Donald Trump a opéré un volte-face après neuf mois de complaisance envers Moscou. En affirmant que l’Ukraine pouvait non seulement récupérer ses territoires mais «peut-être même plus», il a publiquement humilié le Kremlin. Pour la chercheuse Violeta Moskalu, ce tournant reflète une frustration américaine croissante et annonce un bras de fer plus musclé avec Poutine.
Véritable volte-face ou énième bluff de Donald Trump? En affirmant que l’Ukraine pouvait «regagner son territoire dans sa forme originelle et peut-être même plus loin», le président américain a descendu la Russie à la tribune de l’ONU, la qualifiant même de «tigre de papier». «Poutine et la Russie ont de gros problèmes économiques et c’est le moment pour l’Ukraine d’agir», a-t-il ajouté.
Que traduit ce changement total de discours chez le républicain, lui qui s’était toujours appliqué à entretenir un ton amical avec le Kremlin? Trois questions à Violeta Moskalu, chercheuse franco-ukrainienne et maître des conférences à l’IAE Metz – Université de Lorraine.
1. Comment peut-on expliquer ce changement de logique dans le discours de Donald Trump à l’égard de la Russie?
Violeta Moskalu: La question était de savoir quand Donald Trump allait enfin comprendre qu’il se faisait balader par Vladimir Poutine depuis le début. La patience du président américain semble avoir atteint sa limite. Lors de la rencontre en Alaska, seule la rhétorique manipulatrice de Poutine a pris le dessus. Sous le terme «accord de paix», le président russe entend une capitulation de l’Ukraine.
D’autre part, la formule «tigre de papier» utilisée par Trump pour qualifier la Russie n’est pas anodine. Elle vise à toucher Poutine dans son ego et envoyer un message aux Russes, qu’on pourrait traduire comme tel: «Vous n’êtes pas la puissance que vous pensez être. Dans le cas contraire, vous auriez remporté cette guerre depuis longtemps.»
«On sent de la frustration et de l’agacement dans le chef de Trump. La façon dont il a évoqué la Russie à l’ONU s’inscrivait dans une véritable volonté d’humiliation. Il est fort à parier qu’on assistera bientôt à une phase plus “sportive”.»
En réalité, Donald Trump, à l’instar d’autres dirigeants comme Macron, vient de franchir l’étape «prise de conscience» quant à la nature du comportement de Poutine. D’autres ont également pensé qu’on pouvait raisonner avec le président russe. Mais, tel un cycle, tous finissent par admettre que le Kremlin ne comprend que le langage de la force. Désormais, on sent de la frustration et de l’agacement dans le chef de Trump. La façon dont il a évoqué la Russie à l’ONU s’inscrivait dans une véritable volonté d’humiliation. Il est fort à parier qu’on assistera bientôt à une phase plus sportive.»
2. Comment pourrait-elle se traduire?
Je pense qu’on assistera bientôt à une confrontation plus franche. A un moment de rupture forte, qui se traduira dans les actes. Trump, piqué au vif, constate que Poutine n’a aucune intention de mettre fin aux combats. N’oublions pas qu’en interne, plusieurs voix américaines s’élèvent pour ne pas voir la Russie remporter ce duel à distance. Les médias américains, eux aussi, insistent davantage sur le fait qu’il n’est pas dans l’intérêt de l’Amérique de laisser la Russie prendre ses aises en Europe de l’Est.
«Aujourd’hui, le piège mental serait de ne pas changer de paradigme. Et de ne toujours pas réaliser, après plus de trois ans, que la Russie doit perdre cette guerre parce que l’Europe est directement menacée dans son existence.»
Dès lors, il ne serait plus illogique de voir les Etats-Unis renforcer leur appui militaire. L’Ukraine ne demande pas à ce que les soldats occidentaux viennent se battre. Elle a besoin d’un soutien massif pour tenir la ligne de front et attaquer en profondeur. Ce qu’elle fait déjà: 40% des armements actuellement utilisés sont fabriqués par l’Ukraine. L’Occident a toujours aidé l’Ukraine trop tard, et trop peu. Juste assez pour qu’elle tienne, mais pas suffisamment pour que la Russie renonce à ses projets impérialistes. Un jour, l’histoire sera sévère au regard de la mollesse européenne.
Aujourd’hui, le piège mental serait de ne pas changer de paradigme. Et de ne toujours pas réaliser, après plus de trois ans, que la Russie doit perdre cette guerre parce que l’Europe est directement menacée dans son existence. La Russie, de facto, est déjà en guerre contre l’Europe –on le constate encore plus avec les nombreuses incursions dans l’espace aérien– mais le Vieux continent se voile la face. C’est une position irresponsable.
3. Est-il vraiment réaliste, comme l’encourage Trump, que l’Ukraine regagne ses frontières initiales par la voie militaire? L’option semblait définitivement écartée, et depuis longtemps…
L’Union soviétique s’est effondrée de l’intérieur du jour au lendemain. Le même sort pourrait être réservé à la Russie. Ce qui ne veut pas dire que l’Otan doit entrer en guerre directe. Ce n’est de toute façon pas son but (NDLR: l’Alliance se veut défensive par nature). Mais les Occidentaux doivent maintenir une pression économique accrue sur la Russie, à travers des sanctions beaucoup plus sévères.
«En poursuivant les achats de gaz russe, l’Union européenne nourrit un monstre qui veut la disloquer.»
L’économie russe est déjà très contractée et n’est plus très loin de l’effondrement. Dans cette optique, il n’est pas irréaliste de penser que l’Ukraine retrouvera tous ses territoires un jour. Mais l’Occident doit être bien plus cohérent dans ses actes. Notamment en coupant réellement tout apport de gaz russe (NDLR: il représente encore 13% des importations totales européennes en 2025). Aujourd’hui, l’UE ne peut plus se permettre d’être à moitié complice. En poursuivant les achats de gaz russe, l’Union européenne nourrit un monstre qui veut la disloquer.