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Vladimir Poutine et l’émissaire américain Steve Witkoff: une proximité qui pose question. © Anadolu via Getty Images

Négociations sur l’Ukraine: le bonimenteur, l’idolâtre de Poutine et le président affaibli

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Trump vend un plan de paix qui n’en est pas un. Son émissaire «roule» pour la Russie. Et un dossier de corruption handicape Zelensky. Le doute s’immisce à tous les étages de la négociation. Et Poutine savoure.

Des doutes, des doutes et encore des doutes. Sur la réalité d’un vrai plan de paix, sur l’impartialité des négociateurs américains, sur la capacité politique du président ukrainien d’endosser une décision douloureuse pour son pays. Les négociations pour trouver une issue diplomatique à la guerre en Ukraine, qui entame son quatrième hiver, apparaissaient s’enliser en milieu de semaine malgré une nouvelle rencontre entre l’envoyé spécial américain Steve Witkoff et Vladimir Poutine et les assauts d’optimisme de son patron Donald Trump.

Tout indique en effet qu’on est loin d’un compromis acceptable par les deux parties, et surtout par le camp agressé, l’Ukraine. Or, dans le même temps, la Russie revendique la prise de la ville de Pokrovsk qui, si elle n’est pas encore une réalité entièrement avérée le sera bientôt. Revue des obstacles persistants quinze jours après la présentation du «plan de paix» de Donald Trump, le 20 novembre.

«Ce n’est pas un plan de paix complet. Pour le plan complet, il faudra l’Ukraine autour de la table.»

Quel «plan de paix»?

Recevant Volodymyr Zelensky à l’Elysée le 1er décembre, le président français a rappelé une vérité qui ne peut que déranger à Washington où l’on entretient un optimisme qui se veut performatif. «Il n’y a pas aujourd’hui, à proprement parler, un plan qui soit finalisé sur les questions des territoires. Il ne peut être finalisé que par le président Zelensky, a lancé Emmanuel Macron . […[ Ce n’est pas un plan de paix complet. Pour le plan de paix complet, il faudra l’Ukraine autour de la table, la Russie autour de la table et les Européens autour de la table.» Il considère que la participation de ces derniers est incontournable pour traiter de la question des garanties de sécurité, des actifs russes gelés, de la levée des sanctions…

Le document initial, en 28 points, équivaut effectivement à une capitulation de l’Ukraine. Car non seulement, il ne prévoit pas de restitution des territoires occupés aujourd’hui par la Russie (la Crimée, les oblasts de Louhansk, Donetsk, Zaporijia et Kherson) mais il réclame même du gouvernement de Kiev qu’il abandonne sa souveraineté sur les dernières terres du Donbass (composé des oblasts de Louhansk et de Donetsk) qui ne sont pas encore contrôlées par l’armée russe, soit quelque 6.000 km2, cela en échange de zones détenues par cette dernière dans d’autres provinces. Néanmoins, le plan a été adapté, à la suite de négociations entre le secrétaire d’Etat américain Marco Rubio, les Ukrainiens, et les Européens à Genève fin novembre, en prenant en compte une partie des revendications légitimes de Kiev.

Ce projet, ramené à 19 points, est censé rééquilibrer la donne entre les belligérants sur la question des frontières et de garanties de sécurité. A priori adoubé par les négociateurs du président Zelensky, il risque de se voir opposer une fin de non-recevoir de la part du président russe Vladimir Poutine. C’était un des enjeux de sa rencontre, le 2 décembre, avec l’émissaire Steve Witkoff.

Le secrétaire d’Etat américain Marco Rubio: médiateur entravé dans les négociations sur l’Ukraine? © Getty Images

Quels «négociateurs»?

De plus en plus, il apparaît que deux équipes de négociateurs américains déploient des stratégies pour tenter de trouver une issue à la guerre. Elles pourraient logiquement conjuguer leurs efforts pour aboutir à un résultat. Il n’est cependant pas acquis que ce soit le cas. Car deux tendances s’expriment.

L’une est ostensiblement prorusse et est personnifiée par l’agent immobilier, pas diplomate de formation, Steve Witkoff. La révélation d’une conversation téléphonique qu’il a eue le 14 octobre avec le conseiller diplomatique de Vladimir Poutine, Iouri Ouchakov, ne laisse pas de place à un doute sur cette réalité. A son interlocuteur, il explique comment le président russe devrait composer avec Donald Trump pour emporter son adhésion: «J’appellerais et je redirais que vous félicitez le président pour cet accomplissement (NDLR: l’accord de cessez-le-feu, nullement respecté, obtenu à Gaza entre Israël et le Hamas), que vous l’avez soutenu […], que vous soutenez le fait qu’il soit un homme de paix et que vous êtes vraiment heureux d’avoir vu ça. […] Je pense qu’à partir de là, ce sera un très bon appel.» Corentin Sellin, professeur agrégé d’histoire et spécialiste des Etats-Unis, a résumé de manière pertinente, dans l’émission de France 5 C dans l’air, ce que cette attitude peut suggérer: «Ce qu’on apprend dans cette bande, ce n’est pas simplement qu’il (NDLR: Steve Witkoff) se fait rouler (NDLR: par Poutine), c’est qu’il roule pour les Russes

Cette familiarité entre l’émissaire américain et son interlocuteur russe et son offre de service pour l’aider dans la négociation avec son patron amène inévitablement à se reposer la question de la proximité entre Donald Trump ainsi que ses proches et les dirigeants russes. Le journaliste Régis Genté avait déjà montré dans son livre Notre homme à Washington (Grasset, 2024) les liens qui avaient uni le futur président américain alors magnat de l’immobilier avec «les cohortes de Russes et d’Américains prorusses» qui tournaient autour de lui dans les années 1980-1990 « »mafieux rouges » qui s’offrent au prix fort des appartements de luxe dans la Trump Tower et blanchissent leur argent dans ses casinos […], ambassadeurs policés, espions opérant aux Etats-Unis sous couvert de diplomate ou de banquier, oligarques».

«Trump et Witkoff sont partenaires en affaires, en particulier dans les cryptomonnaies.»

Aujourd’hui, des questions similaires portent sur les éléments qui pourraient expliquer cette extrême bienveillance de Steve Witkoff à l’égard du pouvoir. Certains estiment qu’en tant qu’agent immobilier, il fut pour les Russes l’équivalent de Donald Trump dans le secteur de l’immobilier de bureau. D’autres évoquent ses activités actuelles dans le domaine des cryptomonnaies, à l’instar de Corentin Sellin à C dans l’air: «On le présente parfois un peu hâtivement: « Il joue beaucoup au golf avec Trump. » Il est vrai qu’ils ont beaucoup joué […] ensemble. Maintenant, ils sont associés, partenaires en affaires, en particulier dans ce qui rapporte le plus d’argent à Trump en ce moment […], c’est-à-dire les cryptomonnaies. Witkoff et son fils sont les associés des Trump père et fils dans la cryptomonnaie. […] Certains élus démocrates ont soulevé la question: est-ce que Monsieur Witkoff a des intérêts d’affaires avec la Russie, en particulier dans les cryptomonnaies? Quels sont les liens anciens de Monsieur Witkoff avec la Russie?»

A côté de cette équipe de négociateurs, ou face à elle, figure celle «des diplomates chevronnés qui essaient de travailler de manière méthodique et coordonnée», comme les qualifie l’ancien officier français Guillaume Ancel sur son blog «Ne pas subir», autour du secrétaire d’Etat Marco Rubio, «un professionnel des relations internationales, défenseur du lien historique avec l’Europe». Et force est de constater que souvent, la seconde semble s’atteler à «réparer» les errements de la première. L’expérience américaine en matière de diplomatie pourrait théoriquement laisser penser que les résultats engrangés par les deux équipes de négociateurs s’additionnent pour parvenir à une solution équilibrée. Dans l’Amérique de Trump 2, on est amené à en douter, notamment parce que la base de travail initiale était outrageusement avantageuse pour Moscou.

Volodymyr Zelensky est fragilisé par l’implication présumée d’Andriy Yermak, son bras droit, dans un dossier de corruption. © Global Images Ukraine via Getty

Quel leader ukrainien?

Un doute s’est aussi abattu, bien que dans un autre registre, sur l’équipe de négociation ukrainienne. Son chef en titre, bras droit du président Volodymyr Zelensky, Andriy Yermak, a été rattrapé par l’enquête sur des faits de corruption aux dépens de la compagnie nucléaire nationale Energoatom, qui a conduit à la démission de deux ministres et à la fuite vers Israël de l’ancien associé du président, Timur Mindich. Yermak n’a pas été mis en examen à ce stade. Mais l’ampleur apparente du dossier conduit inévitablement à se demander dans quelle mesure Volodymyr Zelensky n’a pas une part de responsabilité si pas directement dans la corruption, peut-être dans la connaissance éventuelle qu’il en avait, voire dans la tentative qui aurait été menée pour l’étouffer quand, à l’été, ses partisans au Parlement ont voté une loi mettant sous contrôle du gouvernement le Parquet national anticorruption et le Bureau national anticorruption, loi finalement abrogée sous la pression populaire et celle des alliés européens de l’Ukraine. Ce sont ces deux institutions qui instruisent et investiguent aujourd’hui le dossier de corruption qui touche le cercle rapproché du président.

Avec quelles conséquences? L’affaire est particulièrement délicate au moment où les négociations sur la fin de la guerre et les concessions qu’elle impose s’intensifient. Pour l’heure, ni le pouvoir russe ni le médiateur américain dont on doute de la véritable neutralité ne semblent désireux d’exploiter cette faille au sein du pouvoir ukrainien qui a résisté jusqu’à présent à de nombreuses secousses. Une attitude étrange, singulièrement dans le chef du Kremlin, quand on sait la détestation que Volodymyr Zelensky inspire à Vladimir Poutine. Mais l’affaire n’a peut-être pas encore révélé tous ses aspects.

En attendant, si l’équipe des négociateurs ukrainiens ne devrait pas être sensiblement affectée par le retrait forcé d’Andriy Yermak, la position du président ukrainien est fragilisée. On verra notamment à la lumière du maintien ou de l’altération du soutien des Européens, qui ont leurs propres informations sur les coulisses du pouvoir à Kiev, si elle est susceptible d’être directement menacée.

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