Emmanuel Macron et Donald Trump au sommet de Charm el-Cheikh, le 13 octobre: une entente de façade. © BELGA

Proche-Orient: «Ce n’est pas un plan de paix, au mieux un plan de cessez-le-feu»

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La deuxième phase de la proposition Trump pose de nombreux problèmes. Surtout, elle ignore la quête d’autodétermination des Palestiniens, estime la politiste Stéphanie Latte Abdallah.

Directrice de recherche CNRS à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), l’historienne et anthropologue du politique Stéphanie Latte Abdallah a codirigé l’ouvrage Gaza, une guerre coloniale (Actes Sud, 2025). Avec l’utile recul de l’histoire, elle analyse la portée de l’accord conclu entre Israël et le Hamas sous l’égide du président Donald Trump.

Quel rôle ont joué les pays «alliés» du Hamas –la Turquie et le Qatar– dans la conclusion de l’accord de cessez-le-feu?

Il semblerait que la Turquie, par l’intermédiaire de son chef des services de renseignement Ibrahim Kalin, présent lors des négociations, ait exercé beaucoup de pressions sur le Hamas pour qu’il accepte l’accord. Le Qatar aurait été plus neutre. La Turquie est un nouvel acteur dans ces pourparlers puisque auparavant, ils étaient menés surtout par l’Egypte et le Qatar. Entre la défense officielle de la résistance palestinienne, y compris le Hamas, le maintien de relations commerciales avec Israël et la volonté de se positionner favorablement aux yeux de Donald Trump, elle tient ici un rôle ambivalent. Plus globalement, j’ai le sentiment que tous sont concernés financièrement par ce plan, en particulier l’Egypte qui en attend de grosses retombées alors qu’elle fait face à une crise économique. Elle a aussi signé des accords énergétiques importants avec Israël, cet été, concernant la livraison de gaz israélien jusqu’en 2040. Et ce, pour un montant de 35 milliards de dollars.

Le Hamas aura-t-il encore un pouvoir d’influence à Gaza au terme de ce plan?

Si le plan est appliqué dans son entièreté, le Hamas est censé être désarmé et ne pas du tout participer à une quelconque forme de gouvernance. Par ailleurs, il a perdu beaucoup de crédit politique lors de cette guerre, du moins auprès des Gazaouis. En revanche, plus on s’éloigne de Gaza, moins il en a perdu. Mais pour les Gazaouis, les sondages dont on peut disposer montrent depuis un an, et en dépit de leurs limites, une chute extrêmement forte de l’adhésion politique au Hamas, en raison des destructions et du génocide. Ainsi, moins de 10% des Gazaouis souhaiteraient que le Hamas gouverne Gaza après la guerre. Sa perte d’influence est aussi perceptible dans l’application de la première phase du plan Trump au vu des prisonniers palestiniens libérés dans le cadre de l’échange avec les otages israéliens. Il n’a obtenu la libération d’aucun des leaders dont il avait réclamé la remise en liberté, dont Marwan Barghouti. Il fut dans une position de relative faiblesse dans les négociations.

Stéphanie Latte Abdallah, historienne. © LAURENCE FRAGNOL
«Israël ne renoncera pas à opérer des assassinats ciblés, à bombarder de temps en temps Gaza.»

La deuxième phase du plan visant la pacification de la bande de Gaza vous paraît-elle réalisable?

Ce plan est important dans sa première phase parce qu’il impose un cessez-le-feu, permet l’entrée de l’aide humanitaire et arrête le génocide. Un élément essentiel au vu de la souffrance de la population et de l’état des destructions. Mais tout ce qui relève de la deuxième phase pose une série de problèmes. Est-elle réalisable? En réalité, on comprend que soit le Hamas et les autres groupes armés s’autodésarment, soit ils le seraient par la Force internationale d’interposition. Mais on ne voit pas bien comment cette dernière, constituée notamment de soldats des pays du Golfe et d’autres, affronterait ces groupes armés. En outre, Israël, à mon avis, ne renoncera pas à opérer des assassinats ciblés, à bombarder de temps en temps des lieux de la bande de Gaza. C’est ce qui se passe dans le cadre du cessez-le-feu intervenu au Liban: des attaques perpétuelles, soi-disant ciblées, mais qui tuent régulièrement des civils. Par ailleurs, on se trouve face à une situation de génocide et de destruction totale. Le plan Trump ne contient aucun point clair sur l’autodétermination des Palestiniens, sur la question d’un Etat et sur la future gouvernance palestinienne. Ces aspects sont reportés à très long terme. Il ne fait nullement mention non plus du droit international, des réparations et de la justice qui devraient s’appliquer suite à un tel génocide, ni des réparations après les destructions. Pour moi, à ce stade, ce n’est pas un plan de paix, c’est au mieux un plan de cessez-le-feu.

Comment éviter que les violences ne se reproduisent sans fin?

Il existe un projet un peu concurrent développé par la France et l’Union européenne: «Imagine Gaza», qui s’inscrit dans la suite du projet franco-saoudien, de la déclaration de New York et de la reconnaissance de l’Etat de Palestine par la France et une dizaine de pays en septembre dernier. Il reprend une partie de la perspective du projet Trump tout en s’adossant à ladite solution à deux Etats et en s’appuyant sur le droit international. Il contient aussi une dimension économique extrêmement forte qui replacerait les acteurs européens dans le jeu. On voit donc que se greffe sur ces projets une compétition économique quant à la reconstruction de Gaza, tout en se distinguant sur la gouvernance et la prise en compte, même relative, des attentes des habitants et des forces politiques palestiniennes. Le plan Trump assume pour le moment de construire à partir d’une tabula rasa, et sans prise en considération d’une quelconque autodétermination des Palestiniens. A terme, ce vide peut entraîner la reconduction d’une forme ou autre de conflictualité ou un écrasement total des Palestiniens en tant qu’acteurs sociopolitiques.

Depuis le 10 octobre, retour à Gaza-City, dans un paysage dévasté, pour de nombreux Palestiniens. © GETTY

L’Autorité palestinienne, que le plan Trump mentionne brièvement, sera-t-elle amenée, à terme, à gérer Gaza?

Ce n’est pas clair du tout. Ce point relève de la seconde phase du plan Trump; il est donc reporté aux calendes grecques. Même le plan franco-saoudien et le projet franco-européen reportent le règlement de ce dossier, et ne proposent pas de processus clair pour mettre en œuvre cette solution dite «à deux Etats», et empêcher l’annexion de la Cisjordanie quasi réalisée de facto. Bref, toutes les questions politiques complexes à régler pour une souveraineté palestinienne sont, comme dans le schéma du processus de paix d’Oslo qui inspire largement le plan franco-saoudien, renvoyées à beaucoup plus tard. Dans le cas du plan Trump, ce serpent de mer d’une «paix économique» est le facteur déterminant puisque les concepteurs du plan sont aussi des acteurs économiques qui participeront à le mettre en œuvre. Il apparaît clairement que le plan franco-saoudien, contrairement au plan Trump, entend maintenir l’Autorité palestinienne dans le jeu, et Mahmoud Abbas a pu être présent au Caire pour la conférence de paix, quand les autorités américaines l’avait empêché de se rendre à l’Assemblée générale des Nations unies en septembre. En revanche, on ne sait pas à quoi cela peut aboutir, car Benjamin Netanyahou est radicalement opposé à tout Etat palestinien et à toute solution politique. Par ailleurs, la décrédibilisation de l’Autorité palestinienne actuelle et sa dérive autoritaire ne favorisent pas une solution politique qui puisse résoudre les conflictualités internes à la société politique palestinienne.

«Se greffe sur ces projets une compétition économique quant à la reconstruction de Gaza.»

Les Etats-Unis s’investissent beaucoup dans l’application de la première phase du plan Trump. N’y a-t-il pas une pression forte exercée sur Israël pour qu’il ne s’en écarte pas?

On peut se poser la question des enjeux de pouvoir entre Israël et les Etats-Unis aujourd’hui. Mais dans quel sens l’appréhender? Ce plan Trump reprend beaucoup d’éléments à la fois de la «Riviera Trump» et du «plan Gaza 2035» de Benjamin Netanyahou. Et le gendre du président américain, Jared Kushner, qui est très proche du Premier ministre israélien, en est un des acteurs majeurs. Le projet peut donc être considéré comme un plan américano-israélien. Cela étant, Donald Trump a le plus probablement imposé le cessez-le-feu à Netanyahou. A l’aune notamment du constat que fait le président, au-delà de sa quête du prix Nobel de la paix, que l’opinion publique a changé aux Etats-Unis. Même parmi les républicains, et dans la base Maga de Donald Trump, un grand nombre de personnes, dans la jeunesse mais pas seulement, commencent à avoir une vision défavorable de la politique israélienne et de ses effets sur les Etats-Unis. Pour preuve, Marjorie Taylor Green, élue de Géorgie à la Chambre des représentants, qui, dans un post le 28 juillet, a ouvertement évoqué un génocide à Gaza. Même chez les chrétiens évangéliques, soi-disant toujours soutiens à la fois des républicains américains mais aussi d’Israël, on a observé un changement. Ces intérêts intérieurs poussent aussi Trump à adopter une position plus ferme par rapport à Netanyahou. La question de savoir qui influence qui à quel moment est relativement complexe. Trump n’a probablement pas été très satisfait des attaques d’Israël contre le Qatar. Mais, dans le même temps, elles se sont passées obligatoirement avec son feu vert…

Benjamin Netanyahou pourrait-il être fragilisé par l’application du plan Trump?

En fonction de la façon dont évoluera ce plan, des éléments émergeront d’un côté ou d’un autre. Soit une partie de la coalition gouvernementale de Netanyahou trouvera qu’il va trop loin, soit lui-même sera poussé à reprendre une forme de conflictualité, à ne pas se retirer des zones prévues, à continuer des frappes ciblées, etc. pour se maintenir au pouvoir. Certes, une majorité de la population voulait que le conflit s’arrête pour récupérer les otages. Mais sur le fond de son rapport à la bande de Gaza et aux Palestiniens, une majorité aussi a justifié la violence exercée contre la population gazaouie.

Entretien: G.P.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire