Le Canada se souvient du référendum raté sur la souveraineté du Québec de 1995. A moins d’un an d’élections que le Parti québécois pourrait remporter, le dossier revient à l’avant-plan.
Sur le boulevard Saint-Laurent, frontière historique qui sépare les quartiers anglophones à l’ouest et francophones à l’est de Montréal, un groupe de quatre adolescents rit, portant d’immenses drapeaux à fleur de lys sur les épaules. «On veut que le Québec soit indépendant», lance l’un d’eux. Le quatrième, d’origine chinoise, se garde bien de porter un drapeau, ni de soutenir la souveraineté. Le petit groupe véhicule l’image exacte de l’actuelle jeunesse politique de la Belle Province, alors que ses habitants s’apprêtent à commémorer l’anniversaire du référendum raté sur l’indépendance du 30 octobre 1995. Selon un récent sondage de l’institut Crop, 56% des jeunes de 18 à 34 ans sont favorables à la souveraineté du Québec.
Jamais la jeunesse de la province n’a semblé aussi mobilisée, tout au moins depuis les années 1970, lorsque le souverainiste Parti québécois (PQ) a été porté au pouvoir. Le PQ, fondé en 1968, avec pour principal objectif l’indépendance, a tenté, par deux fois, en 1980 et en 1995, de mener sa Belle Province à la souveraineté. Sans succès. «Moins de 50.000 électeurs ont fait la différence. Oui, 49,5%. Non, 50,5%», avait titré le quotidien souverainiste montréalais Le Devoir au lendemain de la défaite indépendantiste de 1995. Fait notable dans une démocratie, 93,5% des électeurs avaient participé au scrutin. La douche fut d’autant plus froide pour les forces péquistes qu’une demi-heure durant, entre 20h30 et 21 heures, la télévision donnait le «oui» gagnant.
«L’argent et les votes ethniques»
Pour s’assurer de l’échec de l’indépendance du Québec, Ottawa avait octroyé la citoyenneté canadienne à des dizaines de milliers d’immigrants non francophones, peu favorables à l’indépendance. Le Premier ministre du Québec de l’époque, Jacques Parizeau, furieux du résultat le soir du 30 octobre, avait rappelé que 60% des francophones avaient voté pour l’indépendance. Et d’ajouter: «C’est vrai qu’on a été battus. Au fond, par quoi? Par l’argent, puis des votes ethniques essentiellement.» Le chef du gouvernement visait à la fois les anglophones, jugés plus riches, et les immigrants, très largement attachés à un Canada uni.
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La sortie de Jacques Parizeau provoqua un tollé au Canada anglais, dans un pays sevré au politiquement correct et où toute critique, même constructive, est prohibée. Mais elle fit aussi beaucoup de dégâts pour l’image du Québec et des Québécois, soupçonnés de racisme, notamment dans les campagnes. Dans un article du quotidien fédéraliste La Presse, le journaliste Abdelhamid Gmati écrivait alors: «Lorsque des campagnes électorales ou référendaires se déroulent sans qu’un seul mot soit prononcé sur les immigrants, ces derniers en déduisent qu’ils n’ont aucune place, aucune garantie, et ils réagissent en conséquence en choisissant la sécurité, la quiétude, c’est-à-dire le Canada.»
«Le Parti québécois est quelque chose de dépassé. Nous, les jeunes, on veut l’indépendance sans le parti.»
Oser la question indépendantiste
Si la question indépendantiste a connu une longue traversée du désert, elle a de nouveau le vent en poupe à tout juste un an des élections québécoises. L’arrivée massive d’une immigration non francophone, asiatique, effraie une population qui craint la disparition du français au sein d’un Canada majoritairement anglophone. Le nouveau leader du Parti québécois, l’avocat Paul Saint-Pierre Plamondon (PSPP), 47 ans, est populaire et se place largement en tête pour remporter les élections du 3 octobre 2026. Après huit années à la tête du Québec, le Premier ministre François Legault, un ex-souverainiste qui a créé son propre parti, la Coalition avenir Québec (CAQ, droite populiste), fait face à l’usure du pouvoir et suscite une rare défiance. En cas d’élections en cette fin d’année, le PQ mènerait avec 38% des votes, suivi du Parti libéral à 27%, et des conservateurs à 15%. La CAQ, quatrième avec 11% des suffrages, n’élirait aucun député.

La particularité de Paul Saint-Pierre Plamondon est de proposer ce qu’aucun chef du PQ n’a jamais osé faire depuis 30 ans: un nouveau référendum. Dans un Québec timoré, où même les dirigeants souverainistes ont souvent eu peur de dire qu’ils souhaitent l’indépendance et préfèrent mettre des gants pour parler de souveraineté, PSPP avance fermement, sans renier son appétence pour l’indépendance. Evoquer clairement la mise en place d’un référendum avant des élections peut être dangereux. C’est pourtant cette absence de grands enjeux électoraux qui ont coulé le vaisseau péquiste. Certains analystes n’hésitaient plus à prédire sa disparition il y a quelques années, tant le parti a traversé une crise identitaire. Au gré de la dictature des sondages, le Parti québécois avait aussi oublié sa seule raison d’être: l’indépendance du Québec.
«La Chambre des Communes s’arroge désormais le droit de se prononcer sur la question référendaire et d’en accepter le libellé.»
Les défis de l’indépendance
Les défis du PQ pour parvenir à la souveraineté de La Belle Province sont nombreux. Démographiques, tout d’abord. Les Québécois «pure laine», comme ces derniers aiment à s’appeler, susceptibles de voter pour le PQ, sont de moins en moins nombreux. Si le vote ne tenait qu’à eux, le Québec serait probablement indépendant, mais celui-ci doit faire appel aux immigrants pour combler son déficit de natalité. Devenus Canadiens, ces derniers préfèrent un pays uni.
Autre défi, convaincre les jeunes de voter pour le PQ. Car si ces derniers sont très largement favorables à l’indépendance du Québec, le Parti québécois ne signifie pas nécessairement grand-chose pour eux. Pour ce jeune musicien montréalais, «le Parti québécois est quelque chose de dépassé. Nous, les jeunes, on veut l’indépendance sans le parti.» Même son de cloche chez Andréanne, une étudiante en littérature de 22 ans. Mais tant elle que le jeune musicien sont bien en peine d’expliquer comment ils parviendraient à l’indépendance sans le PQ. «Je me méfie des sondages, confie Louis Doyle, un avocat retraité de Québec, partisan de la souveraineté. Les jeunes Québécois que je croise ne sont intéressés que par avoir un bon job, travailler à l’ONU ou à Genève. Ils se moquent de l’indépendance.»
L’enjeu pour Paul Saint-Pierre Plamondon sera de poser la bonne question référendaire. D’une part, parce que la question indépendantiste de 1995 était alambiquée: «Acceptez-vous que le Québec devienne souverain, après avoir offert formellement au Canada un nouveau partenariat économique et politique, dans le cadre du projet de loi sur l’avenir du Québec?» Elle fut posée comme si le Québec demandait l’autorisation au Canada anglais de se séparer. Une question si peu limpide qu’après l’échec souverainiste, Ottawa avait fait voter en 2000 la «loi sur la clarté référendaire». La Chambre des Communes, dont 321 députés sur 343 sont fédéralistes, s’arroge désormais le droit de se prononcer sur la question référendaire et d’en accepter le libellé. Si Ottawa refusait de valider une demande de référendum, cela provoquerait des manifestations au Québec, mais rien ne dit que les Québécois se battraient pour obtenir cette souveraineté.
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Pour convaincre les électeurs de rejeter la souveraineté, Ottawa avait aussi joué en 1995 sur le risque d’un déclassement économique de la province francophone, d’une chute du PIB, et de la suppression des pensions fédérales pour les retraités.
Créer une dynamique gagnante
Le Québec a beaucoup changé en 30 ans. La province a un taux de chômage de 5,7%, l’un des plus bas du Canada. Elle aurait les moyens d’être indépendante, mais il faut imaginer les conséquences dans l’acceptation ou non du résultat du vote par le reste du pays. Il existe une véritable défiance pour ne pas dire une vraie haine des fédéralistes envers les souverainistes québécois. «Les péquistes, c’est la gangrène dans le système», avait déclaré l’ancien Premier ministre Jean Chrétien lors du premier référendum de 1980. Il avait évoqué l’envoi de l’armée en 1995 en cas d’indépendance.
Le Parti québécois tente de créer une dynamique gagnante. Si le référendum avait lieu aujourd’hui, environ 41% des Québécois voteraient pour l’indépendance. Le parti souverainiste devra donc susciter l’adhésion de son peuple comme lors du dernier référendum. A la fin août 1995, après des mois à stagner autour de 42%, le camp du «oui» s’imaginait largement perdant. «J’ai l’impression qu’on fera 45%», dit alors Jacques Parizeau, résigné. Les indépendantistes réussirent à convaincre les foules dans les dernières semaines. La souveraineté ne fut perdue que par 0,4% des suffrages et, dit-on, à cause des électeurs de la ville de Québec. Ceux-ci, furieux que le Premier ministre Jacques Parizeau n’injecte pas des millions de dollars pour conserver à Québec l’équipe de hockey locale, les Nordiques, ne votèrent qu’à 54% pour l’indépendance, soit 6% de moins que les autres francophones. Un match de hockey fit peut-être il y a 30 ans la différence dans l’indépendance du Québec. Qu’en sera-t-il si une autre consultation a lieu après les élections de 2026?