Poutine
Vladimir Poutine © via REUTERS

Poutine va tenter un dernier grand assaut décisif en Ukraine: «Au Kremlin, on pense que c’est maintenant ou jamais»

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Entre des stocks soviétiques épuisés, une production industrielle relancée, et des ultimatums américains répétés, la Russie vit un moment de bascule dans sa guerre menée en Ukraine. Pour le chercheur Joris Van Bladel, le moment pourrait être choisi par Poutine pour un dernier assaut décisif.

Depuis près de trois ans et demi et le début de son invasion en Ukraine, la Russie n’a cessé de puiser dans son immense stock de vieilles armes soviétiques pour subvenir à ses besoins militaires.

Les pièces sorties des hangars datent d’un autre âge. Vieux obusiers, véhicules blindés des années 1950 et même chars T-54 des années… 1940. Le stock est massif: il est estimé à 15.000 véhicules blindés, 10.000 chars et autant d’obusiers. Aujourd’hui, il serait «irréversiblement épuisé», selon un récent rapport de la Kyiv School of Economics, qui constate une baisse significative du nombre de tonnes sorties des réserves.

Un moment charnière pour Poutine

Le matériel, majoritairement défectueux (et technologiquement dépassé), ne passe même plus par la case réparation. Il est directement envoyé au front. Preuve, selon l’étude, d’un stock toujours plus sollicité (et donc vidé).

En parallèle, le Kremlin a considérablement augmenté sa production, en militarisant plus de 1.000 entreprises civiles, et en augmentant la part du PIB consacré à la guerre (actuellement déjà à 9%). Les renseignements ukrainiens parlent même d’un plan à 1.100 milliards de dollars à l’horizon 2036 pour «préparer un conflit à grande échelle.» La Russie, déjà en économie de guerre, semble donc s’apprêter à franchir une étape supplémentaire, et à se transformer en véritable Etat militaire. Une sorte de Corée du Nord, en grand.

Joris Van Bladel, chercheur à l’Institut Egmont, et spécialiste de l’armée russe, constate ce clair antagonisme entre des stocks soviétiques effectivement épuisés et la production actuelle élevée. «On assiste à un moment charnière. Même si, tempère-t-il, on lit aussi qu’en 2026, Poutine devrait baisser le budget militaire. Il faut donc prendre les informations ukrainiennes avec des pincettes. La guerre de l’information a lieu des deux côtés. Mais il est clair que la Russie est largement en économie de guerre.»

Il s’agirait même du programme d’armement le plus ambitieux depuis l’effondrement de l’Union soviétique. L’ex-espion du KGB Sergueï Jirnov alertait déjà dans cette interview accordée au Vif d’une refonte complète de l’armée russe «loin d’être anecdotique», désormais divisée en plusieurs districts.

L’aide étrangère vitale pour l’armée russe

Mais si l’industrie d’armement semble tourner 24/24h, sur le front, l’armée ne peut pas se passer des apports extérieurs. D’aucuns disent que la machine militaire russe aurait calé depuis longtemps sans l’aide de l’étranger. L’Iran (13.000 tonnes d’explosifs par an via la mer Caspienne, drones Shahed…) et la Chine (qui livre des composants essentiels à l’industrie de défense) contribuent tous deux activement à l’effort de guerre de Poutine.

Mais la Corée du Nord, surtout, s’est hissée à la première place des fournisseurs d’armes: en 2024, les livraisons nord-coréennes représenteraient… 40% (!) des munitions tirées par la Russie. Pour maintenir la pression, le Kremlin est donc vraisemblablement sous respiration artificielle étrangère. «En plus de l’aide matérielle, la Corée du Nord a envoyé pas moins de 30.000 soldats en Russie. Sans ces alliances, la Russie ne pourrait pas mener la guerre telle qu’elle le fait actuellement», assure Joris Van Bladel.

Mais même l’aide étrangère ne suffit plus. La pénurie de véhicules blindés est telle que des soldats sont envoyés au front à moto et à… trottinettes, jugées parfois plus furtives et moins coûteuses pour éviter les drones. Pour porter du ravitaillement, des ânes sont parfois utilisés.

Dernier assaut: signe de puissance et d’épuisement

Face à ces signes d’épuisement, accompagnés des ultimatums assénés par Donald Trump pour mettre fin à la guerre, Vladimir Poutine pourrait bien être tenté par un dernier coup de grâce. «Poutine va tenter de faire un dernier grand assaut décisif cet été, prédit le chercheur de l’Institut Egmont. Après, il sera plus difficile pour lui de prendre l’avantage. La masse russe risque de manquer pour réaliser une autre offensive. Cette « ultime » attaque serait à la fois un signe de puissance et de faiblesse de l’armée russe, qui jouerait en quelque sorte son va-tout.»

Cette grande offensive d’été «peut être décisive dans la guerre», assure Joris Van Bladel. L’Ukraine pourra-t-elle y résister? «C’est très difficile à dire. Désormais, la Russie a pris un large avantage dans la guerre des drones, devenus prépondérants sur le champ de bataille.»  

D’autant plus qu’au Kremlin, «la mentalité a changé, et de nombreux responsables pensent que c’est maintenant ou jamais pour prendre l’avantage. Dans cette guerre d’attrition, le tout sera de voir qui aura le souffle le plus long.»

Si le but militaire de Poutine reste de conquérir les Oblast partiellement envahis à l’Est et la Crimée, l’autre objectif, tout aussi important, «est de dominer l’Ukraine politiquement.» En ce moment, «la Russie se sent très forte, remarque le spécialiste. Ce n’est pas totalement fidèle à la réalité. Cette offensive est aussi l’expression d’un épuisement, d’une dernière possibilité

Poutine veut établir une nouvelle situation sur le front

Ceci étant, depuis le mois de mai déjà, la Russie attaque sur le front avec 7.000 personnes quotidiennement. Elle combine ces tentatives terrestres avec des raids aériens très réguliers. «Le but des Russes est d’établir une nouvelle situation sur le terrain. C’est-à-dire provoquer une grande débâcle dans le camp ukrainien.»

Pour y parvenir, les troupes de Poutine semblent se concentrer sur la ville de Pokrovsk, un hub logistique très important. «Les Russes sont en train de l’encercler, et s’ils s’en emparent, la guerre peut basculer très vite. Avec une seule brèche, « tout » peut passer. Dans cette ville, la situation est très critique. La question est de savoir combien de temps la Russie peut maintenir cette intensité.»

Pour le chercheur, les Européens doivent dès lors livrer davantage d’armes défensives à l’Ukraine très rapidement. «Après, il sera trop tard. D’autant plus que l’instabilité instaurée par Trump sur les livraisons d’armes rend la situation encore plus difficile, aussi psychologiquement.»

Joris Van Bladel «pense que l’Ukraine pourra tenir, mais très difficilement. Cette offensive russe est menaçante, mais ils ne pourront pas la maintenir sur plusieurs mois. Surtout, Poutine a lui aussi une ligne rouge importante: il ne peut pas demander la mobilisation totale de la société. Auquel cas il perdrait le support de la population.»

(1) Land van het grote sterven: Hoe Rusland de westerse logica tart, Joris Van Bladel, Ed. Uitgeverij Prometheus, 2025.

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