Pour le chercheur Joris Van Bladel, spécialiste de l’armée russe, Poutine a lié son avenir politique à l’issue de la guerre en Ukraine. En ce sens, l’emploi de l’arme nucléaire en dernier recours n’est pas à exclure. «C’est une question de survie.»
En ordonnant le déploiement de deux sous-marins dans des «zones appropriées», Donald Trump a plongé pieds joints dans le chantage nucléaire russe. L’action pourrait déforcer la dissuasion atomique de l’Otan, dont l’atout réside justement dans le secret. Trump, de la sorte, se rabaisse aussi au niveau d’un «second couteau» Dimitri Medvedev, davantage connu pour ses dérapages réguliers que pour sa réelle influence au Kremlin.
Pour Joris Van Bladel, spécialiste de l’armée russe (Institut Egmont), il n’est pas impossible que Poutine utilise l’arme nucléaire en Ukraine, «lorsque la situation deviendra vraiment critique pour lui».
Joris Van Bladel, les renseignements ukrainiens alertent sur des plans russes à 1.100 milliards pour préparer un «conflit à grande échelle». Vous y croyez?
Je ne crois pas à une volonté de guerre massive. En revanche, la Russie va essayer de tester l’article 5 de l’Otan. Pas via le déclenchement d’un conflit généralisé, mais via une invasion limitée sous prétexte de vouloir apporter une aide pour les minorités russophones d’un pays. S’ils y parviennent, les Russes peuvent détruire l’Otan.
«Si les Russes parviennent à réaliser une invasion limitée, ils peuvent détruire l’Otan.»
Cela dépasserait donc le cadre de la guerre hybride déjà en cours… sans déclencher pour autant un conflit total avec l’Otan
Exact. La guerre hybride avec la Russie est déjà en cours: l’affrontement est une réalité. Ces actions étant plus discrètes, on peut facilement les nier. Déterminer ce qu’est une attaque envers l’Otan est devenu très compliqué et flou. Pour nous, Belges, la menace russe est réelle mais pas imminente.
Pour les Russes, envisager un élargissement du conflit est-il réaliste au vu de leur enlisement en Ukraine?
Tant que la guerre se poursuit en Ukraine, la Russie ne pourra pas tenter une autre aventure militaire. Elle n’en a pas la possibilité au vu des moyens requis sur le front ukrainien. Même si les plans russes sont clairs, et purement anti-Otan et anti-Europe.
Pourquoi Poutine a-t-il ignoré toutes les propositions américaines, pourtant en sa faveur?
Car Poutine a lié son avenir politique à la guerre en Ukraine. Il doit obtenir quelque chose de positif dans cette guerre, pour justifier les centaines de milliers de morts et de blessés. En tout, un million de personnes ont été «utilisées» par cette guerre. Les vétérans inquiètent particulièrement le Kremlin. Car ils représentent une menace politique. Avec ce conflit, Poutine a pris un risque énorme et son avenir politique dépend directement du résultat. C’est pour cela qu’il s’obstine à continuer.
«Poutine a pris un risque énorme en envahissant l’Ukraine. Son avenir politique dépend directement du résultat.»
Par ailleurs, en Russie, la mentalité est tout autre: la guerre fait partie de leur identité. Et les Russes pensent sincèrement qu’ils peuvent la gagner. Ils voient les Européens comme très faibles.
Le dialogue nucléaire entre Etats-Unis et Russie a pris une nouvelle tournure. Poutine peut-il vraiment y avoir recours?
Le problème est le suivant. Premièrement, la Russie détient son statut de puissance mondiale uniquement grâce à son arsenal nucléaire. Deuxièmement, on ne peut jamais exclure qu’elle utilisera l’arme nucléaire tactique. Le 4 mai, Poutine a déclaré être persuadé de pouvoir atteindre ses objectifs en Ukraine, en ajoutant qu’il espérait ne pas devoir employer l’arme nucléaire. Je suis sûr que lorsque la situation sera vraiment critique pour lui, il n’est pas impossible qu’il l’utilise. Encore une fois, son avenir politique est directement lié à la guerre en Ukraine. On parle donc de survie, de dernier recours.
«Je suis sûr que lorsque la situation sera vraiment critique, il n’est pas impossible que Poutine utilise l’arme nucléaire.»
Dans ce scénario, quels endroits pourraient être visés?
La région de Kherson pourrait être une cible privilégiée, tout comme les régions limitrophes des Oblast partiellement conquis. Il s’agit d’un scénario extrême, mais personne ne peut l’exclure avec certitude.