La lutte contre les épidémies, comme la dispersion d’insecticide à La Havane, est insuffisante pour les juguler. © AFP

Pourquoi les épidémies sont incontrôlées à Cuba: «Il faut payer pour être bien soigné»

Des épidémies croisées de dengue, de chikungunya, de zika et de fièvre oropouche font vaciller Cuba. Les autorités n’arrivent plus à les contrôler comme par le passé.

Joselito (1), 12 ans, est désormais un vieillard. Pris de tremblements, l’écolier havanais est alité dans une clinique pédiatrique de la capitale. «J’ai de la fièvre et je n’ai plus la force de bouger les bras», s’alarmait-il il y a peu. L’enfant, d’ordinaire si actif, si rieur, ressemble à un mort-vivant sur son lit d’hôpital. Et il n’est pas le seul. Des centaines de milliers de Cubains, peut-être plus, sont les victimes de ce que tout un chacun dans l’île nomme «el virus». Celui-ci a un nom terrifiant, exotique, pour un peuple qui n’en a presque jamais subi les effets: le chikungunya.

«Un moustique infecté m’a piqué. Quelques jours plus tard, je me suis écroulée avec une forte fièvre. Je souffrais de douleurs articulaires dans tout le corps. Je ne pouvais plus soulever mon téléphone. Je ne pouvais plus me lever. Il a fallu que je demande à mon père de m’aider», confie Niurka, serveuse de bar de Matanzas, une ville de 160.000 habitants, située entre La Havane et Varadero. «Petit à petit, toute ma famille a été touchée par le chikungunya. A peu près tout le monde dans mon quartier également. Deux semaines plus tard, alors que je n’étais pas encore remise, un autre moustique, porteur de la dengue, m’a piquée. La fièvre a recommencé. C’était horrible», ajoute Niurka. Là réside le drame de cette épidémie. Cuba vit au temps du chikungunya, mais aussi de la dengue, du zika et de la fièvre oropouche. Ce dernier virus, également transmis par les moustiques, a été découvert à Trinité-et-Tobago au début des années 1950. Il est demeuré au Brésil pendant plusieurs décennies, avant de se propager depuis quelques années dans les Caraïbes. Cuba est affecté par la fièvre oropouche depuis deux ans.

Les symptômes sont relativement similaires pour les quatre maladies: nausées, douleurs articulaires persistantes, migraines, fièvre, vomissements et éruptions cutanées. La dengue compte quatre souches. Les trois premières, bien qu’invalidantes, se soignent avec force paracétamol et repos. La quatrième souche, la dengue hémorragique, est mortelle et nécessite une hospitalisation.

L’effondrement d’un système

Tous les Cubains vivent au rythme du «virus». Au réveil, Yamilka, une infirmière havanaise qui a quitté son emploi et veille sur son neveu Joselito, saute sur son téléphone, non pour écouter les derniers groupes de salsa et de reggaeton comme par le passé, mais pour connaître les dernières nouvelles de l’épidémie sur les réseaux sociaux. «Deux enfants sont encore morts aujourd’hui. Pourtant, dans l’ensemble, ils sont pris en charge rapidement par les médecins, contrairement aux adultes. Mais nous manquons de tout, de médicaments et d’équipements», explique Yamilka qui déplore que Cuba soit «devenu un pays où, dans les faits, il faut payer pour être bien soigné. Si les patients ne donnent pas un regalito (NDLR: petit cadeau) aux soignants, il n’y a pas de soins», souligne-t-elle.

Les premiers cas de chikungunya et de dengue sont apparus en juillet dernier à Cárdenas, une bourgade proche de Varadero. Le nombre de malades n’a cessé d’augmenter, sans que les autorités ne s’en inquiètent, avant de se propager le mois suivant à Matanzas, puis en septembre à La Havane. L’ensemble du pays est aujourd’hui contaminé. Cuba avait connu une éphémère épidémie de chikungunya en 2014. A l’époque, les autorités sanitaires, encore dirigées d’une main de fer par Fidel Castro, avaient très vite pris la mesure du danger. Des brigades de jeunes hommes du service militaire, sulfateuses d’insecticides en main, aspergeaient du fumigène dans les maisons pour tuer les moustiques Aedes aegypti, porteurs du virus. Les autorités avaient lutté avec sérieux contre l’épidémie. Cette politique fut celle de Cuba pendant des décennies.

L’actuel président, Miguel Díaz-Canel, lui, n’a rien fait pour se débarrasser des moustiques, déclenchant une colère sourde chez ses concitoyens. Les témoignages sur l’inaction du gouvernement sont légion, tant dans la rue que sur les réseaux sociaux. Le ministère de la Santé a pourtant informé officiellement la population dans les médias d’Etat qu’une épidémie croisée frappait l’ensemble de l’île. Fin novembre, La Havane a révélé que près de 50.000 personnes étaient infectées. Ces chiffres sont totalement déconnectés de la réalité. A peu près 30% de la population serait contaminée. «Personne n’y échappe. Seuls les chefs qui vivent dans des quartiers où l’on passe du fumigène et où il y a des moustiquaires, sont saufs», assure Yamilka.

Outre le manque de médicaments, de produits antimoustiques, de moustiquaires et de soins, les Cubains souffrent de malnutrition. Les structures hospitalières, autrefois si performantes, ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes. «Pourquoi les gens iraient-ils à l’hôpital? Ils savent qu’ils seront très mal soignés et qu’ils risquent d’y tomber encore plus malades», estime Niurka. L’épidémie prospère, notamment parce que depuis des mois, les autorités ne ramassent plus les ordures ménagères que toutes les deux ou trois semaines, parfois plus.

Impact sur le tourisme

Cette situation dramatique met en danger l’industrie touristique, la principale source de revenus de l’île communiste. Les touristes sont pour l’essentiel Canadiens (800.000 par an sur deux millions), suivis de très loin par les Européens. L’extension de l’épidémie pourrait provoquer une baisse des recettes touristiques, vitales pour Cuba.

Si les épidémies touchent plus pour l’instant des zones où se rendent moins les voyageurs, aucun pôle touristique n’est totalement épargné. Ces derniers temps, plusieurs vacanciers du Canada se sont fait l’écho dans les journaux canadiens de l’explosion épidémique, d’autant plus que certains sont revenus infectés. Le régime préfère minimiser l’ampleur du désastre. Une déclaration du directeur de l’Office du tourisme de Cuba à Montréal, Michel Bernal, vaut son pesant d’or: «Le long des côtes où les hôtels de Cuba sont situés, les moustiques ne sont pas les mêmes et on n’y retrouve donc pas de chikungunya, ni de zika, ni de fièvre dengue non plus». Ce que dément le bon sens. Les travailleurs des complexes hôteliers de Varadero vivent essentiellement à Matanzas et Cárdenas, les régions les plus touchées par l’épidémie.

(1) Les prénoms ont été modifiés.

«Nous manquons de tout, de médicaments et d’équipements.»
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