La Russie intensifie sa pression par des attaques massives de drones, poussant le système de défense antiaérienne ukrainien dans ses derniers retranchements. Ces engins kamikazes, bon marché, atteignent désormais plus souvent leur cible. Pour y répondre, l’Ukraine mise sur une nouvelle arme: des drones intercepteurs, rapides, agiles et surtout abordables. Selon le président Volodymyr Zelensky, un investissement de six milliards de dollars s’impose. Et sans attendre, avant que la production russe ne monte encore en puissance.
L’offensive terrestre lancée dans l’est de l’Ukraine progresse lentement cet été et se révèle dispendieuse. Les frappes répétées de drones contre les villes ukrainiennes constituent toutefois une menace plus directe. Infrastructures civiles et militaires sont visées chaque jour –sans compter les habitations. Outre l’impact économique, ces attaques altèrent le moral. De nouvelles stratégies doivent être trouvées pour y faire face.
Le 9 juillet dernier, plus de 700 drones ont pris pour cible Kiev et d’autres zones, dont 60% transportaient des explosifs. Les autres servaient de leurres peu coûteux. Cette semaine-là, la Russie aurait lancé plus de 1.800 drones et 83 missiles, selon le président ukrainien Volodymyr Zelensky, dans ce qu’il qualifie de «campagne de terreur intensifiée contre nos villes et communautés».
Les Geran-2, version russe des Shahed iraniens, submergent les défenses. Jusqu’en mars, seuls 3 à 5% de ces engins parvenaient à échapper à la destruction. En juin, ce chiffre aurait atteint 15%. Au-delà des pertes humaines et des dégâts matériels, ces frappes imposent une pression psychologique constante. Elles se prolongent souvent toute la nuit.
«Au-delà des pertes humaines et des dégâts matériels, ces frappes imposent une pression psychologique constante.»
«L’objectif est de faire naître un sentiment d’insécurité généralisée et de provoquer une perte de confiance dans l’Etat et dans l’armée», expliquait Serhii Bratsjoek, porte-parole du commandement sud, au Kyiv Independent.
La Russie améliore à la fois la cadence et la performance de ses drones. D’après les renseignements militaires ukrainiens, la production mensuelle de Geran aurait été multipliée par cinq depuis l’été dernier. Cette croissance est notamment alimentée par l’arrivée massive de composants chinois à double usage –destinés autant au civil qu’au militaire.
En mai, environ 2.700 Geran et 2.500 Gerbera (drones-leurres de plus petite taille) auraient été assemblés à près de 1.500 kilomètres du front. Ces deux usines ont bien été ciblées par des frappes ukrainiennes, mais sans réel impact sur la production, qui devrait encore s’accélérer.
Des drones russes perfectionnés
Depuis juin, la Russie emploie une version optimisée du Geran-2, selon l’analyste militaire Olena Kryzhanivska. Ce modèle est équipé d’un système de navigation vidéo, d’intelligence artificielle et d’une électronique avancée capable de contourner les brouillages. Il peut voler jusqu’à 4.000 mètres d’altitude et atteindre 400 km/h en approche finale.
Les versions antérieures se limitaient à une vitesse de 185 km/h. Les modèles initiaux transportaient une charge utile de 40 kilos, tandis que les plus récents peuvent en embarquer jusqu’à 90 kilos. Le Geran-3, désormais opérationnel, est propulsé par un turboréacteur et peut filer à 600 km/h. Son coût est estimé à 1,4 million de dollars l’unité, contre environ 200.000 dollars pour le Geran-2 modernisé.
Cette évolution technologique place les forces ukrainiennes face à un dilemme stratégique. Il est intenable de neutraliser des drones à 200.000 dollars avec des missiles valant plusieurs millions, tels ceux du système IRIS-T, indispensables à la défense contre les missiles balistiques ou de croisière. Jusqu’à récemment, une combinaison de guerre électronique et de défenses mobiles, notamment des mitrailleuses lourdes et des systèmes Gepard allemands, permettait d’intercepter la majorité des drones. Ces moyens s’avèrent désormais inefficaces contre les Gerans de nouvelle génération, capables de voler à haute altitude selon des trajectoires imprévisibles.
Les drones intercepteurs bon marché apparaissent comme l’option la plus prometteuse. Quatre entreprises ukrainiennes au moins –parmi lesquelles Wild Hornets et Besomar– en développent différents modèles. D’autres sont produits à Tytan, en Allemagne, et à Frankenberg, en Estonie. D’après le général Oleksandr Syrsky, commandant en chef de l’armée ukrainienne, ces drones affichent un taux de réussite de 70% contre les Gerans russes.
La semaine dernière, le président Zelensky a ordonné à son ministère de la Défense de conclure rapidement des contrats à grande échelle avec les fabricants. Le 25 juillet, il a appelé les producteurs à porter la cadence à un minimum de 1.000 appareils par jour. Pour atteindre cet objectif, il estime qu’un financement d’urgence de six milliards de dollars est indispensable.
Sauf si la Russie parvenait à dépasser très nettement son rythme actuel de 200 drones par jour, cet effort industriel pourrait inverser l’équilibre au profit de l’Ukraine.
Montée en puissance de la production
Des organisations caritatives telles que la Sternenko Community Foundation et Come Back Alive ont contribué au financement du développement de ces nouveaux drones. Taras Tymochko, expert en drones pour Come Back Alive, indique que le coût unitaire d’un drone intercepteur ne doit pas dépasser 5.000 dollars. Ces appareils doivent atteindre une vitesse d’environ 300 km/h, voler et tourner jusqu’à 5.000 mètres d’altitude. (Il s’agit ici de drones à voilure fixe, et non de quadricoptères à rotors classiques.) L’objectif est d’atteindre les Geran et de déclencher une explosion à l’impact; un simple rapprochement ne suffit pas.
«Le coût unitaire d’un drone intercepteur ne doit pas dépasser 5.000 dollars. Ces appareils doivent atteindre une vitesse d’environ 300 km/h, voler et tourner jusqu’à 5.000 mètres d’altitude.»
Le principal défi, affirme-t-il, consiste désormais à conclure des contrats, à intensifier la production et à former les opérateurs –un point qui risque de devenir un sérieux goulot d’étranglement. Rivaliser avec le rythme de fabrication russe de Shaheds et de Gerans relève de l’ambition, «mais l’écart se réduit véritablement».
Certains obstacles techniques demeurent néanmoins, souligne Max Enders, de Tytan Technologies. Ces drones doivent pouvoir s’intégrer aux radars déjà en place et disposer d’une intelligence artificielle suffisamment sophistiquée pour fonctionner de manière autonome tout en résistant aux brouillages. Il envisage une course adaptative, où chaque camp actualiserait son logiciel tous les quinze à 20 jours. A terme, la Russie pourrait même parvenir à déployer des essaims de drones capables de communiquer entre eux afin de contourner les systèmes de défense.
Les drones intercepteurs ne sauraient être considérés comme une panacée, avertit Olena Kryzhanivska. Pour la défense rapprochée, des systèmes d’armes demeurent indispensables, comme le Sky Sentinel –une plateforme automatisée de défense aérienne dotée d’une mitrailleuse lourde– ou le Skynex de Rheinmetall, conçu pour contrer les attaques en essaim. Aucun de ces deux dispositifs n’est encore disponible à grande échelle.
L’Ukraine développe également le système laser Tryzub, qui devrait pouvoir neutraliser des cibles aériennes à partir de 3.000 mètres d’altitude. En l’état actuel, les drones intercepteurs restent l’option la plus prometteuse. Mais pendant ce temps, les Gerans continuent de pleuvoir.