Le 27 octobre 2025, le gouverneur du Darfour, allié à l'armée soudanaise, a appelé à la « protection des civils » dans la ville d'El-Fasher, frappée par la famine, après que les Forces de soutien rapide (RSF), une milice paramilitaire, ont déclaré en avoir pris le contrôle.Rapid Support Forces (RSF) / AFP

«Un enfer encore plus noir»: au moins 2.000 civils tués, que se passe-t-il au Soudan?

Le Conseil de sécurité de l’ONU a exprimé sa «profonde inquiétude» face à l’«escalade» au Soudan. Des responsables onusiens parlent d’une ville «plongée dans un enfer encore plus noir.»

Au moins 2.000 civils auraient été tués à El-Fasher depuis la prise de la ville par les Forces de soutien rapide (FSR) dimanche, selon des sources concordantes et des analyses d’images qui documentent des exécutions de civils, parfois ciblées sur des critères ethniques. Les témoignages évoquent des fouilles maison par maison, des corps abandonnés dans les rues et des fosses improvisées. Les responsables onusiens parlent d’atrocités, de viols et de mutilations. La session d’urgence du Conseil de sécurité, convoquée jeudi, a entendu un constat sans détour: El-Fasher a «basculé dans un enfer encore plus noir.»

La guerre a franchi un seuil. La chute d’El-Fasher, capitale du Darfour-Nord et dernière grande ville de la région à échapper aux FSR, accorde à ces dernières le contrôle de l’ensemble du Darfour. L’ONU décrit une spirale d’attaques contre les civils et des représailles à grande échelle. Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme parle d’«exécutions sommaires» et de détentions arbitraires, sur la base de vidéos vérifiées et de recoupements de terrain. Human Rights Watch a publié des éléments qui confirment des exécutions sur les routes de l’exode. Les FSR, eux, nient viser des civils.

Le bilan se précise autour de faits graves et documentés, l’Organisation mondiale de la santé a condamné le meurtre d’au moins 460 patients et accompagnants au sein de l’hôpital de la Maternité saoudienne d’El-Fasher. Le directeur de l’OMS a parlé d’un acte «tragique» et demandé la fin des attaques contre les structures de santé. La coupure quasi totale des communications dans la ville complique toutefois la consolidation des chiffres et le recensement des victimes.

Sur les routes qui mènent à l’ouest du Soudan, la fuite est décrite comme continue. Selon l’Organisation internationale pour les migrations, plus de 36.000 personnes ont quitté El-Fasher depuis dimanche, dont une majorité vers Tawila, déjà saturée par des centaines de milliers de déplacés. Les humanitaires décrivent des familles épuisées, des enfants dénutris, des arrivées à pied après des journées de marche, des pillages en chemin et des violences à proximité des checkpoints. Les besoins prioritaires restent l’eau, la nourriture, les soins et la protection.

Au-delà d’El-Fasher, la ligne de front s’étire. Au Kordofan-Nord, la ville de Bara est devenue un verrou stratégique sur l’axe qui relie le Darfour à Khartoum. C’est là que cinq volontaires du Croissant-Rouge soudanais ont été tués lundi lors d’une mission de distribution alimentaire, un acte condamné par la Fédération internationale et le Comité international de la Croix-Rouge. L’ONU recense d’autres exécutions sommaires dans la même localité. Ces meurtres témoignent de la dégradation accélérée d’un conflit qui cible aussi celles et ceux qui tentent de secourir les civils.

Les responsables onusiens pointent aussi le rôle des soutiens extérieurs et l’afflux d’armes. A New York, ils ont évoqué un «échec collectif» à prévenir l’escalade, et appelé les Etats à respecter l’embargo, à couper les flux logistiques et à ouvrir des corridors humanitaires. Les discussions sur une trêve, conduites depuis des mois par le «Quad» regroupant Etats-Unis, Egypte, Emirats arabes unis et Arabie saoudite, n’ont pas abouti. Pendant ce temps, des dizaines de milliers de personnes quittent El-Fasher vers une région déjà sinistrée par la faim et les épidémies.

Pourquoi la prise d’El-Fasher change la guerre?

El-Fasher concentrait des camps de déplacés depuis les violences du début des années 2000. Sa chute, après 18 mois de siège, redistribue la carte militaire au Darfour. Les FSR contrôlent désormais l’ouest soudanais, ses routes et une partie des ressources, quand l’armée conserve l’est et le nord, y compris Port-Soudan, siège du gouvernement pro-armée. La prise de la capitale du Darfour-Nord risque d’entraîner une fragmentation durable du pays et de relancer des cycles de violences ethniques contre les Massalit, les Four ou les Zaghawa, déjà visés au cours des précédentes vagues d’attaques. C’est ce scénario que l’ONU redoute expressément.

Les images qui émergent d’El-Fasher tracent une même trame. Des colonnes de familles qui fuient vers Tawila. Des exécutions filmées et diffusées par leurs auteurs. Des maisons incendiées. Des enterrements à la hâte. Les analyses d’images satellite du Humanitarian Research Lab de l’université Yale font état de zones de couleur rouge et de regroupements d’objets compatibles avec des corps, près de sites identifiés de massacres. Ces éléments recoupent les vidéos que Human Rights Watch a authentifiées. Ils corroborent la nature systématique des attaques.

Lire aussi | C’est la hess par Gérald Papy : Soudan ou la malédiction des militaires

La suite dépend de deux leviers qui manquent encore: la protection des civils et l’accès humanitaire. Les organisations sur place demandent des couloirs sécurisés, des garanties contre les attaques et l’acheminement immédiat de vivres, d’eau et de médicaments. Les bilans resteront incertains tant que les réseaux seront coupés et que l’accès restera prohibé. Les rescapés qui atteignent Tawila racontent des scènes identiques: des maisons vidées, des proches manquants, des routes où l’on paie pour passer, des agressions à proximité des postes armés. Ces récits se répètent, jour après jour, comme un motif qui s’impose.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire