La reconnaissance d’un Etat palestinien ne peut être pensée indépendamment de la réalité sur le terrain. Alors que le débat s’intensifie en Belgique, il faut distinguer symboles diplomatiques et leviers concrets pour aller vers une paix durable, explique Alexander Loengarov, expert en relations internationales.
Impossible de nier ces derniers mois l’omniprésence de la question israélo-palestinienne en Belgique: elle continue à occuper un poste de premier plan en politique –tant au niveau fédéral, régional que local– ainsi que dans la société, en témoignent les nombreuses manifestations dans les rues du pays.
Cependant, le débat politique et social semble souvent confondre les diverses revendications. Un cessez-le-feu et une reprise de l’aide humanitaire à la bande de Gaza sont-ils les plus importants? Que signifie exactement l’expression «sanctions» contre Israël? Envisage-t-on une solution à deux Etats ou une autre, et comment y parvenir? Dans le tumulte de ces questions, un élément surgit avec régularité: la reconnaissance (par la Belgique) d’un Etat palestinien, qui a été incluse dans la résolution approuvée par le Parlement fédéral le 28 mai 2025 «sur la situation actuelle à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est et la relance du processus de paix israélo-palestinien». En particulier, le gouvernement est appelé à s’allier à l’initiative diplomatique française visant une reconnaissance généralisée tant de la Palestine que d’Israël.
En droit international, la reconnaissance formelle d’une nouvelle entité comme Etat offre une sorte de garantie pour les Etats existants –qui sont les sujets traditionnels du droit international– qu’ils peuvent considérer le nouvel «Etat» comme un de leurs égaux et établir des relations avec lui. Parfois, la reconnaissance ne pose aucun problème, comme dans le cas de la scission de la Tchécoslovaquie; parfois, elle n’intervient qu’après un accord mettant fin à un conflit militaire, comme c’était le cas assez récemment pour le Soudan du Sud et le Timor oriental. Dans d’autres situations, la reconnaissance n’est que partielle et reste controversée, par exemple dans le cas du Kosovo et de Taïwan.
Il est remarquable que la reconnaissance belge d’un Etat palestinien –déjà reconnu par 147 pays dans le monde– soit maintenant proposée en réponse aux souffrances inhumaines dans la bande de Gaza. En effet, la reconnaissance reste un acte formel qui –à part un «upgrade» dans les relations diplomatiques (au niveau d’ambassadeur)– n’implique pas forcément de changement de politique ou d’actions sur le terrain. La reconnaissance d’un Etat palestinien par entre autres l’Espagne et la Norvège en 2024 ne semble pas avoir changé grand-chose aux conditions des populations concernées, ni dans la bande de Gaza ni dans la région. La reconnaissance suédoise en 2014 s’est également révélée largement symbolique et n’a pas permis de sortir le processus de paix de l’impasse.
«La reconnaissance reste un acte formel qui –à part un «upgrade» dans les relations diplomatiques (au niveau d’ambassadeur)– n’implique pas forcément de changement de politique ou d’actions sur le terrain.»
C’est exactement sur ce point que la résolution fédérale a trouvé le juste milieu: la reconnaissance d’un Etat palestinien est mise en rapport avec des «garanties de sécurité pour les deux Etats» (qui se reconnaissent mutuellement), la «libération des otages», le «respect de la territorialité» et la «bonne gouvernance du territoire palestinien». De façon plus générale, sa formulation se situe dans le prolongement de la page 193 de l’accord de coalition fédéral, qui semble subordonner la reconnaissance à des négociations diplomatiques entre Israéliens et Palestiniens. Ce sont effectivement les partis de la majorité qui, tout en propulsant la résolution, en sont arrivés à un compromis après avoir balancé les multiples sous-questions de l’affaire israélo-palestinienne.
Il est vrai que la reconnaissance peut véhiculer un message très fort: en l’occurrence, la communauté internationale est très largement d’accord pour signifier à Israël qu’elle ne tolérera pas l’annexion, de jure ou de facto, de territoire palestinien. En effet, bien que la majorité de la population israélienne souhaite la fin de la guerre actuelle afin de rapatrier les 56 otages en vie ou décédés, des forces extrémistes au sein et autour du gouvernement Netanyahou préparent la réimplantation de colonies israéliennes dans la bande de Gaza et perpétuent la même politique en Cisjordanie.
«En raison des meurtres et des destructions perpétrés par le Hamas le 7 octobre 2023 et la prise d’otages en cours, l’idée d’un Etat palestinien bénéficie actuellement d’un soutien extrêmement faible parmi les Israéliens juifs.»
De façon plus large, cependant, en raison des meurtres et des destructions perpétrés par le Hamas le 7 octobre 2023 et la prise d’otages en cours, l’idée d’un Etat palestinien bénéficie actuellement d’un soutien extrêmement faible parmi les Israéliens juifs. Dans ce contexte, il est crucial de se garder du chiffon rouge proverbial qui risque de donner encore davantage de vent dans les voiles aux extrémistes. A nouveau, les conditions dont fait état la résolution du parlement fédéral indiquent ce qui est indispensable pour qu’Israéliens et Palestiniens puissent connaître une certaine accalmie et s’engager finalement dans un processus de plus longue durée.
La survie politique de Netanyahou
Par ailleurs, une bonne compréhension des évolutions en Israël est indispensable pour mener une politique efficace au Moyen-Orient. Pour de nombreux Israéliens, la guerre actuelle ne vise qu’à assurer la survie politique du Premier ministre Netanyahou (la stabilité du gouvernement repose sur deux partis extrémistes) et à lui éviter la prison (depuis des mois, le Premier ministre comparaît plusieurs fois par semaine comme accusé dans trois affaires). Si le cessez-le-feu fait donc partie du consensus, une solution plus ambitieuse à la question israélo-palestinienne –qui dépasse largement le champ de bataille actuel– nécessite une approche plus élaborée.
«Il semble que ce soient principalement les Etats-Unis et les pays arabes qui peuvent exercer une certaine influence sur les parties belligérantes.»
En tout état de cause, un avenir meilleur pour Palestiniens et Israéliens ne dépendra pas uniquement de la France, de la Belgique ou d’autres pays européens. Même si leurs voix seront certainement entendues –surtout si exprimées à l’unisson– il semble que ce soient principalement les Etats-Unis et les pays arabes qui peuvent exercer une certaine influence sur les parties belligérantes. Ici non plus, néanmoins, les relations ne se peignent en noir et blanc. Ces dernières semaines, Israël s’interroge sérieusement sur le futur du traditionnel support américain, après que Donald Trump a clairement signifié qu’il attend la fin de la guerre, et après qu’il ait sauté Jérusalem lors de son récent voyage au Moyen-Orient. D’autre part, les perspectives d’une normalisation israélo-saoudienne restent tiraillées par la tension entre le fort désir israélien de nouer des liens officiels avec l’Arabie Saoudite et l’incapacité de concevoir un Etat palestinien tel que demandé par celle-ci.
En Europe, de toute manière, nous ferions bien de concentrer nos efforts sur ce qui a souvent été nécessaire dans notre propre histoire: réconcilier des groupes de population incapables de vivre ensemble ou en paix (relative). C’est précisément par une approche sociétale –portant sur l’éducation, la politique linguistique et les médias, tout comme les activités de commémoration– que l’Europe peut apporter une valeur ajoutée. Cela n’exclut pas le symbolisme de la «haute diplomatie», mais il s’agit de bien plus que cela, et peut ainsi jeter les bases d’une solution plus durable au Moyen-Orient.
Alexander Loengarov
Alexander Loengarov est chercheur associé à la Faculté de Droit et Criminologie de la KU Leuven et un ancien fonctionnaire du Comité économique et social européen. Il s’exprime ici en son propre nom. Une version antérieure de la tribune a été publiée sur Knack.be.
(Le titre est de la rédaction. Titre original: «Une résolution équilibrée et nuancée: pourquoi la reconnaissance d’un Etat palestinien ne saurait être dissociée de la situation sur le terrain»)