Le Premier ministre israélien est résolu à occuper totalement le territoire palestinien. Le feu vert du Hamas à un accord sur la libération des otages lui pose toutefois un sérieux dilemme.
Rien n’arrête Benjamin Netanyahou. Ni les réserves de la hiérarchie de l’armée ni la contestation des familles des otages et leurs alliés. Et comme à ce stade, une opposition de Donald Trump apparaît illusoire, le Premier ministre israélien va mettre en œuvre le plan d’occupation progressive de la bande de Gaza décidé par le gouvernement le 8 août. Des bombardements de certaines zones de la ville de Gaza opérés depuis le 14 août, en particulier sur le quartier de Zeitoun, en dessinent les prémices.
«Nous maintiendrons l’étau de l’opération « Chars de Gédéon » (NDLR: lancée le 16 mai) tout en nous concentrant sur Gaza City. […] Nous continuerons à frapper jusqu’à ce que le Hamas soit vaincu, tout en gardant les yeux rivés sur les otages. Nous agirons selon une stratégie sophistiquée, mesurée et responsable. Tsahal utilisera toutes ses capacités terrestres, aériennes et maritimes pour frapper le Hamas avec force», a affirmé le chef d’état-major de l’armée Eyal Zamir à l’occasion d’une visite dans le territoire palestinien le 17 août. C’est pourtant le même homme qui, à l’annonce de la décision du gouvernement d’étendre l’offensive à Gaza, avait émis de sérieuses réserves. Entre la difficulté de déplacer le million d’habitants de la ville de Gaza et le risque de pertes parmi les otages et les militaires israéliens, le chef de Tsahal estimait que le plan avancé comportait trop de dangers. Il lui préférait des actions ciblées sur les dernières poches de résistance du Hamas. La divergence de points de vue avait provoqué des critiques virulentes des ministres d’extrême droite du gouvernement et aussi des tensions avec le ministre de la Défense, Israël Katz, un proche de Netanyahou.
Dans le piège du Hamas?
Partisan des actions du gouvernement israélien depuis les événements du 7-Octobre, le chroniqueur sur i24News et ancien membre des services de renseignement Raphaël Jerusalmy a cette fois contesté l’opportunité de ce plan et pris nettement le parti des forces de défense. «Sur le plan du terrain, cela ne va pas du tout. C’est une des rares, sinon la première fois, que, depuis la création d’Israël, un gouvernement ignore à ce point l’avis des chefs de l’armée et des chefs des service de sécurité, a-t-il avancé sur LCI. Nous risquons là une catastrophe. Cette opération que prône Benjamin Netanyahou mène à une guerre d’attrition, exactement ce que veut le Hamas. Ce dernier veut entraîner les Israéliens dans une guerre à long terme qui pourrait avoir des conséquences humanitaires graves.»
Raphaël Jerusalmy évoque la difficulté d’évacuer la population de la ville de Gaza: «Les évacuer où? Les approvisionner comment?» «Une fois Gaza évacuée, il y a une estimation par l’armée d’un combat intensif de quatre à cinq mois qui engagera entre quatre et six divisions de Tsahal à un moment […] où le pays est économiquement et nerveusement épuisé, où, surtout, les soldats et les réservistes sont fatigués après presque bientôt deux ans de combats ininterrompus. […] C’est une folie sur le plan sécuritaire. Sur le plan politique, il [Benjamin Netanyahou] a peut-être ses raisons.» Il ne faut pas oublier, en effet, alors qu’on évoque peu ce bilan, que quelque 450 soldats israéliens ont été tués et près de 3.000 blessés depuis le début de l’offensive de Tsahal à Gaza. Un bilan extrêmement lourd si l’on tient compte des standards de l’Etat hébreu.
Dans une configuration semblable, même si la comparaison a ses limites, la reconquête de Mossoul, aux mains de l’Etat islamique, par les troupes irakiennes et les forces de la coalition alliée avait nécessité le déploiement d’environ 100.000 hommes pour arriver à bout de la résistance de djihadistes estimés entre 5.000 et 12.000. L’opération s’était déroulée pendant dix mois, entre octobre 2016 et juillet 2017, et avait coûté la vie à près de 1.500 soldats irakiens.
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Le sacrifice des otages?
Malgré ces avertissements, le 14 août, après une rencontre entre le ministre et le chef d’état-major de l’armée, ce dernier est, selon toute vraisemblance, rentré dans le rang. L’armée appliquera le plan de conquête complète du territoire palestinien, impliquant principalement l’occupation des aires urbaines de Deir al-Balah, Khan Younès et Gaza City –plus de 80% de la bande de Gaza est déjà sous son contrôle. Et on ignore comment «la stratégie sophistiquée, mesurée et responsable» annoncée par Eyal Zamir pourra éviter des morts parmi les otages. Car là est tout le dilemme du dossier.
Pour les familles des personnes encore détenues à Gaza et pour un grand nombre d’experts militaires, le lancement de cette nouvelle offensive signe le sacrifice des otages. La progression de l’armée dans les zones non occupées acculera les miliciens du Hamas dans leurs derniers retranchements, vraisemblablement une partie des tunnels souterrains, et les derniers otages en pâtiront: sauf moyens techniques inusités déployés par l’armée israélienne, ils seront tués par leurs geôliers.
Telle avait été l’issue réservée à six détenus entre le 29 et le 30 août 2024 à Rafah. Dans le cadre de son offensive sur la ville du sud de la bande de Gaza, Tsahal s’était approchée du lieu où ils étaient retenus. «Ils ont été tués de sang-froid par le Hamas juste avant qu’on arrive à eux», avait expliqué le ministre de la Défense de l’époque, Yoav Gallant, victimes «de plusieurs tirs à bout portant», avait précisé le ministère israélien de la Santé. Sur les 50 captifs encore détenus, 20 sont censés être encore en vie. Mais la diffusion début août par le Hamas de vidéos d’Evyatar David et de Rom Braslavski, présentant un état de santé très dégradé, fait craindre pour leur survie à très court terme.
Puissante mobilisation mais…
C’est cette urgence vitale qu’a voulu crier aux membres du gouvernement le Forum des familles d’otages et de disparus en organisant une nouvelle journée de mobilisation le 17 août. Plus d’un million de personnes, dont 500.000 à Tel-Aviv, ont défilé dans les rues. Et de nombreuses entreprises, notamment dans les nouvelles technologies, universités et administrations locales ont suivi un appel à la grève.
L’espoir des organisateurs était qu’une démonstration de force puisse infléchir la position du gouvernement. Cela avait été le cas le 27 mars 2023 sur le projet de l’exécutif de réforme de la justice, potentiellement attentatoire aux principes démocratiques, qui avait divisé la société pendant des mois. La contestation de l’opposition politique, la résistance de la rue et une grève générale décrétée par la principale centrale syndicale Histadrout avaient eu raison de la détermination de Benjamin Netanyahou et forcé à une suspension du projet. En regard de cette mobilisation, celle pour la libération des otages s’inscrit aussi dans le temps long, et traduit de la même manière une déchirure au sein de la société, entre tenants de la priorité donnée à l’éradication du Hamas et partisans de l’impératif de ramener les concitoyens à la liberté. Mais le contexte de guerre et une mobilisation moins grande –l’Histadrout, par exemple, n’a pas appelé à la grève générale le 17 août– empêchent à ce stade d’envisager un résultat semblable, le renoncement du gouvernement, en l’occurrence au plan de conquête de toute la bande de Gaza. «Contrairement au mouvement de contestation de la réforme judiciaire, où les manifestants pouvaient espérer un retrait direct de la part du gouvernement, le sort des otages ne dépend pas uniquement de Jérusalem mais surtout de la volonté du Hamas», souligne encore i24News.
«L’opération prônée par Netanyahou mène à une guerre d’attrition, exactement ce que veut le Hamas.»
Frilosité européenne
Et puis, l’esprit retors des dirigeants israéliens oriente aussi les sentiments de la population. «Ceux qui aujourd’hui appellent à mettre fin à la guerre sans infliger de défaite au Hamas entraînent un durcissement de la position du Hamas et éloignent la libération des otages, a assuré Benjamin Netanyahou au terme de la journée de manifestations. De plus, ils garantissent également que les atrocités du 7-Octobre se répéteront encore et encore, et que nos fils et nos filles devront se battre, encore et encore, dans une guerre sans fin.» Un propos accusateur forcément difficile à entendre par des victimes de la plus grande tuerie de l’histoire d’Israël. L’Etat hébreu n’a jamais paru aussi divisé.
Ce ne sont pas les alliés de l’Etat d’Israël qui raviveront l’espoir des familles des otages de voir leur Premier ministre renoncer à son projet. Certes, la plupart des principales chancelleries occidentales, hors Etats-Unis, ont critiqué la fuite en avant du gouvernement israélien. Mais la condamnation est restée dans le domaine rhétorique, à l’exception de l’Allemagne du chancelier Friedrich Merz, qui a annoncé que ce pourtant grand partenaire d’Israël n’exporterait «plus aucune arme ni aucun équipement militaire […] qui pourrait être utilisé dans la bande de Gaza». Dans l’Union européenne, les positions restent trop divergentes pour imaginer de véritables sanctions, comme la suspension de l’accord d’association. Or, seul ce type de mesures pourrait faire réfléchir le chef du gouvernement israélien.
L’espoir d’un accord
Les proches des otages, malgré tous leurs efforts, ne voyaient donc guère d’éclaircies dans l’enfer qu’ils traversaient jusqu’à ce que le Hamas annonce, le 18 août, avoir donné son accord à une nouvelle proposition des médiateurs égyptiens et qatariens pour un élargissement des captifs. Elle prévoit une trêve des combats de 60 jours et une libération d’otages en deux étapes –les corps de plusieurs de ceux-ci d’abord, dix captifs vivants dans un deuxième temps, en échange de la remise en liberté de 150 prisonniers palestiniens détenus en Israël. Ce plan s’inspire directement de la dernière proposition présentée par l’émissaire américain Steve Witkoff. «La proposition est un accord-cadre pour lancer des négociations sur un cessez-le-feu permanent», a précisé une source palestinienne.
Pourtant, en milieu de semaine, la prudence était d’autant plus de mise que de précédentes négociations ont abouti à des échecs. Comme l’a rappelé le Forum des familles des otages lors de la mobilisation du 17 août, «tout le monde en Israël sait qu’il y a eu de nombreuses opportunités de sauver les otages. Celui qui a torpillé, refusé et évité [un accord], c’est celui qui a fait monter les enchères.» Entendez: Benjamin Netanyahou. D’ailleurs, le bureau du Premier ministre a affirmé le 14 août qu’Israël n’acceptera un accord qu’à condition que «tous les otages soient libérés en une seule fois et selon nos conditions pour mettre fin à la guerre». Mais sous la pression populaire, Netanyahou peut-il balayer d’un revers de la main cette possibilité?