Donald Trump, Volodymyr Zelensky, des chefs d’Etat et de gouvernement européens, la présidente de la Commission et le Secrétaire général de l’Otan à Washington: les Occidentaux unis?

Comment les Européens vont essayer de cornaquer Trump face à Poutine

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La séquence diplomatique d’Anchorage à Washington a permis la mise en place d’un processus de paix avec comme principale avancée les garanties de sécurité promises à l’Ukraine.

Il en avait fait l’objectif majeur de sa rencontre avec Vladimir Poutine à Anchorage, en Alaska, le 15 août. Il le clamait depuis des mois. Il l’avait mis au cœur de l’ultimatum de 50 jours que, mécontent des faux-fuyants de son homologue dans les négociations, il avait lui-même fixé le 14 juillet à la Russie, sous peine de prendre des sanctions. Et pourtant, de cessez-le-feu, il n’en a pas été question à l’issue de la rencontre alaskienne. Le signe évident d’un échec? Trois jours plus tard, devant le président Volodymyr Zelensky et les dirigeants européens réunis à Washington, la trêve espérée et avortée n’était plus qu’un élément accessoire de la négociation dans la bouche du président américain. «J’ai réglé six guerres en six mois. Il n’y a pas toujours eu de cessez-le-feu préalable», a-t-il plaidé, sûr de lui. L’insistance du chancelier allemand Friedrich Merz et du président français Emmanuel Macron à plaider l’importance d’une trêve aura offert la seule note un peu dissonante de la partie publique de la réunion des Occidentaux à la Maison-Blanche.

Ainsi va Donald Trump, brandissant un impératif un jour, l’abandonnant le lendemain. Mais cette versatilité ne l’a pas empêché de transformer un échec, en Alaska dans la première partie de cette séquence diplomatique, en un relatif succès. Les entretiens de Washington, y compris le contact téléphonique entre Trump et Poutine à l’issue des échanges en présentiel, ont produit des résultats pas dithyrambiques mais honorables: un processus de paix est sur les rails, le principe de réunions bilatérale (Poutine-Zelensky) et trilatérale (Trump-Zelensky-Poutine) est acté, une dynamique est peut-être enclenchée. Mais les obstacles sont encore multiples, et le chemin ardu.

Les Etats-Unis sont prêts à assurer la coordination des garanties de sécurité accordées à l’Ukraine.

Garanties de sécurité style Otan

Le chantier qui semble le plus avancé parmi ceux indispensables à l’émergence d’une paix durable est celui des garanties de sécurité à donner à l’Ukraine après un accord de paix. Normal, c’est celui sur lequel Vladimir Poutine a le moins de prise. Jusqu’aux rencontres de Washington, Donald Trump exprimait des réticences à ce que les Etats-Unis y participent. Réserve levée: non seulement ils y contribueront, mais ils sont prêts aussi à en assurer la coordination. Le message doit encore être décrypté. Il semble néanmoins acquis que si l’Europe assurera la majeure partie du financement de l’entreprise, les Etats-Unis y prendront une part substantielle.

Que cela implique-t-il concrètement? Donald Trump a entériné la revendication de la Russie de ne pas autoriser l’Ukraine à intégrer l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan) qui lui aurait assuré une protection en vertu de l’article 5 de sa charte qui veut que si un des membres de l’alliance est attaqué, les autres sont tenus de lui porter assistance. Les garanties de sécurité ne seront pas assurées par l’Otan, mais pourraient comprendre un mécanisme similaire à l’article 5.

La «coalition des volontaires» mise en place par les Européens depuis mars 2025 –elle comprend 31 membres dont les plus grands Etats du continent– sera vraisemblablement le maître d’œuvre du processus. Il s’agira, selon les propos d’Emmanuel Macron, d’assurer la viabilité et la solidité de l’armée ukrainienne, de «mettre en place des flux de réassurance» par air, terre et mer, dont se chargeront les volontaires européens, le tout avec le soutien des Etats-Unis, notamment en matière de renseignement, élément crucial. Ceux-ci sont doublement gagnants. Le dispositif et, en particulier, l’effort accru des Européens dans le financement de la défense ukrainienne, permettront aux Américains de tout de même se désengager progressivement du théâtre européen. Et leur industrie profitera du réarmement ukrainien et européen. Volodymyr Zelensky a annoncé à Washington une prochaine commande de systèmes Patriot de défense antiaérienne américains financée par l’Union européenne pour un montant de 100 milliards de dollars (86 milliards d’euros). Faute d’industrie locale performante sur ce type d’équipements, les Européens payeront donc les Ukrainiens pour qu’ils achètent américain…

La fascination de Donald Trump pour «l’homme fort» Vladimir Poutine pénalisera-t-elle l’Ukraine? © GETTY

Echanges de territoires

Le chantier le moins avancé du processus de négociation en vue d’un accord de paix touche à la question des territoires. Logique, c’est l’aspect le plus crucial d’un règlement de paix et les deux parties sont impliquées. La position de principe de l’Ukraine est que, la Russie l’ayant agressée, elle est fondée à récupérer l’entièreté des territoires occupés par son ennemi depuis la première agression en 2014. Le droit international impose cette restitution.

Cependant, personne, pas même en Ukraine, ne se fait d’illusions sur la possibilité que Kiev recouvre la souveraineté sur l’ensemble de son territoire d’avant 2014. A la faveur de sa première intervention, la Russie avait conquis, puis annexé, la péninsule de Crimée, et avait fomenté une insurrection séparatiste dans les provinces orientales de Louhansk et de Donetsk. Depuis 2022, elle a étendu son emprise dans ces deux oblasts, elle contrôle 99% de la première et 76% de la seconde. Et elle a conquis près des trois quarts de deux autres provinces, celles de Zaporijia et de Kherson. La carte déployée dans le Bureau ovale de la Maison-Blanche lors de l’entretien entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky affichait ces niveaux d’occupation.

La question territoriale n’a pas été évoquée dans la partie publique des rencontres de Washington. Mais le président américain a parlé à plusieurs reprises d’un nécessaire «échange de territoires» entre les deux belligérants et a jugé le 19 août au lendemain de sa rencontre avec le président ukrainien que celui-ci devrait être «flexible» dans les négociations avec la Russie. Que cela signifie-t-il? A ce stade, on en est réduit à poser des questions.

Les dirigeants ukrainiens devront-ils concéder la perte de la Crimée et des oblasts de Louhansk et de Donetsk? Si c’est le cas, le deal comprendra-t-il le 1% et les 24% de ces régions que les Russes n’occupent pas encore? Devront-ils accepter le gel de la ligne de front dans les provinces de Zaporijia et de Kherson –des informations de presse ont fait état de discussions entre Trump et Poutine à Anchorage sur un arrangement de cet ordre? Pourront-ils, à terme, récupérer ces territoires? La toute petite portion de la Russie que les Ukrainiens occupent dans la région de Koursk pourra-t-elle servir de monnaie d’échange pour préserver le caractère ukrainien d’une autre zone? Récupéreront-ils les rares terres que les Russes occupent dans les provinces de Kharkiv et de Soumy? Les tractations ne pourront être qu’ardues et longues si toutefois elles surmontent l’intransigeance de Vladimir Poutine et les difficultés qu’aura Volodymyr Zelensky à faire accepter à sa population des concessions fondamentalement inacceptables et injustes en tant que nation agressée.

Bombardement russe à Kramatorsk dans l’oblast de Donetsk, celui sur lequel les Russes concentrent leur offensive pour achever sa conquête. © GETTY

La dimension humanitaire

A côté de ce chantier titanesque, les questions humanitaires abordées à Washington, y compris devant les journalistes, semblent aisément gérables. Donald Trump a même évoqué un échange de prisonniers concernant un millier d’individus dans un délai rapproché. Pas étonnant, la poursuite parfois acharnée du conflit n’a jamais empêché ce genre d’arrangements. Les deux parties y trouvent leur compte.

Plus délicate et plus complexe est indéniablement la recherche d’une issue heureuse au sort des enfants enlevés en territoires ukrainiens occupés et déportés en Russie. C’est ce dossier extrêmement grave qui a valu à Vladimir Poutine de la part de la Cour pénale internationale (CPI), dès le 17 mars 2023, une inculpation et la délivrance d’un mandat d’arrêt international au titre des préventions «de crime de guerre de déportation illégale de population et de crime de guerre de transfert illégal de population depuis certaines zones occupées de l’Ukraine vers la Fédération de Russie, ces crimes ayant été commis à l’encontre d’enfants ukrainiens».

L’épouse du président américain, Melania Trump, s’en est fait en quelque sorte la porte-parole dans une lettre adressée au président russe, remise par son mari lors de la rencontre en Alaska, et dans laquelle, sans parler directement de l’Ukraine, elle appelle le dirigeant à «refaire rire les enfants» et à «protéger leur innocence». L’évocation laudative de cette démarche par Volodymyr Zelensky devant Donald Trump n’a pas peu contribué à mettre le président américain dans de bonnes dispositions lors du ballet diplomatique à la Maison-Blanche.

La séquence politique d’Anchorage à Washington aura sacré l’avènement d’une diplomatie de la flatterie.

Les intérêts du plus puissant

La séquence politique entamée à Anchorage et clôturée à Washington aura en effet sacré l’avènement d’une diplomatie de la flatterie. En Alaska, le président américain a plus que déroulé le tapis rouge à l’autocrate et criminel de guerre présumé. Il a amorcé sa réintégration dans le giron de la communauté internationale. Une démarche qui choque légitimement au vu des agissements du chef du Kremlin et de ses sbires de Boutcha à Marioupol. Mais cette perspective est aussi quasi le seul levier dont disposent les Occidentaux pour obtenir de lui des concessions. S’il refuse un accord de paix en Ukraine, des sanctions lourdes frapperont son pays. S’il l’accepte, s’ouvrira pour la Russie une perspective de relance lucrative des relations économiques avec les Etats-Unis.

Flatterie au zénith aussi de la part du président ukrainien et des dirigeants européens à l’adresse de Donald Trump à la Maison-Blanche. Volodymyr Zelensky avait retenu la leçon de son entrevue désastreuse du mois de février. Les chefs d’Etat et de gouvernement qui l’accompagnaient voulaient à la fois saluer l’initiative de leur collègue américain qui, a minima, a débloqué une situation paralysée, et à la fois le cornaquer pour qu’il prenne en considération les préoccupations ukrainiennes et européennes et qu’il ne cède pas à toutes les revendications d’un Vladimir Poutine dont on n’a pas encore perçu les concessions qu’il pourrait lâcher. L’idée défendue par Emmanuel Macron (et a priori pas rejetée par Donald Trump) d’une réunion quadripartite (Etats-Unis, Russie, Ukraine, Europe) en plus des entretiens bilatéraux et trilatéraux prévus, illustre cette prise en compte.

Cependant, l’implication actuelle du président américain pourrait n’avoir qu’un temps. Car comme l’indiquait dans l’hebdomadaire Le Point l’ancien ambassadeur de France aux Etats-Unis Gérard Araud, «rien ne pèse quand une grande puissance a conclu que ses intérêts exigent de sacrifier un moindre sire».

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