Le très attendu sommet entre Donald Trump et Vladimir Poutine a accouché d’une souris vendredi en Alaska. A l’issue de leur discussion, aucun des deux présidents n’a évoqué un éventuel accord sur un cessez-le-feu. Une victoire pour le dirigeant russe, estime Serge Jaumain professeur d’histoire contemporaine à l’ULB et spécialiste de l’Amérique du Nord. Voici les principaux enseignements qu’il en tire.
1. Poutine est le grand vainqueur
Selon Serge Jaumain, le président russe ressort grand vainqueur de ce sommet. D’abord, parce qu’il n’a pas été tenu d’évoquer un quelconque cessez-le-feu en Ukraine. « C’était une des grandes demandes de Trump avant leur rencontre et on n’en a même pas parlé à son issue », souligne-t-il.
Ensuite, Vladimir Poutine peut se réjouir du fait que les États-Unis ne semblent pas prêts à renforcer leurs sanctions. « On n’a aucune nouvelle des plus fortes sanctions qui auraient pu toucher la Russie et les pays qui commercent avec elle, comme l’Inde. On peut penser que le discours de Trump sera désormais beaucoup moins agressif. Or, on sait que c’est le seul langage qui fonctionne avec Poutine. Des sanctions américaines alourdies étaient certainement une des choses dont il avait le plus peur et il semble pouvoir les éviter », analyse Serge Jaumain.
Enfin, en Alaska, le dirigeant russe a marqué un joli coup sur le plan symbolique. « C’est une extraordinaire manœuvre de sa part. Ce sommet lui permet de se réintégrer sur la scène diplomatique alors qu’il est poursuivi par la Cour pénale internationale et qu’il fait l’objet d’un mandat d’arrêt. Être reçu en terre américaine par le président des Etats-Unis est une victoire, d’autant plus que plusieurs éléments l’ont mis en valeur. Je pense notamment au tapis rouge qui lui a été déroulé et au fait qu’il a été invité par Trump à prendre place à bord de son véhicule blindé pour rejoindre la salle où s’est tenu le sommet », fait valoir le spécialiste.
2. Trump semblait mal préparé
Si ce sommet a prouvé toute la force de Poutine et de son équipe, il a également illustré une forme d’impréparation dans le chef de Trump et de ses proches, estime Serge Jaumain.
« On peut être saisi par le manque de préparation des Américains. La position de Trump a beaucoup évolué. Dans un premier temps, il disait vouloir un cessez-le-feu et rencontrer Poutine en tête-à-tête. Finalement, chacun était accompagné de conseillers et il n’a plus parlé de cessez-le-feu. Ce n’est pas tellement surprenant car il y a sans doute eu un peu d’emballement autour de ce sommet, sur lequel certains avaient projeté de nombreux fantasmes en termes d’éventuels accords, mais ça en dit tout de même long sur l’efficacité de Poutine. »
Selon lui, le manque d’expérience des conseillers de Trump s’est fait ressentir. « Il ne faut pas oublier que son principal conseiller, Steve Witkoff, est un agent immobilier qui ne s’est lancé dans la diplomatie qu’il y a quelques mois. Marco Rubio est sans doute un politicien un peu plus aguerri, mais l’équipe russe était beaucoup plus expérimentée », souligne le professeur de l’ULB.
3. Un seul point positif à retenir pour l’Ukraine et l’Europe
Si on en apprendra sans doute bientôt davantage suite aux discussions entre Trump, Zelensky et les Européens, ces derniers peuvent peut-être pousser un souffle de soulagement, analyse Serge Jaumain.
« Les Européens peuvent évidemment être très déçus, mais ils pouvaient craindre un discours incontrôlé de la part de Trump. Cela n’a pas eu lieu. C’est sans doute le seul point positif à retenir pour eux », estime-t-il.
Les Ukrainiens semblent eux assez mal pris. « Pour eux, voir leur agresseur reçu avec le tapis rouge par quelqu’un qui est a priori leur meilleur allié est effroyable. Cela provoque une indignation chez eux. Mais dans le même temps, ils restent très dépendants des Américains. Le plus important pour eux reste de ne pas être lâchés par les USA », rappelle Serge Jaumain.
Après leur rencontre, Poutine a convié Trump à Moscou. Ce n’est pas pour autant que ce nouveau sommet aura bientôt lieu, nuance l’expert. « Trump avait annoncé que Zelensky serait présent lors de leur prochaine rencontre et Poutine n’a rien dit en ce sens. Si ça n’a pas lieu, ce sera une nouvelle grosse défaite pour Trump. On n’y est pas encore et il reste de nombreux points d’interrogation. La proposition de rencontre à Moscou semble être une manœuvre de dernière minute de Poutine. Trump n’a pas clairement dit qu’il l’acceptait. Il n’est pas sûr du tout qu’ils aient un accord sur un nouveau sommet », conclut-il.