Les Russes attendent beaucoup de la rencontre entre Trump et Poutine en Alaska. © Getty Images

Trump-Poutine en Alaska: ce que pensent vraiment les Russes du sommet sur l’Ukraine (reportage)

En Russie, seul Vladimir Poutine décide de la guerre et de la paix en Ukraine. A la veille du sommet en Alaska, les Moscovites affichent leur confiance en une victoire. Le président Trump? «Un clown.»

Devant l’ambassade américaine, en plein cœur de Moscou, se dressent encore les grandes lettres blanches «Z», «V» et «O». Signes distinctifs de l’armée russe, peints au début de l’invasion de l’Ukraine sur les chars et autres véhicules, ils sont désormais devenus des emblèmes pour les partisans de la guerre. Les autorités de la capitale les ont placés là pour rappeler aux Américains, juste sous leurs fenêtres, qui est en train de l’emporter en Ukraine, selon elles

«Elles disparaîtront bientôt», estime Wera, Moscovite de 69 ans. Ce ne serait qu’une question de temps. Les services municipaux agissent toujours avec lenteur; il leur arrive même de retirer un sapin de Noël seulement en avril, observe cette professeure de musique.

Apprenant que Donald Trump et Vladimir Poutine vont se rencontrer, elle s’illumine: «Il était temps. Enfin.» Elle juge la nouvelle excellente et nourrit un vif espoir de paix en Ukraine. A propos de Trump, elle ne tarit pas d’éloges: un «homme charismatique» qui sait écouter et agit de manière aussi «intelligente et clairvoyante» que Poutine.

Vendredi, le chef du Kremlin sera reçu par Trump dans l’Etat américain de l’Alaska. Poutine souhaite depuis des mois un entretien en tête-à-tête avec le président américain. Après son investiture, les médias d’Etat russes ont spéculé, presque chaque jour pendant des semaines, sur une telle rencontre. Mais, en juin, Trump a changé brutalement de ton: il a troqué les louanges et l’admiration pour la colère et la frustration, reprochant à Poutine son absence totale de volonté de compromis dans la guerre contre l’Ukraine. Le président américain est même allé jusqu’à menacer la Russie et ses partenaires commerciaux de sanctions.

Cette rencontre aura finalement tout de même lieu. Faut-il y voir un signe de paix à venir? Comment les Russes l’interprètent-ils?

La méfiance domine

A Moscou, tout le monde ne partage pas l’optimisme de l’enseignante de musique Wera. Les échanges précédant le sommet en Alaska sont souvent teintés de scepticisme. «Trump est un homme compliqué, estime Natalia, 50 ans, enseignante originaire d’Ekaterinbourg, un type rusé, malin». A ses yeux, il change sans cesse d’avis.

«Trump? C’est un clown. Un showman qui multiplie les annonces populistes sans lendemain. D’abord, il annonce des sanctions et des droits de douane contre nous, et ensuite, rien ne se passe.»

Une Moscovite retraitée de 77 ans compare Trump à un serpent: «Si lisse, si agile qu’on ne peut pas l’attraper.» Elle ajoute toutefois qu’au moins il parle avec Poutine, contrairement à Joe Biden, son prédécesseur.

«Ah, lui, lâche Vadim, 48 ans, Moscovite, en entendant le nom de Trump. C’est un clown. Un showman qui multiplie les annonces populistes sans lendemain. D’abord, il annonce des sanctions et des droits de douane contre nous, et ensuite, rien ne se passe. Comment le prendre au sérieux?» Selon lui, Trump se préoccupe avant tout de son image personnelle. «Il veut le prix Nobel de la paix. Et si la paix ne tient pas, tout le monde est coupable sauf lui.»

Parler politique? Pas dans la rue

En cette quatrième année de guerre, les interviews en rue sont devenues encore plus ardues pour les correspondants occidentaux. Devant l’ambassade américaine, un policier contrôle immédiatement accréditations et passeports, et demande sur quoi portera le reportage. Lorsqu’il apprend qu’il est question du sommet avec Trump, il esquisse un sourire lourd de sens.

Plus la guerre s’éternise, plus la propagande d’Etat agressive contre l’Occident s’enracine dans les esprits. La peur, elle aussi, s’est installée: une parole de trop peut valoir des ennuis avec les autorités. La politique reste un sujet sensible, surtout en public.

Beaucoup balayent d’un geste les questions sur le sommet en Alaska, annoncé dans les journaux télévisés d’Etat –relativement sobres selon les critères de la propagande russe– comme un «événement important dans la politique mondiale».

«Je ne tiens pas de conversations politiques», déclare une femme d’une trentaine d’années, vêtue d’une robe noire et d’une veste blanche pailletée, sur la place du Manège, près du Kremlin. Elle rejoint un parterre de fleurs luxuriant pour poser devant les objectifs.

Les services municipaux ont transformé les rues et les places du centre en un vaste jardin. Sur la place du Manège, on trouve, en plus des arbres et des palmiers, une cascade et des bassins peuplés de poissons –un décor photo prisé des Russes venus de tout le pays et des touristes, surtout originaires du Moyen-Orient. Moscou devient de plus en plus belle, se réjouit une visiteuse venue de Tcheliabinsk, dans l’Oural.

«A Moscou, l’été se déroule comme si la guerre ne faisait pas rage dans le pays voisin. L’attitude générale relève d’un déni collectif.»

Déni collectif

A Moscou, l’été se déroule comme si la guerre ne faisait pas rage dans le pays voisin. L’attitude générale relève d’un déni collectif, les problèmes liés à l’Internet mobile et aux aéroports fermés durant des heures à cause des attaques de drones ukrainiens étant repoussés aussi loin que possible.

Malgré une hausse marquée des prix, l’argent continue de circuler aisément dans la capitale. Qui sait ce que demain réserve? On profite du moment présent. Les terrasses des restaurants et cafés du centre sont bondées.

Pour les interlocuteurs rencontrés, la responsabilité des combats incombe sans exception aux Etats-Unis. Alexeï, 51 ans, militaire retraité de la région de Moscou, le formule ainsi sur la place Rouge: «Les Américains ont tout planifié en Ukraine. Ils ont investi de l’argent dans cette guerre. Maintenant, ils doivent aussi y mettre fin, renverser Zelensky et donner à la Russie les territoires de l’est de l’Ukraine.» A ses yeux, il appartient à Trump de parvenir à un accord avec Poutine. «Les combats cesseront, peut-être bientôt», affirme Alexeï.

Selon l’institut indépendant russe de sondages Levada, deux tiers des Russes estiment que le Kremlin devrait engager des négociations de paix. Mais, pour la majorité, la «paix» signifie la même chose que pour Alexeï: la capitulation de l’Ukraine, conformément à la ligne impérialiste de Poutine.

«Trump danse au rythme de Poutine»

Si le gouvernement de Kiev et ses alliés européens ne trouvent pas de compromis, Trump devra intervenir –tel est le sentiment dominant. Une «hystérie» régnerait actuellement dans les Etats membres de l’UE soutenant l’Ukraine, rapporte la télévision d’Etat russe.

Les Européens, tout comme le président ukrainien Volodymyr Zelensky, n’ont jusqu’ici pas été conviés au sommet avec Poutine aux Etats-Unis. Le quotidien gouvernemental Rossijskaïa Gazeta titrait en une de son édition du lundi: «Plus loin de l’Europe –plus près de la paix», accompagné d’une photo de Poutine dans un avion.

«Notre président tient les rênes, c’est lui qui a le dernier mot.»

Pour Fiodor, étudiant en droit, une seule personne décidera en définitive: Poutine. «Notre président tient les rênes, c’est lui qui a le dernier mot. Trump danse au rythme de Poutine», affirme avec assurance ce Moscovite de 20 ans. Les territoires en Ukraine où l’armée russe est déjà présente «nous appartiennent», déclare-t-il, reprenant l’exigence du Kremlin. «Nous ne les rendrons jamais, Trump n’y pourra rien. D’abord les territoires, ensuite un cessez-le-feu.»

Même chez des partisans intransigeants comme Fiodor, subsiste néanmoins une lueur d’espoir quant à la fin de la guerre. Tôt ou tard, dit-il, «l’opération spéciale» en Ukraine devra s’achever. Il utilise le terme officiel pour désigner la vaste offensive russe, alors que la plupart l’appellent désormais «guerre» – sans la moindre critique, celle-ci étant passible de sanctions.

La raison devrait l’emporter, surtout du côté américain, estime Ievguenia, Moscovite de 50 ans. Elle compte sur l’influence des Etats-Unis. Cette vendeuse espère que le sommet en Alaska marquera une première étape vers la fin du conflit: «La guerre ne devrait exister nulle part, ni ici ni ailleurs. Tant de gens meurent.»

Dans les rues de Moscou, elle reste l’une des rares à évoquer les victimes de la guerre.

 

 

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