Le spécialiste français Stéphane Bourgoin tire le portrait de tueurs en série exceptionnels, en publiant des documents souvent inédits. Voici les premiers « monstres » d’une collection insolite qui, à travers ces histoires individuelles, permet de mieux cerner la part la plus sombre de l’être humain.
Plutôt bel homme, séducteur, le regard hypnotique, escroc patenté, menteur invétéré, H. H. Holmes n’a rien à voir avec son contemporain Sherlock, le célèbre détective privé créé par l’écrivain britannique Sir Arthur Conan Doyle, en 1887. S’il a emprunté son patronyme, le prétendu Docteur Holmes – Herman Webster Mudgett de son vrai nom – est considéré comme le premier tueur en série américain et sans doute l’un des plus ingénieux. Il a multiplié les identités, épousé plusieurs femmes en même temps, n’a vécu que d’escroqueries, notamment à l’assurance-vie, et accumulé de monstrueuses dettes. Pour l’Expo universelle de 1893 à Chicago, il a fait construire un extravagant immeuble, le Holmes’ Castle, surnommé plus tard le » château de l’horreur « .
On ne sait pas combien de ses victimes périrent dans cet hôtel de trois étages, doté de dizaines de pièces, certaines insonorisées ou ignifugées, avec des passages secrets et des trappes. Ce furent des femmes dans la majorité des cas, dont une enceinte, battues à mort, brûlées, gazées, affamées, empoisonnées, avec leurs enfants parfois, pour éliminer de gênants témoins. Tout était conçu pour se débarrasser discrètement des corps. Dans une salle de bains, une trappe s’ouvrait sur un escalier menant dans une pièce sans fenêtre entre deux étages où un toboggan descendait directement jusqu’à la cave qui contenait un four crématoire, des barils d’acide, des puits remplis de chaux vive. Une chambre était dotée d’un robinet à gaz pour asphyxier ses occupants. Dans une autre, les policiers ont trouvé un attirail de chalumeaux.
Holmes possédait tous les instruments du médecin légiste et une table de dissection sur laquelle il reconstituait des squelettes. Son appât du gain le poussait à les vendre ensuite, via des petites annonces dans un journal local, à des universités où se donnaient des cours d’anatomie. Ce sont les détectives de la célèbre agence Pinkerton, engagés par une société d’assurance escroquée par Holmes, qui vont finalement confondre le tueur. Dans une confession qu’il rédige lui-même un mois avant sa pendaison, celui-ci avoue 27 meurtres. Les enquêteurs lui en attribuent bien plus, jusqu’à une centaine.

Le Docteur Holmes – auquel Martin Scorcese et Leonardo DiCaprio consacreront bientôt une minisérie – inaugure la nouvelle collection que le spécialiste français Stéphane Bourgoin a entrepris de consacrer à des livres-portraits de tueurs en série. La couverture soignée se présente sous forme de fiche anthropométrique, telle qu’utilisée par les services de Police Department américains. Ses fans le savent, le style de l’auteur est précis. Il semble écrire, un scalpel à la main. Le travail de recherche est conséquent. En atteste la bibliographie, à la fin de l’ouvrage. On s’y perd parfois dans les noms, mais la lecture n’en reste pas moins palpitante car on sait que tout ce que Bourgoin relate est vrai. Ses portraits seront tous agrémentés d’une biographie complète et de documents saisissants (certains ont été publiés dans Moi serial killer, chez Grasset, en 2017), comme la confession de Holmes, dans laquelle le tueur reconnaît : » Je suis sous l’emprise d’une manie homicide. »

The Green River Killer
» Je compte en écrire environ deux par an, annonce Stéphane Bourgoin. Je choisirai les tueurs en fonction de leur spécificité et de documents auxquels j’ai eu accès. » Le deuxième volume est sorti en même temps que celui de H. H. Holmes (1). Il est consacré à The Green River Killer. Le portrait de ce tueur en série des années 1980 est particulièrement réussi, d’autant qu’il s’inscrit dans une actualité brûlante sur les féminicides. Les femmes sont trop souvent victimes de meurtre : au moins 36 en Belgique en 2017, 39 en 2018, déjà 14 cette année. En France, où le phénomène s’avère aussi préoccupant, une manifestation très médiatisée a été organisée récemment et le gouvernement français lancera, en septembre prochain, une grande concertation sur ce fléau.
Dans son livre sur Gary Ridgway, qui a plaidé coupable pour 48 assassinats de jeunes filles et en a admis 61 durant un interrogatoire, Stéphane Bourgoin rappelle, dans un préambule édifiant, que les femmes sont les proies privilégiées des serial killers : selon le FBI, elles représentent, depuis 1985, 70 % des victimes connues des tueurs en série américains, alors qu’elles constituent 22 % des victimes du nombre total des homicides.
Ridgway s’en prenait surtout à des prostituées, au sud de Seattle où coule la Green River. Autres chiffres frappants avancés par Bourgoin : les prostituées ont dix-huit fois plus de risque d’être victimes d’un homicide que la moyenne des femmes et plus de 35 % de prostituées victimes d’homicide sont assassinées par des tueurs en série. Gary Ridgway le confiera lui-même : » Je choisis des putes parce qu’elles sont faciles à aborder, elles ne se méfient pas et elles bougent beaucoup. Lorsqu’elles disparaissent, les flics s’en foutent. »
Bien que soupçonné à deux reprises et même soumis au détecteur de mensonge, ce tueur prolifique, nécrophile, marié et père de famille, échappera pendant près de vingt ans à la justice. Dans les extraits de ses auditions que publie Bourgoin, il explique en détail son modus operandi pour repérer, attirer puis tuer les prostituées par strangulation lorsqu’il les pénètre, avant de se débarrasser de leur corps avec soin. Il reconnaît n’avoir jamais pensé à ce que ses victimes pouvaient ressentir. L’idée ne l’effleurait même pas… Condamné 48 fois à perpétuité, aujourd’hui âgé de 70 ans, il se dit fier de ses crimes et de n’avoir pas été attrapé pendant deux décennies, avant que la technique ADN soit au point.
Le « mal incarné »
Pour le troisième portrait de serial killer, Stéphane Bourgoin a choisi Carl Panzram qui a sévi dans les années 1920 avant d’être exécuté par pendaison en 1930. Contrairement à la majorité des tueurs en série, Panzram s’est attaqué exclusivement à des hommes. Il a reconnu en avoir assassiné 21, mais il n’a été reconnu coupable que d’un meurtre, celui d’un gardien de prison qu’il a battu à mort avec une barre de fer. Dès l’âge de 11 ans, après le vol d’un cake, d’une pomme et d’une arme à feu, il va connaître l’enfer de l’incarcération, celui de la reform school du Minnesota, un des centres de redressement américains où l’on apprenait aux ados délinquants les bonnes manières et la religion à coups de triques et d’abus sexuels. Il se verra ensuite plusieurs fois emprisonné, au cours de ses périples à travers la trentaine de pays qu’il parcourra.

L’intérêt pour sa carrière criminelle vengeresse à l’égard de l’humanité tout entière tient surtout au fait que Carl Panzram l’a racontée lui-même dans une autobiographie. En 1928, dans la prison de Washington DC, un jeune gardien convainc le tueur brutal et froid d’écrire son histoire. Il lui offre du papier et des crayons. Panzram va alors accoucher d’une confession incroyable d’éloquence et de lucidité qui ne sera publiée que bien des années plus tard. Il décrit les tortures dont il a été victime en prison et au sein de la reform school, puis les meurtres et les viols qu’il a commis pour » se faire justice « . Bourgoin en offrira la traduction intégrale dans son livre à paraître.
Pour l’avoir lu dans sa version originale, nous pouvons déjà révéler que ce document est fascinant, troublant même. La plupart des tueurs en série ont subi des mauvais traitements et des abus durant leur enfance, ce qui n’excuse en rien leurs crimes, mais permet de comprendre comment on devient, voire comment on fabrique un » monstre « , car, comme le dit l’expert français : » On ne naît pas tueur en série. » Dans les premières pages de son autobiographie, Panzram, qui se décrit comme le » mal incarné « , annonce la couleur : » I am sorry for two things. These two things are : I am sorry that I have mistrated some few animals in my life time and I am sorry that I am unable to murder the whole damned human race « (1). Notre société a-t-elle les monstres qu’elle mérite ? Le portrait de Panzram par Bourgoin devrait sortir cet automne.
(1) » Je suis désolé pour deux choses. Ces deux choses sont : je suis désolé d’avoir maltraité quelques animaux durant mon existence et je suis désolé d’être incapable de tuer la totalité de la foutue race humaine. »