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RDC: une transition historique et contestée

Le Vif

Une première contestée, mais une première quand même: la République démocratique du Congo s’apprête jeudi à vivre une transmission pacifique sans précédent du pouvoir présidentiel, qui va passer des mains de Joseph Kabila à Félix Tshisekedi.

Cet événement inédit au Congo et rare en Afrique centrale est le résultat, outre les élections du 30 décembre, d’un « rapprochement » entre le président sortant et son successeur issu de l’opposition et des pressions sur le pouvoir en place depuis quatre ans.

« Moi Félix Tshisekedi, élu président de la République, je jure…. ». L’opposant Félix Tshisekedi va officiellement devenir jeudi le cinquième président de la République démocratique du Congo, à l’heure d’une première alternance pacifique, mais contestée par un autre opposant.

RDC: une transition historique et contestée
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Aux alentours de 13h00 (12H00 GMT), Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, 55 ans, doit prêter serment au palais de la Nation, siège de l’actuelle présidence au bord du fleuve Congo, où l’indépendance avait été proclamée le 30 juin 1960. Le nouveau président, « Fatshi » pour ses proches, va prendre le relais du chef de l’État sortant, Joseph Kabila Kabange, 47 ans, dont 18 à la tête du plus vaste pays d’Afrique sub-saharienne. Les deux hommes entreront dans l’histoire comme les acteurs de la première transition sans violence ni effusion de sang de l’histoire congolaise. Une histoire marquée par deux coups d’État (1965 et 1997), les deux assassinats des dirigeants Patrice Lumumba en 1961 et Laurent-Désiré Kabila en 2001, et deux guerres qui ont ravagé l’Est du pays entre 1996 et 2003.

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« J’en appelle donc à une grande coalition de toutes les forces progressistes », a lui-même déclaré le président sortant Joseph Kabila dans un message à la chaîne d’Etat RTNC mercredi soir. Le résultat contradictoire de la présidentielle et des législatives « veut dire non pas un appel à la cohabitation » mais un appel aux leaders politiques « à regarder dans la même direction, à coaliser leurs efforts et à travailler ensemble », a-t-il insisté.

« Reculer pour mieux sauter »

« Le président s’est rendu compte au fil des ans que la haine montait contre lui », confie un membre de son entourage. M. Kabila confirme en expliquant à Jeune Afrique pourquoi il s’est laissé poussé une barbe poivre et sel: « Il y a deux ans et demi environ, je me suis posé beaucoup de questions sur l’origine de la haine que certaines personnes éprouvaient à mon encontre. Cela a déclenché en moi un sentiment de révolte. Cette barbe, c’est celle du rebelle que dans le fond je n’ai jamais cessé d’être ». Conséquence: M. Kabila n’a pas bricolé la Constitution pour rester au pouvoir, comme l’ont fait d’autres dans la région (Denis Sassou Nguesso à Brazzaville ou Paul Kagame au Rwanda). Il a espéré conserver le pouvoir à travers son « dauphin », l’ex-ministre de l’Intérieur sous sanctions européennes Emmanuel Ramazani Shadary. « Mais Ramazani Shadary a symbolisé le rejet (du pouvoir en place). En fin stratège militaire, le président a préféré reculer pour mieux sauter », avance la source dans son entourage. Certains prêtent au président Kabila, qui reste sénateur à vie au sein d’une confortable majorité parlementaire, l’intention de revenir au pouvoir, sur le modèle de Vladimir Poutine quand il avait temporairement confié les rênes de la Russie à Dimitri Medvedev. « Je ne lis pas le russe. Il faudra que je m’y mette », a plaisanté M. Kabila interrogé par Jeune Afrique. A 47 ans, il reste le plus jeune président africain à l’heure de sa sortie, après le Malgache Andry Rajoelina.

La cérémonie doit avoir lieu en présence de « chefs d’État, des gouvernements et de délégations », sans autre précision. Des chefs d’État africains ont salué dès dimanche l’élection de M. Tshisekedi (Afrique du Sud, Kenya, Burundi, Tanzanie), et d’autres se sont fait attendre un peu plus longtemps, dont deux des neuf voisins de la RDC (Angola et Congo-Brazzaville).

L’Union africaine (UA) et l’Union européenne, dans un communiqué conjoint, ont plus froidement « pris note » du résultat de l’élection contestée par l’opposant Martin Fayulu. L’UA et l’UE, tout comme les États-Unis, se sont déclarés prêts à travailler avec le nouveau président. Les Etats-Unis et la France doivent être représentés par leur ambassadeur à Kinshasa.

Pendant la cérémonie d’investiture, le président élu doit recevoir « les symboles du pouvoir » des mains de Joseph Kabila, avant de prononcer un discours. Qui va rester au palais de la Nation? À 14h00, le président sortant doit se retirer dans son bureau avec son épouse, tandis que le nouveau président et la première dame vont aller dans la salle VIP, avant un « entretien en tête à tête » et la « fin de la cérémonie ».

– « Partage du pouvoir » –

Le symbole du siège de la présidence est l’une des multiples questions qui se posent. Des signes de changement sont perceptibles. Mercredi, la chaîne d’État a ouvert son journal du soir avec un reportage sur la joie et l’impatience des militants de l’UDPS, le parti de M. Tshisekedi. Un signe de pluralisme impensable il y a quelques jours dans la ligne rédactionnelle de la RTNC.

Félix Tshisekedi
Félix Tshisekedi © CAROLINE THIRION/BELGAIMAGE

Façonnées par Kabila, l’armée et les forces de sécurité vont devoir aussi faire preuve de fidélité républicaine envers le nouveau président. Largement favorable au président Kabila (337 sièges sur 500), l’Assemblée nationale va faire sa rentrée lundi, près d’un mois après les élections du 30 décembre.

C’est parmi cette majorité que Félix Tshisekedi va devoir choisir un Premier ministre. Les noms du de cabinet du président Kabila, Néhémie Mwilanya Wilondja, et du grand patron congolais Albert Yuma circulent dans la presse congolaise, entre autres spéculations. Dans son message d’au revoir mercredi soir, le président Kabila a encouragé les « leaders politiques » à privilégier une « coalition » plutôt que la « cohabitation ». Les pro-Tshisekedi et les pro-Kabila ont signé un « accord de coalition politique » et de « partage du pouvoir », selon un document que l’AFP s’est procuré. L’accord prévoit que les ministères régaliens (Affaires étrangères, Défense, Intérieur) doivent « comme cela est de doctrine certaine, revenir à la famille politique du président élu ».

L’opposant Martin Fayulu a dénoncé un « putsch électoral » orchestré par M. Kabila avec la complicité de Félix Tshisekedi. Il revendique la victoire avec 60% des voix et se proclame seul président élu légitime. Son alliée, Eve Bazaiba (Mouvement de libération du Congo, MLC), a d’ores et déjà refusé un gouvernement d’union nationale avec les nouveaux dirigeants : « L’État de droit ne signifie pas arrangement, combine et combinaison pour gérer le pouvoir. Ce qui est mal conçu, ce qui est mal préparé va continuer négativement ».

Martin Fayulu
Martin Fayulu © caroline thirion

Le nouveau gouvernement va prendre la direction d’un pays riche en minerais, mais dont les deux tiers des 80 millions d’habitants survivent avec moins de deux dollars par jour. La nouvelle équipe va subir de plein fouet la chute des cours du cobalt, qui ont chuté en quelques mois de 100.000 à 35.000 dollars la tonne.

Cette baisse brutale devrait être un coup dur pour l’État, qui misait beaucoup sur une réforme du code minier relevant la taxation des producteurs de cobalt. La RDC en est le premier exportateur mondial.

La République démocratique du Congo depuis la présidentielle

– Élections retardées

Le 30 décembre 2018, après trois reports, les Congolais élisent le successeur de Joseph Kabila, au pouvoir depuis 2001 et dont le mandat s’est terminé fin 2016. Le vote est repoussé à mars 2019 dans deux régions touchées par Ebola et des tueries.

– Longue attente des résultats

  • Le 31 décembre, internet est suspendu. L’Église congolaise relève des anomalies dans le comptage des voix.
  • Le 2 janvier 2019, Kinshasa retire son accréditation à la correspondante de RFI et coupe le signal de la radio, jusqu’au 21 janvier. Les appels de la communauté internationale à respecter le choix des électeurs se multiplient.

– Victoire contestée de Tshisekedi

Dix jours après le scrutin, l’opposant Félix Tshisekedi est déclaré vainqueur avec 38,57% des voix, devant l’autre candidat de l’opposition divisée, Martin Fayulu (34,8%), et le dauphin du président sortant, l’ex-ministre de l’Intérieur Emmanuel Ramazani Shadary (23,8%). Martin Fayulu dénonce un « putsch électoral ». Les résultats sont mis en doute par l’Église catholique et la France, et les États-Unis réclament une « clarification ».

  • Le 11 janvier, un couvre-feu est décrété à Kikwit, fief de Martin Fayulu, où au moins neuf personnes ont été tuées lors des manifestations.

– Vers une cohabitation avec les pro-Kabila

  • Le 12 janvier, les résultats des législatives consacrent la victoire de la majorité sortante. Le Premier ministre devrait donc être choisi parmi les soutiens à Joseph Kabila.

– Tshisekedi confirmé

  • Le 13 janvier, la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) réclame un recomptage des voix de la présidentielle.
  • Le 15 janvier des fuites de documents dans la presse étrangère donnent vainqueur M. Fayulu, qui a déposé un recours devant la Cour constitutionnelle.
  • Le 17 janvier, l’Union africaine (UA) exprime des « doutes sérieux » sur les résultats et demande que leur proclamation soit suspendue.
  • Le 20 janvier, Félix Tshisekedi est définitivement proclamé président. Plusieurs pays africains le félicitent.
  • Le 22 janvier, l’UA et l’Union européenne se disent « prêtes à travailler » avec lui.

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