Yingluck, Thaksin et Paetongtarn Shinawatra, tous anciens Premiers ministres, tous démis de leur fonction.

Thaïlande: pourquoi la «dynastie» Shinawatra est à son crépuscule

La Première ministre Paetongtarn Shinawatra a été destituée par la Cour constitutionnelle pour manquement aux règles d’éthique. La décision n’est pas sans arrière-pensée politique.

Arrivée au pouvoir à la tête du gouvernement thaïlandais il y a un an, Paetongtarn Shinawatra, fille du milliardaire controversé Thaksin, a été destituée, le 29 août, par la Cour constitutionnelle pour avoir, en plein conflit frontalier avec le Cambodge, enfreint des règles d’éthique. «Mes intentions étaient dans l’intérêt du pays, non pas pour mon profit personnel, mais pour la vie des gens, y compris les civils et les soldats», a-t-elle déclaré, ajoutant «une fois de plus, un verdict de la Cour a brusquement changé le paysage politique».

«Complaisance» avec l’ennemi

Reconnue coupable, la 31e Première ministre de Thaïlande n’aura exercé pleinement ses fonctions que dix mois. Nommée en août 2024 pour succéder à Srettha Thavisin –lui-même destitué par les neuf juges constitutionnels–, elle a été suspendue dès le 1er juillet, dans l’attente du verdict. C’est un appel téléphonique, à la mi-juin, qui a précipité sa chute. Alors que la Thaïlande et le Cambodge sont au bord d’un conflit frontalier, une conversation, enregistrée à son insu, avec l’ancien Premier ministre cambodgien Hun Sen, est d’abord diffusée par des médias cambodgiens avant de faire la Une de la presse thaïlandaise. Durant cet échange, Paetongtarn Shinawatra adopte un ton jugé trop révérencieux et, surtout, qualifie le général thaïlandais commandant la région frontalière comme l’un de ses «opposants». Une aubaine pour les milieux militaro-royalistes, rivaux historiques de la «dynastie» Shinawatra: quelques jours après la fuite, le Sénat, acquis au camp conservateur, dépose une requête visant à destituer la jeune dirigeante novice en politique.

Dans une chronique publiée sur le site du média Khaosod, le journaliste Pravit Rojanaphruk estime qu’il faudrait «rendre [la Cour constitutionnelle] responsable devant le peuple et la soumettre à un véritable contrôle –ce qui n’est actuellement pas le cas». Il précise: «Que Paetongtarn Shinawatra ait eu raison ou tort peut donner lieu à des interprétations et à des débats, mais le jugement final devrait revenir aux électeurs de tout le pays, pas seulement à neuf personnes au sein de la Cour constitutionnelle.»

Paetongtarn Shinawatra, 39 ans, est le troisième membre de la dynastie Shinawatra à être écarté du pouvoir avant le terme de son mandat. Son père, le milliardaire Thaksin, a été renversé par un coup d’Etat militaire en 2006. Et sa tante Yingluck, sœur cadette de Thaksin, a, elle aussi, été destituée en 2014, quelques semaines avant un nouveau putsch. Depuis 20 ans, la famille Shinawatra est au centre de la vie politique thaïlandaise. Malgré son exil pour échapper à des condamnations pour corruption, Thaksin a conservé l’emprise sur le Pheu Thai (PT), un parti populiste dont il est le créateur. Véritable machine électorale et pendant longtemps porte-voix de la Thaïlande rurale et populaire, cette formation a constamment irrité les élites conservatrices et promilitaires.

«Même si un nouveau Premier ministre est nommé, le gouvernement risque d’être de courte durée.»

Un parti

La donne a toutefois changé avec l’ascension spectaculaire du Move Forward –dissous depuis par la justice avant de renaître sous le nom de Parti du Peuple. Vainqueur des élections législatives de 2023, ce jeune parti progressiste, bien décidé à bousculer l’ordre établi, est rapidement devenu l’ennemi numéro un de l’establishment militaro-royaliste. Pour lui barrer la route du pouvoir, les partis conservateurs, pourtant défaits dans les urnes, ont ainsi noué une alliance de circonstance avec le Pheu Thai, utilisée comme monnaie d’échange pour permettre le retour en Thaïlande, la même année, du patriarche Thaksin, après quinze ans d’exil.

La destitution de Paetongtarn Shinawatra, cinquième cheffe de gouvernement en 17 ans à être évincée du pouvoir après une intervention judiciaire, plonge à nouveau le royaume d’Asie du Sud-Est dans une période d’incertitude. Pour Paul Chambers, chercheur invité à l’Iseas (Institute of Southeast Asian Studies) – Yusof Ishak Institute, cette énième crise reflète «l’instabilité politique interne qui règne dans le pays depuis 2005 entre, d’un côté, le palais, l’armée, les juges et les partis politiques conservateurs et, de l’autre, Thaksin et son parti Pheu Thai». Et de poursuivre: «La seule différence depuis 2023 est l’émergence d’un parti encore plus progressiste que le Pheu Thai: le Parti du peuple, qui souhaite réformer l’armée et la monarchie.» 

Une réalité qui, d’après Paul Chambers, a forcé l’establishment militaro-royaliste, «par crainte du Parti du peuple, à coopter Thaksin comme rempart au sein du Parlement et du gouvernement, afin d’empêcher le Parti du peuple de former lui-même une coalition». Selon lui, l’éviction de Paetongtarn apparaît comme une stratégie visant à affaiblir la famille Shinawatra, sans pour autant écarter totalement du jeu politique Thaksin et le Pheu Thai, jugés utiles pour contrer la menace incarnée par le Parti du Peuple, principale  force politique au Parlement et jouissant d’une forte popularité auprès des Thaïlandais, nombreux à être lassés à la fois des Shinawatra et des militaires. Thaksin Shinawatra lui-même reste sous pression: acquitté le 22 septembre 2024 dans un procès pour lèse-majesté, l’ancien Premier ministre (2001-2006) doit comparaître le 9 septembre prochain dans une autre affaire, accusé d’avoir simulé une maladie pour éviter la prison à son retour, en 2023.

Assiste-t-on au début de la fin de la dynastie Shinawatra? «Ils ont encore beaucoup de pouvoir et d’influence, mais il est clair qu’ils se trouvent dans une position beaucoup plus faible qu’auparavant», analyse Duncan McCargo, professeur à l’université de technologie de Nanyang (Singapour), dans le New York Times.

La Parlement doit prochainement se réunir pour choisir le successeur de Paetongtarn. Or, celui-ci ne peut être retenu que parmi les candidats qui se sont présentés aux élections de 2023. Il en reste cinq. «La meilleure solution pour le pays est de trouver un Premier ministre dont la seule tâche sera de dissoudre la Chambre et d’organiser de nouvelles élections générales dès que possible», a déclaré Natthaphong Ruangpanyawut, chef de file du Parti du Peuple, peu après la destitution de Paetongtarn. «Même si un nouveau Premier ministre et son cabinet sont nommés, note Purawich Watanasukh, professeur de sciences politiques à l’université Thammasat de Bangkok, le gouvernement risque d’être de courte durée, ouvrant la voie à la dissolution de la Chambre des représentants et à l’appel à de nouvelles élections.» A nouveau, la Thaïlande s’enfonce dans l’inconnu.  

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