La carrière de graphite de Zavalivskyi dans l’oblast de Kirovohrad, au centre de l’Ukraine: un potentiel réel. © GETTY

Derrière l’accord minier entre Washington et Kiev, des garanties de sécurité tacites pour l’Ukraine: «La vassalisation a disparu»

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

L’arrangement sur l’exploitation des ressources naturelles apaise les relations entre Kiev et Washington. Les Ukrainiens ont réussi à forger un partenariat plus équilibré.

L’image d’une relation apaisée entre deux Etats amis. La cérémonie de signature de l’accord minier entre les Etats-Unis et l’Ukraine, le 30 avril à Washington, ferait presque oublier la confrontation violente qui avait opposé à la Maison-Blanche Volodymyr Zelensky à Donald Trump et à J.D. Vance, avec en toile de fond la conclusion d’une première mouture de ce partenariat, stratégique pour l’Ukraine, mais par trop défavorable à ses intérêts. En remettant l’ouvrage sur le métier, les négociateurs américains et surtout ukrainiens sont parvenus à un «deal» plus équilibré. Il prévoit notamment la création d’un fonds d’investissement à participation égale des deux parties pour la reconstruction du pays. En revanche, il ne fixe toujours pas les garanties de sécurité que Kiev voulait y voir figurer.

Mais qu’à cela ne tienne, les dirigeants ukrainiens peuvent être rassurés par l’environnement de sécurité implicite que l’exploitation de leurs ressources naturelles par des sociétés américaines requerra et par la déclaration de bonnes intentions formulée par le signataire américain de l’accord, le secrétaire au Trésor Scott Bessent. L’arrangement «indique clairement à la Russie que l’administration Trump est engagée dans un processus de paix centré sur une Ukraine libre, souveraine et prospère à long terme». Directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), à Paris, et spécialiste des questions relatives à l’économie des ressources naturelles, Emmanuel Hache partage ce relatif optimisme.

Une évaluation précise des ressources naturelles de l’Ukraine peut-elle être établie?

J’aurais beaucoup de mal à vous en donner une. Le dernier inventaire minier en Ukraine remonte à une période située entre les années 1980 et le début des années 1990. Depuis, il y a pu y avoir des changements, notamment des découvertes. Cela laisse la possibilité de bonnes surprises. On est sûr, en revanche, qu’il y a en Ukraine des métaux d’intérêt, ceux qui sont déjà exploités –le titane et le graphite– et ceux qui sont potentiellement exploitables –le lithium, le manganèse, le nickel et des terres rares. L’Ukraine recèlerait les principales réserves européennes de lithium. Plus globalement, elle pourrait fournir une dizaine d’éléments critiques pour les transitions bas carbone et numérique. L’intérêt n’est pas négligeable.

«C’est l’Ukraine qui pourra décider de ce qu’il faudra développer, et où le développer.»

Peut-on dire que le potentiel est important?

Selon les estimations, l’Ukraine disposerait de 5% des ressources mondiales en minerais. Il y a donc un vrai potentiel.

Le niveau d’exploitation actuel de ces ressources est-il relativement faible?

Aujourd’hui, il est faible. L’actif minier, qui inclut le pétrole et le gaz, doit représenter autour de 6% du produit intérieur brut (PIB). On évoque essentiellement aujourd’hui l’exploitation du graphite et du titane. Mais en ce qui concerne les deux grands métaux d’intérêt, le lithium et les terres rares, il n’y a pas à ce stade de processus de production, notamment parce qu’environ 30% de ces ressources sont situés dans des territoires contrôlés par la Russie.

Dans le domaine des minerais et des terres rares, l’exploitation des ressources ukrainiennes peut-elle offrir aux Etats-Unis une alternative au marché chinois et ainsi réduire la dépendance des Américains envers la Chine?

Bien sûr. L’intérêt des Etats-Unis est double. Il est effectivement de se délier de sa dépendance à l’égard de la Chine. Les Etats-Unis ont établi une liste de 55 matériaux critiques. Aujourd’hui, ils dépendent à 100% de la production étrangère pour dix métaux (dont de nombreuses terres rares) et à plus de 50% pour une trentaine d’autres. Ils dépendent à 100% de la Chine pour sept terres rares: le samarium, le gadolinium, le terbium, le dysprosium, le lutécium, l’yttrium, et le scandium. Il n’est pas anodin que ce soient les sept terres rares qui ont fait l’objet de restrictions en avril par Pékin en guise de rétorsion à la hausse des droits douaniers imposée par Washington. La Chine produit, en extraction, 70% des terres rares mondiales, les Etats-Unis 11,5%. Pour le raffinage, la Chine représente plus de 90% de la production mondiale de terres rares. Le territoire ukrainien pourrait donc, à terme, remplacer une partie des importations chinoises. Le deuxième intérêt pour les Etats-Unis dans le développement des ressources sur le territoire ukrainien est d’empêcher que la Chine ne le fasse. C’est aussi une composante importante. On est dans une situation un peu semblable à celle des Etats-Unis par rapport au Groenland. Ils entendent se positionner comme ceux qui développeront le territoire, aussi pour éviter que d’autres puissances ne le réalisent.

Y a-t-il des précédents d’accord d’Etat à Etat de ce type pour l’exploitation des minerais dans un pays?

Oui, notamment dans le chef de la Chine qui développe aussi des accords plus larges. L’arrangement entre les Etats-Unis et l’Ukraine dépasse également la seule question des minerais. Il s’agit d’un partenariat de développement économique. La Chine procède de la sorte en Afrique, notamment en République démocratique du Congo, depuis les années 2000–2010. Les accords qu’elle signe ont une dimension importante en matière de développement d’infrastructures sur le mode du donnant-donnant: «Nous développons vos infrastructures, vous nous remboursez en minerais.» Dans l’accord Etats-Unis-Ukraine, il est intéressant de pointer la question des retours financiers qui sont beaucoup plus équilibrés que ce qu’on a déjà vu dans d’autres accords.

Les dirigeants ukrainiens ont-ils réussi à rééquilibrer un accord qui, à l’origine, leur était défavorable?

Oui. Le premier projet était véritablement un accord de vassalisation. Il était déséquilibré à tous les niveaux. L’Ukraine a réussi une belle négociation. Un, elle garde la pleine possession de ses réserves. C’est très important. Deux, tout ce qui est déjà développé est hors de l’accord, et reste à l’Ukraine. Trois, dans l’accord de fin février-début mars, on avait aussi une structure d’investissement, mais elle était composée de cinq personnes, dont trois américaines. Les Etats-Unis avaient la main pour développer les exploitations là où ils le voulaient. L’accord signé le 30 avril rétablit un équilibre à 50-50. De surcroît, c’est l’Ukraine qui pourra décider de ce qu’il faudra développer, et où le développer. Ces clauses sont intéressantes. On peut parler d’un partenariat plutôt d’égal à égal. La vassalisation a disparu. Certes, la nouvelle version de l’accord ne porte plus uniquement sur les ressources minérales mais aussi sur le gaz et le pétrole. Mais globalement, elle a été bien négociée par Kiev.

«Donald Trump ne verra pas un seul minerai critique sortir des mines ukrainiennes avant la fin de son mandat.»

Quelles sont les potentialités de l’Ukraine en matière de gaz et de pétrole?

Il est difficile de déterminer ce que pourrait précisément donner à terme une production ukrainienne. La production gazière actuelle représente 0,4% de la production mondiale, ses réserves sont de l’ordre de 6% des réserves mondiales. C’est tout de même intéressant. Avec 0,6%, on n’est pas loin des réserves de la Norvège. Pour le pétrole, l’Ukraine n’apparaît pas dans les chiffres mondiaux de production et de réserves.

Cet accord n’offre pas de garanties de sécurité explicites à l’Ukraine. Sont-elles implicites, sachant que si les Etats-Unis veulent exploiter les minerais ukrainiens, ils devront assurer la sécurité des sites?

A mon sens, c’est tacite. Aucune entreprise ne va investir dans un pays en guerre. Aucune entreprise n’investira si elle n’a pas la garantie d’avoir de la stabilité. Soit c’est tacite, ce que je pense, soit on envisage que cet accord s’inscrive dans le très long terme, à un horizon de plusieurs décennies. Les industriels miniers ont déjà des difficultés à investir sur des territoires classiques. Ils n’accepteront de s’engager en Ukraine que si la stabilité, la sécurité des infrastructures en énergie, en eau, en routes, en transports sont assurées. Ce contexte est implicite. Mais ce débat fait aussi réfléchir. A quoi cet accord, finalement, servira-t-il? Les Ukrainiens considèrent que les garanties de sécurité sont tacites. Les Etats-Unis ne voudront pas qu’un seul travailleur américain se fasse tuer sur un site minier ukrainien par un bombardement russe. L’enjeu de cet accord ne porte pas sur les quelques mois ou les quelques années à venir, mais sur une période d’au moins dix ans. Pour sortir des minerais d’une mine, il faut de toute façon énormément de temps.

Hors même de circonstances de guerre, les conditions pour exploiter ces ressources seront-elles difficiles?

Cela nécessitera beaucoup d’investissements. Pour exploiter une mine, il faut explorer, trouver les gisements les plus concentrés, faire un exercice de cartographie très approfondi, dresser un inventaire… Cela prend beaucoup de temps. Il faudra aussi se poser la question de savoir comment relier ces centres miniers à des sites de transformation. Cela implique de construire des routes, des infrastructures d’approvisionnement en eau et en énergie. Entre la construction de ces infrastructures, l’établissement de l’inventaire des réserves, le financement des activités et l’exploitation finale, on peut d’ores et déjà affirmer que Donald Trump ne verra pas un seul minerai critique sortir des mines ukrainiennes avant la fin de son mandat. L’inverse est illusoire. Peut-être que les permis d’exploration pourraient être octroyés rapidement parce qu’il y a un objectif de reconstruction de l’Ukraine. Mais malgré cela, les délais nécessaires pour mobiliser les compétences, assurer les financements, reconstruire les infrastructures font que ce projet s’inscrit dans le temps long.

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