Des BMW à New York: une chute des ventes des voitures allemandes est attendue aux Etats-Unis. © GETTY

Droits de douane: comment Donald Trump enterre la mondialisation économique

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

En imposant des droits de douane à leurs «partenaires», les Etats-Unis rompent avec un mouvement d’ouverture ininterrompu depuis la Seconde Guerre mondiale. «Le commerce sera beaucoup plus dur.»

Les nouveaux tarifs douaniers imposés par les Etats-Unis sont entrés en vigueur le 7 août, fruits de discussions qui ont plus relevé de l’épreuve de force que de la négociation. Ils oscillent entre 10% pour le Royaume-Uni et 50% pour le Brésil. Ils ne suivent pas toujours une logique économique. Donald Trump a puni le Brésil pour les poursuites en justice engagées contre son ami, l’ancien président Jair Bolsonaro, et le Canada (35% de droits de douane) en raison de l’intention du Premier ministre Mark Carney de reconnaître en septembre l’Etat palestinien.

Que dit de l’avenir de l’économie mondiale cette politique que certains n’hésitent pas à assimiler à du «racket»? Eléments de réponse avec Sylvie Matelly, la directrice de l’Institut Jacques Delors, et Thierry Mayer, professeur d’économie à Sciences Po.

1. L’accord sera-t-il appliqué?

Comme l’essentiel des différents accords conclus avec les Etats est unilatéral (des droits de douane sur les produits entrant aux Etats-Unis sans réciprocité), il suffira que l’administration américaine les matérialise légalement pour qu’ils entrent en vigeur.

Un doute subsiste cependant sur les clauses complémentaires qu’ils contiennent, souvent des promesses d’achats d’hydrocarbures et des engagements à investir aux Etats-Unis. «La stratégie des pays partenaires des Etats-Unis peut être rapprochée de celle de la Chine lors du premier mandat de Donald Trump, c’est-à-dire faire des promesses pour permettre au président américain de brandir des chiffres mirobolants sur les exportations d’hydrocarbures et de gaz naturel vers ces pays-là, et sur les investissements sur le sol américain, analyse Thierry Mayer. A mon avis, ce n’est pas du tout crédible. L’Union européenne, le Japon et la Corée du Sud n’ont aucun moyen de forcer leurs entreprises privées à acheter préférentiellement aux Etats-Unis. Le chiffre de 750 milliards de dollars évoqué dans l’accord avec l’Union européenne n’a aucun rapport avec la réalité. Il n’est absolument pas atteignable, notamment pour des questions de contraintes d’offre aux Etats-Unis. L’objectif ne sera pas réalisé. Et dans six mois, il n’est pas exclu que Donald Trump rehausse encore les droits de douane.»

2. Quel impact pour l’Europe?

«A court terme, soit les entreprises européennes, pour préserver leurs parts de marché, réduiront leurs marges et donc gagneront moins d’argent, soit elles perdront des parts de marché. Dans l’une ou l’autre hypothèse, elles seront fragilisées, détaille Sylvie Matelly. A moyen terme, le ralentissement prévisible de la croissance et de la demande américaines entraînera un ralentissement de l’économie mondiale. A plus long terme, il est difficile d’avoir une visibilité sur les conséquences de la politique américaine des droits de douane. Mais il est clair que l’on entre dans une période de transition et pendant celle-ci, des entreprises réussiront à s’adapter et retrouveront de l’équilibre et une certaine prospérité, et d’autres souffriront, voire, peut-être, disparaîtront.»

Thierry Mayer se réfère aux évaluations établies par plusieurs organismes spécialisés pour affirmer que «le coût de cette hausse des tarifs douaniers en Europe sera très disparate selon les secteurs», mais que, «de manière agrégée, l’impact sera assez faible. Il est évalué à 0,5 point de PIB au maximum pour l’Union européenne, tandis qu’aux Etats-Unis, il pourrait se rapprocher de 1,5 voire deux points de PIB.»

Le pari du «Golden Age» de Donald Trump repose sur une relocalisation aux Etats-Unis d’usines d’entreprises étrangères. © GETTY

3. Quel effet aux Etats-Unis?

«A très court terme, c’est le consommateur américain qui paiera une grande partie de ces droits de douane, confirme Sylvie Matelly. Il y aura un effet inflationniste aux Etats-Unis. Comme les produits européens coûteront plus chers, le consommateur en achetera moins et se tournera peut-être vers des biens locaux. L’économie circulaire va sans doute prospérer. Or, les Européens sont bien avancés dans ce secteur. Il y a potentiellement là des opportunités à saisir», insiste la directrice de l’Institut Delors pour laquelle tout n’est pas nécessairement négatif dans l’accord UE-Etats-Unis.

«On n’aura plus aucun cadre. Ce sera la loi du plus fort. Et cela, on sait bien où cela mène.»

La politique de Donald Trump affectera d’abord le consommateur américain, confirme Thierry Mayer. «Dès que les textes légaux seront publiés, on assistera en premier lieu à une montée des prix. Les entreprises devront trouver de nouveaux fournisseurs et réduire leur demande. Cette tendance aura un effet à moyen terme sur la croissance. Certains économistes ont calculé que les Etats-Unis seront à peu près 2% moins riches au cours des prochaines années par rapport à la situation qu’ils auraient vécue sans cette politique sur les droits de douane», avance le professeur d’économie.

Et à plus long terme? L’objectif de Donald Trump n’est-il pas de doper l’économie américaine? «Pour la croissance à long terme, l’espoir repose sur le fait que des entreprises se relocaliseront aux Etats-Unis. Mais relocaliser une entreprise implique de construire une nouvelle usine pour un coût grosso modo d’un milliard d’euros. Pour engager ce genre de dépenses, il vaut mieux être sûr que Donald Trump ne changera pas de politique et que l’usine aura une durée de vie de 30 à 40 ans. On voit mal que des décisions d’investissement de long terme puissent être prises dans un climat d’incertitude aussi grand.»

4. La fin de la mondialisation?

Le changement de doctrine économique imprimé par le président des Etats-Unis aura inévitablement des répercusssions sur le commerce mondial, avec cette crainte que se tourne durablement la page du multilatéralisme économique et la conséquence qu’il se régionalise.

«On est à la fin du modèle fondé sur le commerce comme instrument prédominant des relations internationales en lieu et place de la guerre, qui avait émergé à la sortie de la Seconde Guerre mondiale et s’était renforcé après la fin de la guerre froide, juge Sylvie Matelly. On entre dans un monde où les protections sont de retour. Va-t-il conduire à une régionalisation? La mondialisation s’est déjà accompagnée d’une régionalisation. Ce n’est pas nouveau. Les chaînes de valeurs se sont d’abord organisées au plan régional. La Chine s’est développée parce qu’il y avait eu au préalable l’émergence du Japon et des Tigres asiatiques. Je pense davantage que le commerce sera de plus en plus fragmenté avec des relocalisations d’entreprises sur un certain nombre de territoires parce que dans différents secteurs, faire du commerce international coûtera plus cher. Va perdurer un commerce sur des flux bien spécifiques et plus un commerce global, impliquant une globalisation des chaînes de valeurs depuis la matière première jusqu’au produit fini. Dans un de mes cours, je citais il y a quelques années l’exemple d’un vélo Decathlon dans la fabrication duquel plus de 130 pays intervenaient. Ce modèle sera sans doute moins courant.»

Thierry Mayer, professeur d’économie. © ALEXIS LECOMTE

«Au départ, j’étais assez optimiste en me disant qu’en fait, si on continue une Organisation mondiale de la santé (OMC) sans les Etats-Unis et que l’on renforce les liens entre les autres pays, il est très facile de contrer la politique agressive de Donald Trump. Maintenant, je suis beaucoup plus pessimiste parce que, quand je vois que les Etats ne sont pas capables de se coordonner même sur des éléments très simples comme ne pas se laisser plumer les uns après les autres, je pense que l’on se dirige vers un monde où le commerce sera beaucoup plus dur dans tous les sens. On n’aura plus aucun cadre. Ce sera la loi du plus fort. Et cela, on sait bien où cela mène.»

   

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