Gérald Papy

Soudan : de l’icône au martyr

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Gaafar Nimeiry, le dictateur à la tête du pays de 1971 à 1985 ; Hassan al-Tourabi, l’homme de l’ombre qualifié dans les années 1990 de « pape noir du terrorisme » pour avoir abrité Carlos et Oussama ben Laden ; Omar el-Bechir, le potentat (1989-2019) accusé par la Cour pénale internationale de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre pour la répression au Darfour au milieu des années 2000… : depuis cinquante ans, le Soudan n’a pas toujours placé sur un piédestal les plus recommandables de ses enfants.

Aussi, quand la révolution populaire soudanaise lancée en décembre 2018 a offert pour icône Ala’a Salah, une étudiante en ingénierie de 22 ans toute de blanc vêtue juchée sur le toit d’une voiture, on s’est dit qu’après les atrocités du Darfour et la guerre fratricide avec le Soudan du Sud devenu indépendant en 2011, le pays du Nil blanc et du Nil bleu vivait un tournant historique.

La chute du président Omar el-Bechir le 11 avril dernier a conforté ce sentiment. Mais l’espoir d’un printemps démocratique a été stoppé net le 3 juin quand des supplétifs de l’armée, les Forces de soutien rapide, ont réprimé sans faire de quartier les participants à un sit-in de protestation devant le QG des militaires dans la capitale. A l’icône a succédé le martyr. Tué le jour du grand massacre (au moins 120 morts), Mohamed Mattar, 26 ans, aspirant ingénieur à Londres, était revenu à Khartoum pour apporter sa pierre à la révolte, c’est dire l’enthousiasme qu’elle suscitait. Pour lui rendre hommage, ses amis ont paré de sa couleur préférée le hashtag de ralliement au combat des démocrates soudanais : #BlueForSudan.

Les gradés qui composent le Conseil militaire de transition (CMT) tentent depuis le 3 juin d’imposer une chape de plomb sur la population et ses revendications, en contradiction avec leur promesse de restituer le pouvoir aux civils. L’homme clé de cette normalisation est le général Mohamed Hamdan Dagalo, dit  » Hemedti « , numéro deux du CMT, ancien responsable des milices janjawid, fers de lance de la répression au Darfour et actuel chef des Forces de soutien rapide… Le recours renouvelé à des milices peu ou prou officielles témoigne du déficit de confiance des hauts gradés dans l’armée gouvernementale, dont une partie, dit-on, serait tentée par un rapprochement avec la population insurgée.

Le drame soudanais met à nouveau en exergue le trouble jeu des militaires en période de révolution une fois un président déchu. En Egypte, ils ont réduit à une parenthèse l’ouverture démocratique après l’élection du président Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans et décédé en détention le lundi 17 juin, perçue comme une menace pour… la démocratie. Abdel Fattah al-Sissi a succédé providentiellement à Mohamed Hussein Tantawi, trop compromis avec la figure du président Moubarak. Mais l’armée est restée aux manettes, solidement arc-boutée à ses prébendes. En Algérie, le chef d’état-major et vice-ministre de la Défense Ahmed Gaïd Salah, homme fort du pays après la démission sous la pression de la rue du président Abdelaziz Bouteflika le 2 avril 2019, maintient sa promesse d’organiser des élections présidentielles. Mais il en soumet la tenue à l’éradication de la corruption au terme d’une opération qui touche les proches de l’ancien président et épargnera sans doute ses pairs militaires. Si la lutte contre les corrupteurs répond à une revendication des manifestants qui défilent dans la rue depuis quatre mois, la confiscation rallongée du pouvoir fait douter des intentions réelles des caciques de l’armée. Et au Soudan, les dirigeants du Conseil militaire de transition, cornaqués par la Russie, la Chine, l’Egypte, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, ont donc pris le parti du statu quo contre les aspirations du peuple. On est loin du rôle de garante de la démocratie d’une armée d’un Etat occidental.

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