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Pour l’ancien diplomate russe Alexandre Melnik, aucun cessez-le-feu crédible ne sera possible en Ukraine tant que Poutine est au pouvoir.

Alexandre Melnik, ancien diplomate russe: «Tant que Poutine est au pouvoir, il n’y aura pas de cessez-le-feu en Ukraine» 

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Pour l’ex-diplomate russe Alexandre Melnik, la paix en Ukraine est une illusion tant que Poutine tient les rênes du Kremlin. «Tant qu’il est là, aucun cessez-le feu crédible n’est possible», dit-il dans un entretien au Vif où il évoque un Trump berné, une Europe aux abonnés absents et un conflit figé aux conséquences existentielles pour l’Occident.

Il avait promis de stopper la guerre en Ukraine en 24 heures. Cent jours après son investiture, le président américain Donald Trump est toujours au point mort, ou presque. Les avancées diplomatiques patinent face à un Vladimir Poutine qui campe sur ses positions. L’impasse commence à irriter le président républicain, qui veut sa «paix», son «trophée», son «deal», et à tout prix.

Et ce n’est pas la mini trêve proposée par Poutine pour les célébrations du 9 mai, jour férié en Russie, (il est évidemment purement dans son intérêt de ne pas voir des drones ukrainiens s’écraser sur Moscou durant les festivités) qui laisse entrevoir un cessez-le-feu durable. C’est même très cynique, puisque Zelensky avait lui-même proposé de prolonger la trêve de Pâques de 30 jours, proposition rejetée par la Russie.

Dès lors, pourquoi Poutine joue-t-il la montre face à un plan de cessez-le-feu américain si largement à l’avantage de la Russie? Trump a-t-il sous-estimé la complexité des enjeux et la ténacité de son homologue russe?

Alexandre Melnik, professeur de géopolitique à l’ICN Business School, est un ancien diplomate russe. Il représente l’URSS puis la Russie entre 1981 et 1995, à Paris, Moscou, Genève et New York, et quitte la diplomatie peu après la chute de l’URSS. Reconverti en politologue spécialiste des relations internationales, le franco-russe, qui connaît le régime soviétique comme sa poche, livre un discours ultra-critique envers Vladimir Poutine, qui «mène Trump en bateau», mais aussi l’Europe, «invisible», qui «a oublié ses propres fondamentaux.» Entretien.

Alexandre Melnik, pourquoi Vladimir Poutine joue-t-il à ce point la montre dans les négociations?

Poutine ne veut pas la paix. Il a déclenché une guerre qu’il veut terminer. Et aller jusqu’au bout. Ses objectifs n’ont pas changé: anéantir l’Ukraine, scalper Zelensky, et établir un gouvernement à la botte de la Russie. En fin de compte, Poutine ne voit pas l’Ukraine comme un pays indépendant, il veut la rattacher à l’empire russo-soviétique.

Aujourd’hui, il entame un dialogue avec Trump uniquement car il veut sortir d’un certain isolement. En rétablissant les liens avec les Etats-Unis, il souhaite redonner une image de puissance à son pays. Acquérir ce statut passe par la reprise de contact avec la première puissance du monde. Poutine joue donc la montre, fait semblant d’entretenir un dialogue sincère avec les Etats-Unis. En réalité, il mène Trump en bateau.

Pourtant, Poutine n’est pas réellement en position de force sur le terrain…

Tout à fait. Poutine roule tout le monde dans la farine. Sur la ligne de front, il n’est pas en position de force. Les Russes ne progressent pas. Pendant les funérailles du pape, et uniquement dans le but de détourner l’attention des médias, le Kremlin avait annoncé que la région de Koursk avait été entièrement libérée. Or, ce n’est pas le cas. La Russie réalise des manœuvres de diversion, et le fait qu’elle ne puisse pas reconquérir une infime partie de son territoire -en plus de neuf mois- prouve à quel point son armée est défaillante. Elle est même obligée de faire appel à la Corée du Nord; un comble pour une armée censée être la deuxième plus forte au monde.

«Les objectifs de Poutine n’ont pas changé: anéantir l’Ukraine, scalper Zelensky, et établir un gouvernement à la botte de la Russie.»

Alexandre Melnik

Contrairement à ce qu’on entend parfois, la situation sur le terrain n’est donc pas tout à fait favorable aux Russes. Par exemple, ils n’ont pas réussi à prendre la ville clé de Pokrovsk. La situation est gelée. L’Ukraine n’est pas capable de reprendre ses territoires par la force militaire, mais, de l’autre côté, les Russes n’avancent plus du tout. On est dans une configuration de PAT, comme lors d’une partie d’échecs, où aucun vainqueur ne peut être désigné. Les deux parties ne peuvent plus agir, elles sont coincées.

La dégradation de l’armée russe est également corollaire au mauvais état de l’économie du pays. L’inflation monte à 10%, les taux de crédit explosent, les investissements sont au plus bas. Poutine a déconnecté son propre pays de l’économie globale. A la différence de la Chine, par exemple, qui reste interconnectée.

«Bien entendu, le plan de cessez-le-feu américain ingurgite entièrement le narratif de Poutine.»

Alexandre Melnik

Voyez-vous, si pas une issue, une avancée diplomatique possible sur le court terme?

Sur le plan diplomatique, le situation est aussi gelée que sur la ligne de front. Je ne crois pas à la solution miracle, comme si Trump avait été touché par la grâce divine dans la basilique Saint-Pierre de Rome. La situation telle qu’on la connaît aujourd’hui va durer. Nous sommes dans une sorte d’impasse. Les deux plans de paix proposés par Trump et Poutine sont complètement incompatibles. Et ce alors que le plan américain est une fleur faite à la Russie. Il ingurgite entièrement le narratif de Poutine. Trump est d’ailleurs devenu son frère siamois. En est-il conscient? C’est une autre question.

Les conditions américaines telles que présentées dans le plan de cessez-le-feu sont-elles synonyme de capitulation pour l’Ukraine?

Bien entendu, elles sont synonymes de reddition sans conditions de l’Ukraine. La nouveauté, c’est la question de la Crimée, qui revient en première ligne. La péninsule est le nœud gordien du conflit. La guerre avait débuté en Crimée en 2014, et «doit» également s’y terminer. Ce territoire ne peut pas être cédé par les Ukrainiens. Or, la Russie estime que sa reconnaissance russe est un prérequis à toutes négociations. Ce qui prouve l’incompatibilité des plans.

«La Crimée est le nœud gordien du conflit. Ce territoire ne peut pas être cédé par les Ukrainiens. Or, la Russie estime que sa reconnaissance russe est un prérequis à toutes négociations.»

Alexandre Melnik

L’Europe semble à nouveau spectatrice des événements. Que peut ou doit-elle faire?

Elle s’est complètement assoupie pendant des années, s’est bureaucratisée, ne se reposant plus que sur le parapluie américain. Elle est devenue une sorte de bisounours, parasite et profiteuse de la force étasunienne. Aujourd’hui, on retrouve la gravité de l’Histoire, qui avait été complètement oubliée en Europe. Le Vieux continent doit effectuer un «réarmement des consciences». Et ce réveil doit servir de choc salutaire. Est-il en train de se réaliser? Je n’en suis pas certain. Pour la plupart des Européens, la guerre en Ukraine est toujours assez lointaine.

Sur le court terme, l’Europe peut-elle agir davantage?

Oui, c’est d’ailleurs ce qui manque cruellement. L’Europe doit prendre des mesures urgentes et sortir de ce bavardage interminable. Etablir une «no-fly zone» en Ukraine est par exemple une mesure concrète qu’il aurait fallu appliquer dès le début. Tout comme saisir et utiliser les avoirs russes gelés pour le financement et en finir avec le «juridiquement correct». De l’autre côté, on fait face à un homme qui ne respecte aucune loi, et qui fonce. L’Europe, elle, se cache toujours derrière les procédures. Or, à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles.   

L’UE ne semble jamais avoir été respectée en tant que puissance qui compte dans les négociations…

L’Union européenne a oublié ses propres fondamentaux. L’Ukraine, c’est l’Europe. Or, le pays de Zelensky meurt aujourd’hui, et se bat pour les valeurs qui avaient fondé la civilisation européenne. Ces mêmes valeurs peuvent sauver le monde global où la démocratie, le droit et la dignité humaine, intrinsèques à l’Occident, sont challengées partout sur la planète.

«La guerre en Ukraine n’est pas juste une histoire de partage de territoires. Elle est aussi une guerre existentielle pour le maintien des valeurs européennes de démocratie et de dignité humaine.»

Alexandre Melnik

L’Ukraine n’est donc pas juste une histoire de partage de territoires, mais une guerre existentielle. Si l’Europe ne la soutient pas par tous les moyens, elle sortira du jeu géopolitique et de l’Histoire. Cette Europe que l’on connaît disparaîtra de la carte, tout simplement. Elle deviendra, au mieux, un espèce de Disneyland pour les autres grandes puissances.

Dans ce rapport de force, où se trouve Ursula von der Leyen?

Elle est inexistante, invisible. Trump ne veut même pas lui parler, alors qu’elle devrait être le porte-drapeau des Européens. D’autant plus que le président formel de l’Europe, sur papier, est une personne dont peu de monde connaît le nom (NDLR: le président du Conseil, António Costa, successeur de Charles Michel). Cela veut juste dire qu’il n’y a aucun leadership européen. En face, les Américains sont extrêmement basiques. Ils veulent dealer, mais se plaisent à répéter, déjà depuis l’époque de Richard Nixon: «Donnez-nous le numéro de téléphone de l’Europe». Trump est beaucoup plus primitif que ses prédécesseurs, mais ce problème de visibilité n’a pas changé.

«Tant que Poutine est au pouvoir, aucun cessez-le-feu digne de ce nom ne sera signé.»

Alexandre Melnik

Où en sont les espoirs de garantie de sécurité? L’idée semblait presque acquise, avec la présence de troupes européennes sur le territoire européen. Elle est brusquement retombée…

Il faut d’abord un cessez-le-feu, et seulement après, on pourra parler de garanties. Dans les discussions, les Britanniques semblent moins allants que les Français quant à l’envoi de troupes sur le territoire ukrainien. Tout cela reste hypothétique. De toute façon, tant que le régime Poutine est au pouvoir, la présence de troupes de l’Otan en Ukraine ne sera jamais acceptée. Pire: la guerre continuera et ira crescendo. Cela peut sembler radical, mais la réalité est que tant que Poutine est au pouvoir, aucun cessez-le-feu digne de ce nom ne sera signé. Il peut évidemment y avoir des bricolages. Mais ils seront pires que les accords Minsk 1 et 2. Ils planeront telle une bombe à retardement sur la sécurité en Europe.

Donc, oui, ce flou peut et va durer. On s’engage sur du très long terme. Il faut se souvenir que cette guerre a été déclenchée par Poutine pour sauver sa peau, son régime. La guerre fait partie de son ADN. Tant que Poutine est là, cette guerre continuera. C’est une réalité cruelle, mais clinique.

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