse, Moscou fait tonner les armes pour rappeler qui dicte le tempo. Ballottée entre le maximalisme russe, les atermoiements américains et l’impuissance européenne, l’Ukraine tente encore de sauver l’espoir d’une paix équitable.

Les négociations de paix entre la Russie et l’Ukraine connaissent une nouvelle séquence mouvementée et toujours (très) floue. Les rebondissements incessants cultivés par les différentes parties ne facilitent en rien la résolution, même partielle, du conflit. Entre une position russe maximaliste et une approche américaine brouillonne et louvoyante, l’Ukraine tente d’amener l’Europe à la table, elle qui peine tant à se défaire de son statut de spectatrice. Obstacle, et non des moindres: l’UE est et restera persona non grata dans les négociations aux yeux de la Russie.

De ces constats, plusieurs interrogations émergent. Pourquoi Poutine frappe-t-il toujours plus sur le terrain dès lors que les discussions deviennent concrètes avec les Etats-Unis? Quelles sont les chances réelles de cessez-le-feu et pourrait-il être vraiment respecté? La «coalition des volontaires» peut-elle voir le jour sur le sol ukrainien? Décryptage de cinq enjeux croisés avec Joris Van Bladel, chercheur à l’Institut Egmont, auteur (1) et spécialiste de la Russie.

1. Plus les négociations se réchauffent, plus Poutine frappe fort

Les signes d’avancées dans les négociations ne ralentissent pas les velléités sur le champ de bataille, et au-delà. Que du contraire. Ces derniers jours, la Russie a ciblé des grandes villes ukrainiennes (Kiev, Kharkiv, Zaporijia, entre autres) en réalisant plusieurs frappes aériennes sur des infrastructures civiles. Des actions tout sauf fortuites au regard du contexte. «L’intensification des frappes dans les moments clés fait partie de la tradition de négociation des Russes, souligne Joris Van Bladel. C’est une manière d’appliquer une pression maximale afin de démontrer que les discussions ne peuvent se faire qu’à leurs conditions, sans quoi ils ont les capacités de continuer.»

Cette multiplication des attaques dans les moments charnières est aussi une manière d’accentuer la pression sur l’opinion publique ukrainienne et le gouvernement, qui traversent une position difficile. Sur le plan politique (Zelensky fait face à un scandale de corruption interne), militaire (épuisement des forces), ou diplomatique (face à des Etats-Unis sans scrupules).

«La Russie aborde les négociations de façon très organisée et préparée, ce qui contraste avec l’équipe de Trump, particulièrement amateure (…) Ce n’est pas Trump qui fait un deal avec Poutine. C’est Poutine qui fait un deal avec Trump.»

«La situation est très grave pour les Ukrainiens», insiste Joris Van Bladel. Et la Russie, évidemment, profite de la situation. Sur le terrain, elle continue de grapiller quelques kilomètres carrés, sans toutefois parvenir à réaliser des percées décisives. Et si la ville stratégique de Pokrovsk pourrait définitivement tomber aux mains de Russes (avec des pertes humaines astronomiques, environ 1.000 soldats par jour), celle de Kramatorsk, plus au nord, et largement plus protégée, promet déjà des combats d’une intensité et d’une durée inédite.

Côté diplomatique, la Russie garde la main dure. «Elle aborde les négociations de façon très organisée et préparée, ce qui contraste avec l’équipe de Trump, particulièrement amateure», compare Joris Van Bladel. Et de donner un petit exemple qui en dit long: lorsque Steve Witkoff, l’émissaire de Trump (novice dans le monde de la diplomatie) a rencontré la Russie pour la première fois, il y est allé… sans traducteur. «C’est une personne du SVR (NDLR: les services de renseignement extérieurs russes) qui s’est chargée de la traduction. Aucune prise de note n’a été réalisée du côté américain», s’étonne le chercheur, pour qui «on voit qui manipule qui dans ces petits détails. Ce n’est pas Trump qui fait un deal avec Poutine. C’est Poutine qui en fait un avec Trump

2. Poutine acceptera-t-il un accord remanié par les Européens?

La proposition de paix américaine en 28 points (qui ressemble à une demande de capitulation ukrainienne et dont la large inspiration russe fait de moins en moins de doutes) s’est transformée, suite aux négociations de Genève, en un nouvel exemplaire de 19 points, largement amendé par les Européens, et amputé des propositions jugées grotesques par l’Ukraine. Si Zelensky a approuvé la nouvelle version, Trump, cette fois, repousse… son propre ultimatum. Le Kremlin, lui, ne se cache pas: il a menacé l’Ukraine d’intensifier les bombardements si Zelensky n’acceptait pas le plan «américain» initial, autrement dit le plan russe. «Je ne vois pas pourquoi Poutine accepterait un plan modifié par les Européens, commente Joris Van Bladel. En ce moment, la Russie campe toujours sur ses exigences maximalistes.» 

La Russie campe toujours sur ses exigences maximalistes. Au Kremlin, il règne un optimisme, voire une sorte d’euphorie sur la possibilité de gagner la guerre en Ukraine.

Plus important encore, selon le chercheur: la pensée dominante au Kremlin est toujours que la Russie peut gagner cette guerre. «Il règne un optimisme, voire une sorte d’euphorie sur la question en interne.» Et si les disfonctionnements de l’armée russe sont connus de tous, «elle continue sans relâche, prête à accepter des pertes humaines faramineuses, contrairement à l’Ukraine.» L’autre nouvelle tragédie, dans ce conflit, «est que Trump a toujours joué en faveur des Russes. Or, un accord inéquitable débouche presqu’automatiquement sur une poursuite des combats.»

3. La coalition des volontaires s’active: a-t-elle une chance de voir le jour sur le terrain?

En parallèle, la «coalition des volontaires» emmenée par la France et le Royaume-Uni tente d’accorder ses violons.

Toujours est-il que pour la Russie, il reste «inconcevable que l’Ukraine devienne membre de l’Otan ou qu’elle accueille des soldats occidentaux sur son sol. De façon générale, tout élément qui participe au regroupement de l’Ukraine avec l’Ouest représente une ligne rouge pour le Kremlin», rappelle Joris Van Bladel.

4. Un accord de paix durable avec Poutine au pouvoir?

L’application d’un cessez-le-feu robuste et durable, comme s’attelle à le rappeler Emmanuel Macron, «ne dépend pas seulement de Poutine», selon le chercheur de l’Institut Egmont, qui rappelle que  «la nécessité de poursuivre la guerre est très répandue dans les mentalités russes».

Le dilemme européen, dès lors, est de savoir comment agir face à cette détermination russe sans faille. «A cet égard, notre faiblesse politique et diplomatique représente un grand problème. Imposer une paix ou un cessez-le-feu injuste aux Ukrainiens revient à prolonger la guerre, voire même à faire débuter une nouvelle phase. Cela risque aussi de développer un sentiment de revanche en Ukraine. A l’encontre les Russes, mais aussi envers les Européens, qui ont laissé faire.»

«Imposer une paix ou un cessez-le-feu injuste aux Ukrainiens revient à prolonger la guerre, voire même à faire débuter une nouvelle phase.»

L’Europe dispose de moins en moins de leviers pour reprendre le contrôle diplomatique. Depuis le début, d’ailleurs. Vladimir Poutine a en effet toujours répété que les Accords de Minsk 1 et 2 (NDLR: deux traités visant à mettre fin aux combats dans le Donbass en 2014-2015) représentaient une grande erreur car, selon lui, Européens et Ukrainiens l’ont trahi. Argument d’ailleurs avancé pour justifier l’invasion de 2022. «Pour cette raison précise, Poutine ne veut plus d’un nouvel accord avec les Européens, épingle Joris Van Bladel. En négociant uniquement avec les Etats-Unis, la Russie retrouve aussi son image de grande puissance.»

5. Marionnette du Kremlin et russification

Face à un Donald Trump dont la personnalité narcissique «est facilement manipulable par le Kremlin», la guerre, même en cas d’accord russo-américain, ne sera pas finie. Elle pourrait même ne faire que débuter. «Un accord américanisé ne règlera pas la source du conflit russo-ukrainien: il ne s’agirait pas d’un véritable accord de paix, -où les deux parties seraient d’accord sur tous les termes, mais bien d’un accord de force imposé aux Ukrainiens.»

«La russification actuellement opérée dans les territoires occupés est d’une brutalité inouïe.»

Accord ou non, la russification actuellement opérée dans les territoires occupés se poursuit sans relâche. Elle est «d’une brutalité inouïe», tient à souligner Joris Van Bladel. «Les Ukrainiens ont peur du pouvoir russe qui s’impose sur leur société. L’Occident a tendance à trop ignorer cet aspect.»

(1) La terre des grands mourants: comment la Russie défie la logique occidentale

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