Le rapprochement entre Américains et Européens doit conforter l’Ukraine dans les négociations avec la Russie. Si le ballet diplomatique d’Istanbul permet leur relance, ce qui est loin d’être acquis…
Volodymyr Zelensky aurait-il appris du président américain l’art du coup d’éclat opportuniste, maintenant que les deux hommes se sont réconciliés sous les ors du Vatican? Il y avait un peu de Donald Trump dans l’annonce, le 11 mai par le chef de guerre ukrainien, de sa présence quatre jours plus tard à Istanbul où il attendrait son homologue russe pour mener des négociations «directes» et «sans conditions préalables». Précisément le cadre fixé la veille par Vladimir Poutine qui suggérait la reprise de pourparlers là où les avaient laissés, dans la métropole turque en avril 2022, les émissaires des deux pays. Sur un constat d’échec, mais dans un processus qui n’avait jamais été aussi proche d’une solution pour mettre fin à la guerre provoquée par Moscou quelques semaines plus tôt.
Ping-pong diplomatique
En répondant «chiche!» au «stratège» du Kremlin, Volodymyr Zelensky l’a remarquablement piégé. On va voir pourquoi. Mais, auparavant, il importe de rappeler le contexte de cette accélération potentielle de l’agenda diplomatique. Le 9 mai, un Vladimir Poutine requinqué par les succès, ténus mais constants, de son armée en Ukraine, reçoit ses alliés, dont le Chinois Xi Jinping, à Moscou à l’occasion des cérémonies du 80e anniversaire de la défaite de l’Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale. Une démonstration de puissance devant un défilé militaire grossi par des bataillons de troupes étrangères.
A ce happening martial, les dirigeants de quatre puissances européennes opposent le lendemain à Kiev en guerre un «sommet de la paix». Autour de Zelensky, le Français Emmanuel Macron, l’Allemand Friedrich Merz, le Polonais Donald Tusk et le Britannique Keir Starmer exhortent le président russe à appliquer dès le 12 mai un cessez-le-feu de 30 jours, sans quoi ils prendront des «sanctions additionnelles, fortes, et massives». C’est pour répondre à cette demande tout en la rejetant que le président russe avancera le soir-même sa proposition de reprise des négociations stambouliotes.
Un premier piège se referme sur Poutine. Les Européens ont été habiles en associant Donald Trump à un cessez-le-feu que l’Américain appelle aussi de ses vœux. Il est lassé sans doute que les efforts américains pour parvenir à une solution négociée au conflit ne produisent pas plus d’avancées, du fait, dans son entendement désormais, de la mauvaise volonté russe. Or, Vladimir Poutine a tout intérêt à maintenir le locataire de la Maison-Blanche comme médiateur en chef des discussions à venir avec les Ukrainiens. Si ce dernier s’en détournait comme il a déjà menacé de le faire, le Russe se retrouverait face aux Européens et à des exigences plus hautes que celles que, sans doute, il pense pouvoir faire accepter à l’Américain.
Près d’un accord en 2022?
La pression redouble sur Poutine quand Donald Trump exhorte Volodymyr Zelensky à accepter l’offre de négociation du Russe et que l’Ukrainien lance son «j’attendrai Poutine en Turquie». En fait, ces annonces réciproques relèvent, pour une grande part, du bluff. Le dirigeant de Kiev pose ses conditions. Les négociations, ce sera avec comme préalable un cessez-le-feu «complet, durable, et fiable», et avec Poutine, et personne d’autre. Le maître du Kremlin a fixé implicitement les siennes: il n’y aura pas de trêve préalable, et il ne fera pas le déplacement d’Istanbul. Cela fâchera Donald Trump, qui a laissé planer la possibilité de sa présence dans la métropole turque. Mais il n’en tirera pas pour autant l’enseignement qu’a prédit Andriy Yermak, le chef du cabinet présidentiel ukrainien: «Ce sera le signal définitif que la Russie ne souhaite pas mettre fin à cette guerre, qu’elle n’est pas disposée ni prête à négocier.» Somme toute après trois années d’absence totale de contacts, il n’est pas scandaleux de redémarrer des discussions de paix avec des ministres des Affaires étrangères ou des conseillers spéciaux.
«L’Europe doit devenir plus flexible, et s’inventer de nouvelles méthodes de travail et une nouvelle organisation.»
C’était du reste l’échelon diplomatique des délégations qui avaient mené les pourparlers d’Istanbul. En avril 2022, ils s’étaient interrompus, selon les versions, à cause du choc sur Zelensky du massacre de Boutcha ou en raison des critiques du Premier ministre britannique Boris Johnson, en visite à Kiev, sur leurs résultats. Mais, de l’avis même d’un ancien conseiller de la présidence ukrainienne, Oleksiy Arestovytch, interrogé par le média en ligne UnHerd, «90% des questions litigieuses avaient été résolues d’une façon dans l’ensemble avantageuse pour l’Ukraine». De gros dossiers (avenir de la Crimée, du Donbass…) devaient cependant encore être réglés par les présidents en personne. La rencontre n’eut jamais lieu.
La voix de l’Europe entendue
Malgré le regain d’intérêt bienvenu en faveur de la négociation, il ne faut sans doute pas trop tabler sur «un miracle d’Istanbul». Vladimir Poutine n’est pas du genre à céder aux coups d’éclat, même ceux de Donald Trump ou inspirés par lui. Deux enseignements peuvent cependant être tirés de cette séquence diplomatique. L’intransigeance de Vladimir Poutine a ressoudé le front occidental et rapproché, sans doute temporairement, le président américain des dirigeants européens et, plus surprenant encore, de Volodymyr Zelensky. L’Europe, elle, a peut-être trouvé le bon module diplomatique pour réussir enfin à se faire entendre, celui de «la coalition des volontaires» qui surpasse les institutions de l’Union européenne tout en les associant, une alternative sans doute nécessaire en temps de crise aiguë.
Les initiatives menées à Londres, Paris et Kiev depuis quelques mois «sont le signe que l’Europe de la politique étrangère et de la défense commence à s’organiser […] à partir d’un certain nombre d’Etats membres qui prennent en quelque sorte le leadership pour faire avancer les choses, a analysé Pierre Vimont, ancien représentant permanent de la France auprès de l’Union européenne interrogé le 11 mai sur LCI. Cela ne veut pas dire […] qu’il faut laisser de côté les institutions européennes parce qu’on a besoin de la Commission, on a besoin des autres Etats membres. Mais cela signifie que face à une actualité qui va de plus en plus vite […], là où il faut donner du leadership et un sens de la direction vers où nous devons aller, des grands pays comme la France, l’Allemagne, la Pologne, la Grande-Bretagne, qui est à l’extérieur, doivent se mettre ensemble et faire avancer les choses. C’est cette idée qu’au fond, l’Europe doit devenir plus souple, plus flexible, doit s’inventer de nouvelles méthodes de travail, une nouvelle organisation et faire preuve de créativité et d’initiative.» La guerre en Ukraine aura décidément beaucoup appris aux Européens.
Ces enseignements sont précieux. Ils seront vraiment utiles s’ils confortent l’Ukraine dans la négociation inévitable avec la Russie. La réunion d’Istanbul n’est certainement pas un aboutissement, comme les impatients voudraient l’imaginer. Puisse-t-elle au moins être un départ pour de vraies négociations.