Des milliers d’habitants de Mogadiscio, pour certains juchés sur les véhicules des forces de sécurité, célébraient jeudi dans l’allégresse l’élection la veille de leur nouveau président, Mohamed Abdullahi Mohamed « Farmajo », perçu par certains comme le seul en mesure de rassembler. Retour sur l’histoire tumulteuse d’un pays qui n’a plus eu d’Etat central depuis 25 ans.
Brandissant des portraits du vainqueur et entonnant des slogans à sa gloire, les habitants côtoyaient tout sourire soldats et policiers dans leur liesse, ces derniers tirant de temps en temps des coups de feu en l’air comme ils l’avaient fait à l’annonce des résultats mercredi soir. « Cet homme ne va pas seulement nous amener la bonne gouvernance, il va aussi unifier les Somaliens. Il est le président du peuple et nous le soutenons », déclarait à l’AFP l’un de ces soutiens, Idris Sharif.
Ancien Premier ministre pendant 8 mois, entre 2010 et 2011, Mohamed Abdullahi Mohamed, dit »Farmajo » (de l’italien « formaggio », fromage), jouit d’une vraie popularité auprès de nombreux Somaliens, y compris de la diaspora, et son élection par un collège de 329 parlementaires marque une transition pacifique. Le président sortant, Hassan Sheikh Mohamud, issu de l’un des principaux clans du pays, les Hawiye, a reconnu sa défaite au terme du deuxième tour de scrutin, permettant l’élection sans contestation de M. Mohamed, 56 ans, qui appartient au clan des Darod. « La plupart des gens l’aiment bien. Si vous regardez en arrière, ce qu’il a fait pendant la courte période où il était Premier ministre, je pense que ça pourrait être le bon choix », estimait Abdulahi Duale, un commerçant du sud de la ville.
M. Mohamed avait alors notamment introduit des soldes mensuelles pour les soldats, visité régulièrement des camps de déplacés et interdit tout voyage non essentiel à l’étranger pour les membres du gouvernement. Dans son discours de prestation de serment mercredi soir, il a notamment promis « un gouvernement pour le peuple » dont l’activité sera « fondée sur les besoins et les aspirations de la population », dans un pays où le personnel politique est souvent décrié pour son inefficacité et une corruption galopante. « Les gens espèrent que le nouveau président fera en sorte, au moins, que les forces de sécurité touchent leur salaire; s’il y parvient, cela aidera à la lutte contre les (islamistes radicaux) shebab », estimait ainsi Saïd Ali, un autre commerçant de la capitale somalienne.
– ‘Pleins d’ardeur’–
Mais tout le monde ne partage pas l’enthousiasme ambiant, à l’image de Jawahir Ali, étudiante dans une école d’infirmière. « Je ne l’ai pas soutenu pendant la campagne. Je voulais vraiment que l’ancien président (Hassan Sheikh Mohamud) revienne mais ça ne s’est pas passé comme ça et c’est la volonté de Dieu. Beaucoup de gens pensent qu’il apportera des changements mais attendons de voir », estimait la jeune femme. « Les Somaliens sont des gens pleins d’ardeur et cela les conduit (aujourd’hui) à soutenir aveuglément Farmajo mais je suis sûre que le moment viendra où ils commenceront à le maudire », a-t-elle ajouté. D’autres soulignaient les écueils à venir pour le président, et notamment la délicate formation du gouvernement.
« Il faut voir qui il choisit comme Premier ministre. Les Hawiye viennent de perdre la présidence et ils sont dominants à Mogadiscio. Ils peuvent devenir un obstacle s’ils se sentent mis sur la touche », analysait Mohamed Adan, un enseignant dans le primaire.
Passée l’euphorie de la victoire, le nouveau président sera rapidement confronté à la très difficile réalité de son poste: le gouvernement fédéral ne contrôle qu’une petite partie de la Somalie, et ce grâce au soutien vital des 22.000 hommes de la force de l’Union africaine (Amisom).
Les shebab ont multiplié ces douze derniers mois des attentats meurtriers dans la capitale et des attaques coordonnées sur des bases de l’Amisom. Le pays est par ailleurs touché par la pire sécheresse depuis 2010-2011, qui menace quelque trois millions d’habitants. Comme le résume Rashid Abdi, directeur du programme de la Corne de l’Afrique pour l’International Crisis Group, « être populaire c’est une chose, être efficace en est une autre. Il a un énorme potentiel pour réaliser de bonnes choses mais à présent, il s’agit de transformer ce potentiel en actes ».
Plus de 25 ans de guerre civile et de chaos
La Somalie est ravagée par une guerre civile et privée de véritable Etat central depuis plus de 25 ans.
– La Somalie sombre dans le chaos –
Le 27 janvier 1991, le président Mohamed Siad Barre, qui dirigeait le pays d’une main de fer depuis 1969, est chassé du pouvoir. La chute du régime marque le début d’une guerre civile dévastatrice, et plonge le pays dans l’anarchie et la famine.
La capitale Mogadiscio tombe aux mains de chefs de guerre rivaux.
– Interventions internationales –
En décembre 1992, débute l’opération militaire et humanitaire « Restore Hope » qui comptera jusqu’à 38.000 hommes, dont 28.000 Américains. Elle permettra de sauver des milliers de Somaliens de la famine, mais n’atteindra pas son but politique: réconcilier les chefs de guerre et restaurer l’Etat.
En 1993, une opération de l’ONU (Onusom) prend le relais. Mais l’intervention tourne au cauchemar pour l’armée américaine après la mort de 18 soldats dans une embuscade à Mogadiscio. Les Etats-Unis annoncent le retrait de leurs troupes, et l’ONU met fin à sa mission en 1995 sans avoir atteint ses objectifs politiques et militaires.
– Des autorités de transition à Baïdoa –
Le 10 octobre 2004, les parlementaires somaliens réunis à Nairobi –Mogadiscio n’étant pas considérée comme suffisamment sûre– élisent Abdullahi Yusuf Ahmed à la tête de la Somalie.
En 2005, les institutions mises en place à Djibouti ou au Kenya en raison de l’insécurité à Mogadiscio, reviennent en Somalie. Elles élisent domicile à Baïdoa (sud-ouest). Le président fera son entrée dans Mogadiscio en janvier 2007.
– Les Shebab liés à Al-Qaïda –
Fin décembre 2006, l’armée éthiopienne et les forces gouvernementales chassent les forces des Tribunaux islamiques de Mogadiscio et des régions qu’ils contrôlaient depuis six mois, mais sans parvenir à pacifier les régions du Sud.
Les shebab, issus d’une branche des Tribunaux islamiques, prennent la tête de l’insurrection en Somalie. En 2010, ils proclament leur allégeance à Al-Qaïda.
Ces islamistes radicaux multiplient leurs attaques contre la force africaine (Amisom) déployée à Mogadiscio en 2007 pour soutenir les fragiles autorités somaliennes. Ils revendiquent un double attentat à Kampala (76 morts), en représailles à la participation de l’Ouganda à l’Amisom.
En août 2011, les shebab sont chassés de Mogadiscio par l’Amisom, perdant progressivement l’essentiel de leurs bastions.
Mais ils contrôlent toujours de vastes zones rurales, et en représailles, lancent de nombreux raids et attentats à Mogadiscio, notamment contre les institutions. L’attaque la plus meurtrière dans la capitale, le 4 octobre 2011 contre un complexe ministériel, fait au moins 82 morts.
En septembre 2013, les shebab revendiquent l’assaut spectaculaire contre le centre commercial Westgate à Nairobi (au moins 67 morts) en représailles à l’intervention de l’armée kényane en Somalie.
En avril 2015, 148 personnes dont 142 étudiants sont massacrées lors de l’assaut de l’université de Garissa (est du Kenya), revendiqué par les islamistes somaliens.
– Elections et système clanique –
En août 2012, un Parlement est mis en place après l’adoption d’une nouvelle Constitution.
Hassan Sheikh Mohamud, soutenu par la communauté internationale, est élu un mois plus tard président de la Somalie par les députés désignés par un collège de 135 chefs coutumiers, premier chef de l’Etat élu à Mogadiscio depuis 1991.
D’octobre à décembre 2016, quelque 14.000 électeurs délégués –sur les 12 millions de Somaliens– votent pour élire les nouveaux députés, parmi des candidats généralement choisis à l’avance par consensus et représentant chaque clan ou sous-clan.
Le 27 décembre 2016, les 275 députés nouvellement élus prêtent serment.
Le 8 février 2017, l’ancien Premier ministre Mohamed Abdullahi Farmajo est élu président, à l’issue d’un vote des parlementaires placé sous haute sécurité, les autorités craignant une attaque des shebab.