Alexis Deswaef a été emprisonné dans la plus dure prison israélienne durant plus de quatre jours. Bénédicte Linard a été interceptée par l’armée de Gvir et Netanyahou. Les deux membres de la flottille livrent leur récit.
L’atterrissage est douloureux. Après avoir navigué avec une flottille destinée à briser le blocus humanitaire instauré par Israël sur Gaza, Alexis Deswaef et Bénédicte Linard peinent à retrouver leurs repères dans leurs terres. L’avocat a passé plus de quatre jours dans la prison de Ketziot, «le Guantanamo israélien». La députée wallonne (Ecolo) a été renvoyée dans un avion vers Bruxelles sans que les Affaires Etrangères belges ne soient mises au courant.
Alexis Deswaef est parti mi-septembre et s’est fait arrêter la nuit du 1er au 2 octobre. Bénédicte Linard a pris la mer depuis la Sicile le 27 septembre et a été arrêtée le 8 octobre, à 4h30. Tous les deux se trouvaient encore dans les eaux internationales au moment de leur interception par l’armée israélienne, ce qui rend de facto leur arrestation illégale. Afin d’éveiller les autorités politiques sur les pratiques d’Israël et le traitement réservé aux prisonniers sur place, et conscients de leurs privilèges dépendants de leur statut, ils racontent au Vif leur captivité par l’Etat hébreu.
Une interception militaire
Alors qu’ils voguent vers Gaza, Alexis Deswaef et ses camarades nourrissent l’ambition secrète d’accoster à Gaza par l’effet de masse. Il est passé minuit lorsqu’un bateau militaire israélien s’approche et ordonne d’arrêter le moteur. «Comme c’était un ordre illégal, nous ne l’avons pas exécuté. Un autre navire est ensuite arrivé avec un canon à eau, de l’eau de mer, au jet extrêmement violent et douloureux.» Afin d’éviter d’être considérés comme des résistants menaçants, l’équipage reste sur le pont. Après deux heures de répit, «des speed boats débarquent avec à leur bord des soldats, fusils mitrailleurs pointés sur nous, lunettes de vision nocturne. Ils nous tiennent en joue, nous fouillent et nous mettent en cabine.» L’équipage est amené vers un grand bateau militaire. «Là, j’y ai vu Greta Thunberg humiliée par les soldats. Ils la tiraient par les cheveux, lui mettaient le visage au sol, la filmaient en l’insultant après lui avoir mis un drapeau israélien dans les mains.»
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Pour Bénédicte Linard et son équipage, l’arrestation a eu lieu le 8 octobre vers 4 h 30 du matin. Son équipe a à peine le temps de se préparer et de balancer les téléphones par-dessus bord que la Défense israélienne monte à bord. «Les militaires, lourdement armés, ont commencé par détruire les canaux de communication, le Garmin (GPS), les caméras, et puis, ils ont fouillé le bateau. Une caméra était trop haute, ils ont tiré dessus pour la détruire. J’étais choquée car la plupart d’entre eux avaient de 18 à 25 ans.» Là encore, des fouilles ont lieu durant lesquelles Bénédicte Linard est témoin de violences physiques à l’encontre de ses camarades. Ils sont ensuite acheminés vers ce qui ressemble à un vaisseau amiral, où le statut politique de Bénédicte Linard et des autres élus présents parmi la flottille est connu des autorités. Ils y resteront douze heures avant de rejoindre un port.
Une cage en plein soleil
«Ben Gvir, le ministre israélien de la Défense, avait dit qu’il nous traiterait comme des terroristes et il n’a pas menti», entame Alexis Deswaef. Une fois arrivé à terre, les 300 personnes arrêtées ce jour-là sont rassemblées dans un hangar où Ben Gvir en personne a fait le déplacement, accompagnés d’hommes lourdement armés et cagoulés. Durant son discours, les plus courageux entament des «Free Free Palestine», ce qui vaudra une punition à tout le groupe: tous seront attachés les mains dans le dos de 21h30 à 3 heures du matin. «A chaque fois qu’on s’endormait, on était réveillé à coups de pied.» Les membres de la flottille sont ensuite acheminés vers la prison de Ketziot, où ils seront enfermés par petits groupes dans des cages en plein soleil. Alexis Deswaef et quelques autres avaient déjà entamé une grève de la faim, refusant de manger de la nourriture «fournie par un Etat qui affame une population». Après avoir reçu une tenue de prisonnier bien trop petite pour lui, il est emmené dans une cellule prévue pour huit avec douze autres prisonniers. «La première nuit, ils nous ont empêché de dormir. Toutes les 30 minutes, ils allumaient la lumière pour nous compter, fouiller la cellule avec des chiens ou nous changer de cellule. Une fois, ils nous ont dit d’attendre face à un mur et nous ont fouillé avec des chiens. On voyait le viseur laser de l’arme passer. A ce moment-là, on a peur qu’un coup parte dans la confusion.»
🌎 « Ben Gvir s’est filmé en train de narguer des militants de la flottille capturés | AJ »
— OꟽᏗ∀ИƎ 🇫🇷 🇪🇺 (@hgndp) October 6, 2025
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Dans un port dont elle ignore le nom, Bénédicte Linard et ses alliés sont également considérés comme des criminels. «On est arrêtés, mis les mains dans le dos, la tête en avant, les genoux au sol et les fesses sur les talons. Il y avait des baffles qui crachaient une musique festive en hébreu à un volume assourdissant. Quand certains montraient des signes de faiblesse sur leurs genoux, ils se faisaient engueuler et humilier par les soldats. L’eurodéputée Mélissa Camara (Les Ecologistes) a été violentée et tirée par les cheveux. J’ai également constaté que ceux qui paraissaient plus faibles ont été laissés plus longtemps dans cette position.» Les autorités israéliennes font signer à Bénédicte Linard le «document 72», qui lui promet un retour imminent vers la Belgique. C’est là que son parcours diffère de celui d’Alexis Deswaef.
L’instrumentalisation diplomatique
Au second jour de détention à Ketziot, le vendredi, l’ambassadeur belge en Israël fait le déplacement pour rencontrer les ressortissants. «Je dois saluer son travail ainsi que celui de l’assistance consulaire depuis Bruxelles. Il est revenu le dimanche et, alors que l’idée que ma famille soit sans nouvelle de moi depuis l’arrestation devenait difficile, il a apporté des petits mots de leur part et du paracétamol. Mes larmes ont coulé. Il nous a dit qu’il nous soutenait. Pourtant, lui et les autres diplomates européens ont été humiliés par la prison à devoir attendre dehors des heures avant de nous rencontrer. Je pense que le monde politique ici ne se rend pas compte du manque de considération d’Israël à l’égard des diplomates sur place.»
L’avocat passera ensuite, avec deux autres détenus, devant un juge au sein de la prison dans le cadre d’un éventuel rapatriement. «J’ai demandé à avoir la copie du rapport d’audience mais je l’attends toujours. A un moment, la police a dit que ça avait assez duré et l’audience a cessé. Il est interpellant, dans « la seule démocratie du Moyen-Orient », de voir la justice inféodée au pouvoir exécutif et sécuritaire.»
A Bénédicte Linard, il est dit qu’elle sera menée vers un centre de détention. Après deux heures à attendre dans un fourgon climatisé au maximum (Alexis Deswaef dit avoir reçu le même traitement) en compagnie des autres élus présents sur la flottille, elle prend la route. Arrivée, ce ne sont pas des murs qu’elle et ses camarades aperçoivent par les interstices des fenêtres, mais des avions. Il s’agit de l’aéroport Ben Gourion de Tel-Aviv. Une attente longue de plusieurs heures recommence. «On a pu aller une fois aux toilettes, menottées, surveillées, et la porte ouverte. Un policier est ensuite venu nous dire que nos ambassades leur avaient demandé de les renvoyer directement dans leur pays. Un député irlandais a demandé si c’était également le cas de son ambassade, ce que le policier a confirmé. Pourtant, il n’y a pas d’ambassade irlandaise en Israël. On apprendra plus tard que nos ambassades n’étaient au courant de rien.» La députée est finalement acheminée vers un avion à destination de Berlin, son passeport est remis à l’équipe de bord. A bord, elle comprend qu’en Belgique, personne ne sait qu’elle est sur le retour et, vu qu’elle s’est débarrassée de son téléphone, elle ne sait pas l’annoncer. Ce seront les policiers allemands qui l’accueillent sur le tarmac qui lui prêteront le moyen de prévenir son compagnon et son père, qui ont ensuite prévenu les Affaires étrangères. A Zaventem, la police n’était même pas mise au courant de la procédure spéciale qui devait réceptionner l’expulsée d’Israël sur le tarmac.
Depuis sa cellule où il entendait les avions de chasse partir vers Gaza, Alexis Deswaef a constaté le traitement nettement plus sévère réservé aux membres de la flottille aux origines arabes. «Pas de docteur pour les animaux», disaient les matons aux diabétiques qui demandaient de l’assistance. Le lundi 6 octobre, avant l’aube, les Européens présents sur la flottille sont sortis de cellule et reconduits vers un avion pour Athènes. L’organisation de la flottille financera les tickets jusqu’à Zaventem. «Les mots me manquent pour décrire nos conditions de détention, alors j’ose à peine imaginer ce qui était réservé aux prisonniers palestiniens. Cela doit être au carré, voire au cube. La nuit, nous chantions des chants pour la Palestine pour que les prisonniers palestiniens nous entendent et reçoivent du courage. Ils n’ont pas répondu, ils étaient sûrement dans une aile trop isolée.»