Alors que Pakistan et Afghanistan se sont affrontés cette semaine avec une rare intensité, Islamabad regarde de nouveau du côté de son ennemi indien, suspecté d’aggraver les tensions.
C’est l’histoire d’un trio aux relations complexes et difficiles. Inde et Pakistan, rivaux depuis la partition de 1947 au départ du colonisateur britannique, ont connu une année particulièrement intense, engagés en mai dans une guerre éclair ayant fait plus de 70 morts, en majorité des civils, et qui s’est terminée sans accord. Les deux puissances nucléaires s’accusent de soutenir des « groupes terroristes » sur leur sol.
En parallèle, l’Inde se rapproche de l’Afghanistan, pays où le Pakistan exerce une influence de longue date. D’après des analystes, Islamabad voit cela d’un mauvais oeil et ne peut s’empêcher de suspecter l’Inde d’avoir joué un rôle dans les affrontements meurtriers à la frontière afghano-pakistanaise, avant un cessez-le-feu.
Le Premier ministre Shehbaz Sharif a suggéré que les talibans afghans étaient « incités » à agir par New Delhi, tandis que le ministre de la Défense, Khawaja Asif, a estimé que leurs décisions étaient « soutenues » par l’Inde. « Kaboul à l’heure actuelle mène une guerre par procuration pour New Delhi », a-t-il accusé.
Les violences ont éclaté alors qu’Islamabad est confronté à une résurgence d’attaques de groupes armés, notamment des talibans pakistanais (TTP), qu’il accuse d’avoir trouvé refuge sur le territoire afghan, « en toute impunité ». Voyant que Kaboul ne prenait pas les actions réclamées et que le chef de la diplomatie talibane était plutôt en visite à New Delhi la semaine dernière, Islamabad a estimé que c’en était trop, indique une source de sécurité pakistanaise à l’AFP.
Recrudescence d’attaques
« Pour le seul mois d’octobre, plus de 100 membres des forces de sécurité et des policiers ont été tués dans des attaques« , toutes menées par des assaillants venus d’Afghanistan, dit-elle à l’AFP. Un lieutenant-colonel et son officier adjoint ont notamment été ciblés, suscitant l’ire d’Islamabad, selon d’autres sources sécuritaires.
« A cela vient s’ajouter la visite du ministre des Affaires étrangères afghan (Amir Khan) Muttaqi en Inde, plus le manque de coopération de l’Afghanistan pour la paix régionale (…): tout cela a poussé le Pakistan à agir à l’intérieur des frontières afghanes », ajoute la source préalablement citée, sous couvert d’anonymat.
Elle confirme que les explosions survenues la semaine dernière en Afghanistan, alors que débutait la visite du ministre taliban à New Delhi, étaient le fait du Pakistan. C’est en représailles à ces explosions que le gouvernement taliban avait lancé une offensive à la frontière. « La patience du Pakistan avait atteint ses limites, ce qui l’a contraint à agir », analyse Maleeha Lodhi, ancienne diplomate pakistanaise.
Lors de la visite à New Delhi, Islamabad a dit avoir été particulièrement irrité par un communiqué conjoint faisant référence au « Jammu-et-Cachemire, Inde », suggérant que le gouvernement taliban acceptait la souveraineté indienne sur cette région disputée, au coeur de la dernière guerre indo-pakistanaise.
« Accuser ses voisins »
Pour Wahid Faqiri, analyste afghan, le Pakistan « tente d’échapper à ses responsabilités domestiques en blâmant l’Afghanistan pour ses échecs sécuritaires flagrants ». « C’est une vieille pratique du Pakistan que d’accuser ses voisins pour ses propres échecs internes », a tancé la diplomatie indienne, se disant « engagée en faveur de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance de l’Afghanistan ».
En Inde, le rapprochement avec les talibans semblait « difficile à justifier » du fait de leur vision ultra-rigoriste de l’islam, contraire au nationalisme hindou du Premier ministre Narendra Modi, relève Praveen Donthi, analyste à l’International Crisis Group (ICG).
L’absence de journalistes femmes pendant une des conférences de presse lors de la visite talibane a suscité des critiques, mais elles se sont atténuées lorsque le ministre afghan a exprimé sa « solidarité » après l’attentat dans la partie du Cachemire administrée par l’Inde, prélude à la guerre de mai avec le Pakistan, poursuit l’expert.
En se rapprochant de Kaboul, l’Inde essaye de montrer au Pakistan qu’elle peut jouer sur son terrain d’influence: elle ne veut pas « être devancée par ses grands rivaux, la Chine et le Pakistan », avance M. Donthi. Elle a annoncé pendant la visite talibane qu’elle allait faire de sa mission technique dans la capitale afghane une ambassade de plein droit: une étape importante pour Kaboul qui a fait de sa reconnaissance par la communauté internationale un cheval de bataille.