Avoirs russes gelés chez Euroclear: les menaces de représailles de Poutine sont-elles à prendre au sérieux?

Comment Poutine pourrait se venger contre la Belgique si les avoirs russes gelés chez Euroclear sont utilisés pour l’Ukraine

Kristof Clerix
Kristof Clerix Rédacteur Knack

Que se passerait-il si la Belgique acceptait de financer la reconstruction de l’Ukraine avec les fonds russes stockés chez Euroclear, à Bruxelles? Différentes sources de sécurité esquissent une série de scénarios possibles.

Non, les services de sécurité n’ont pas les nerfs aussi à vif qu’au plus fort de la menace terroriste. «A l’époque, on sentait vraiment la tension dans l’air. Ce n’est pas à ce point aujourd’hui», dit une source du monde de la sécurité belge. «Mais on remarque que tout le monde reste vigilant. Car la situation peut évoluer très vite. Et nous essayons d’anticiper cela.» Concrètement, une réunion s’est tenue la semaine dernière au Centre de crise national, au cours de laquelle des services partenaires –police, Sûreté de l’Etat et Service Général du Renseignement et de la Sécurité)– ont discuté de plusieurs scénarios possibles: comment la Russie pourrait-elle riposter si ses avoirs chez Euroclear étaient utilisés pour garantir le prêt accordé pour la reconstruction de l’Ukraine? A quoi s’attendre et comment réagir? D’après les récentes informations, le Centre de crise national est prêt à intervenir en cas de besoin.

Cyberattaques

Dans le rapport d’évaluation des risques Belgian National Risk Assessment, publié l’an dernier par le Centre de crise national, une large place est accordée aux menaces hybrides. Les cyberattaques constituent l’un des scénarios les plus plausibles envisagés par les services de sécurité belges. «L’objectif de la guerre hybride russe est d’affaiblir les Etats démocratiques par des actions telles que les cyberattaques, le sabotage, la propagande, l’intimidation et la désinformation», explique une source de sécurité. «Au cœur de cette stratégie se trouve le concept de plausible deniability: faire en sorte qu’il soit très difficile, voire impossible, d’affirmer avec certitude qui se cache derrière une attaque

Concrètement, la Belgique se prépare à des attaques ciblées visant à mettre hors service des sites web gouvernementaux. Des cyberattaques destinées à dérober des données font également partie des scénarios possibles. «Nous surveillons en permanence les menaces de cyberattaque pour les citoyens belges, les entreprises, les organisations et les infrastructures critiques, déclare Katrien Eggers, porte-parole du Centre pour la cybersécurité Belgique. Si nécessaire, nous avertissons aussi les cibles potentielles. Pour cela, nous sommes en contact non seulement avec d’autres services de sécurité, mais aussi avec de nombreuses sources et partenaires nationaux et internationaux.»

«Les cyberattaques constituent l’un des scénarios les plus plausibles envisagés par les services de sécurité belges.»

Drones

Le parquet fédéral mène actuellement 25 enquêtes à la suite des signalements de survol de drones au-dessus d’infrastructures en Belgique afin de savoir si la Russie y est impliquée. Si Moscou en serait effectivement responsable, il est plausible que le dossier Euroclear entraîne une augmentation de ces survols, en particulier autour des aéroports, ce qui pourrait entraîner des dommages économiques considérables.

Désinformation

Dans le cadre du dossier Euroclear, des campagnes de désinformation grotesques ont circulé ces dernières semaines sur les réseaux sociaux au sujet du Premier ministre belge Bart De Wever et de ses prétendus liens avec Moscou. Elles auraient probablement été pilotées à la fois du côté ukrainien et du côté russe afin de semer la division. On s’attend à ce que de telles campagnes de désinformation puissent encore s’intensifier prochainement. En Belgique, c’est avant tout le Service général du renseignement et de la sécurité (SGRS) qui en assure le monitoring.

Sabotage

La Belgique n’a pas encore été confrontée à des activités de sabotage menées par la Russie, mais des indices existent déjà dans d’autres pays européens. Port d’Anvers, approvisionnements en eau potable, réseaux électriques, réseaux de transport et autres infrastructures essentielles: les cibles potentielles de sabotage ne manquent pas dans notre pays. Dans son dernier rapport annuel, la Sûreté de l’Etat met en garde contre le recrutement d’agents freelances par les services secrets russes via les réseaux sociaux, ces recrues étant ensuite payées en cryptomonnaies. Tout commence par une mission simple dans un groupe Telegram: «Allez coller des autocollants anti-ukrainiens dans l’espace public et recevez 20 euros.» Puis viennent des missions plus risquées, comme photographier des infrastructures militaires, avec à terme, une mission de sabotage.

Port d’Anvers, approvisionnements en eau potable, réseaux électriques, réseaux de transport: les cibles potentielles de sabotage ne manquent pas.

La situation actuelle provoquée par le dossier Euroclear doit-elle nous inciter à constituer le fameux kit d’urgence dont on parle beaucoup? «Un tel kit est utile pour tout type de situation d’urgence, pas seulement pour les crises géopolitiques, nuance Yves Stevens, porte-parole du Centre national de crise. Pensez aux coupures de courant en Espagne et au Portugal, ou aux inondations dans les Ardennes. Il faut simplement se préparer. C’est le message que nous voulons faire passer pour tous les types de risques.»

Actions en justice

L’agence de presse russe TASS a annoncé la semaine dernière que la Banque centrale russe avait entamé une procédure en justice contre Euroclear via un tribunal d’arbitrage à Moscou. La banque réclame 200 milliards d’euros de dommages et intérêts. Il est possible que ce ne soit que le début d’une longue bataille judiciaire. «Il existe aussi un certain nombre de pays prorusses dans lesquels Moscou tentera de récupérer ses avoirs, explique la professeure de droit financier Veerle Colaert (KU Leuven). Euroclear détient par exemple aussi des actifs à Hong Kong, en Afrique du Sud et à Dubaï. Le 1er octobre, la Haute Cour sud-africaine a confirmé qu’un jugement russe contre Google pouvait être exécuté sur des actifs de Google en Afrique du Sud. C’est également parfaitement possible avec Euroclear.» La Russie exploitera toutes les possibilités juridiques pour faire valoir son bon droit. Cette lutte pourrait se mener sur de très nombreux fronts. Des actions en justice contre des entreprises belges en Russie ne sont pas exclues non plus.

Confisquer des entreprises belges en Russie

«Le pire scénario serait une nationalisation complète, explique un avocat spécialisé. Une entreprise en Russie pourrait alors être reprise sur la base d’un prétexte, comme le non-respect de certaines exigences administratives –de la sécurité alimentaire au droit du travail. Ils trouveront bien quelque chose. Puis un tribunal ou un ministère place quelqu’un à la tête de l’entreprise, qui défend évidemment les intérêts de l’Etat russe. Souvent, une vente est ensuite organisée, et quelques oligarques proches du Kremlin sont aux premières loges pour racheter l’entreprise.» C’est précisément pour éviter ce scénario que certaines entreprises européennes ont déjà tenté de vendre elles-mêmes leur filiale en Russie. «Mais là aussi, la Russie a déjà pris des contre-mesures, poursuit l’avocat. Si vous voulez vendre votre entreprise en Russie et que vous venez d’un soi-disant « Etat inamical », vous êtes obligé d’accorder une remise de 50% sur la valeur de votre entreprise.»

Expulser des diplomates belges

Une mesure de rétorsion classique consiste à déclarer des diplomates persona non grata. En théorie, la Russie pourrait expulser du pays les derniers diplomates belges encore présents. Pour les Affaires étrangères, ce serait une catastrophe, car le consulat belge à Saint-Pétersbourg est déjà fermé. C’est la conséquence de la réaction russe aux expulsions antérieures de dizaines de diplomates russes par la Belgique, soupçonnés d’activités de renseignement.

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