Netanyahou
Didier Billion, directeur adjoint de l’Iris, estime que Benyamin Netanyahou profite d’une fenêtre d’opportunité pour poursuivre la guerre à Gaza en toute impunité.

«L’objectif final de Netanyahou est l’annexion de Gaza, mais pas que»: comment la carrière personnelle d’un individu «exécrable» entrave tout règlement du conflit

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Selon le géopolitologue Didier Billion (Iris), la logique de survie politique de Benyamin Netanyahou entrave à nouveau les chances de résolution du conflit israélo-palestinien. «Son objectif final est l’annexion pure et simple de Gaza.»

Dernier coup de semonce au Hamas pour forcer un accord, ou volonté actée? L’annonce selon laquelle Benyamin Netanyahou souhaiterait occuper l’entièreté de la bande de Gaza, comme révélé par plusieurs médias, laisse penser que le Premier ministre israélien se dirige vers la solution la plus radicale, une fois encore.

Benyamin Netanyahou a confirmé en ce début de semaine qu’il «donnera des instructions» sur la manière de poursuivre la guerre dans la bande de Gaza, alors que plusieurs pays, dont la Belgique, réalisent des largages humanitaires face au risque croissant de famine généralisée.

«Nous allons occuper toute la bande de Gaza, la décision a été prise», a rapporté le média israélien Channel 12, citant un «haut responsable anonyme du cabinet Netanyahou».

But officiel avancé pour justifier cette nouvelle étape: sauver les 49 otages encore recensés à Gaza –seule une vingtaine d’entre eux seraient encore vivants. Des nouvelles images de détenus israéliens diffusées par le Hamas auraient été l’élément déclencheur de ce nouveau plan activé par Netanyahou et son gouvernement, malgré l’opposition franche du chef d’Etat-major israélien, Eyal Zamir, qui a souligné l’usure avancée des troupes. Netanyahou en ferait fi, une question, avant tout, de survie politique personnelle.  

Didier Billion, directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et géopolitologue spécialiste du Moyen-Orient, revient sur les raisons de cette possible nouvelle «fuite en avant» de Benyamin Netanyahou et les conséquences qui en découleraient.

«Netanyahou poursuit les bombardements pour empêcher toute vie sociale de se redévelopper à Gaza. A côté de cela, certains pays réalisent des largages humanitaires, et, dans le même temps, poursuivent la livraison d’armes. C’est d’un cynisme absolu.»

Didier Billion, dans quel but Netanyahou voudrait-il occuper l’entièreté de la bande de Gaza, alors qu’Israël contrôle déjà 75% du territoire?

Cette volonté d’occupation totale est inscrite dans le projet de Netanyahou et celui de son gouvernement. L’objectif final est l’annexion pure et simple de Gaza, en ce compris son occupation militaire. Il n’y a pas beaucoup d’illusions à se faire, sauf si une pression internationale très forte s’exerçait à l’encontre d’Israël.

Elle est encore largement insuffisante?

Reconnaître l’Etat de Palestine est une bonne chose, mais ce n’est pas assez. Tant que des sanctions sévères ne sont pas appliquées, le gouvernement israélien ne changera pas sa politique.

Depuis des semaines, les bombardements quotidiens se multiplient sur Gaza. Le niveau de destruction est tel que désormais, Netanyahou les poursuit pour empêcher toute vie sociale de se redévelopper. Outre l’annexion de la bande, un de ses projets est aussi de pouvoir expulser le maximum de Palestiniens.

A côté de cela, certains pays réalisent des largages humanitaires, et, dans le même temps, poursuivent la livraison d’armes. C’est d’un cynisme absolu.

«Le sort des otages israéliens est le cadet des soucis de Netanyahou.»

La raison principale avancée pour justifier cette nouvelle étape d’occupation serait la libération des otages israéliens. Un prétexte habituel?

La libération des otages est la raison avancée depuis le 7 octobre. Or, à plusieurs reprises, des propositions très précises ont été formulées dans les négociations. Systématiquement, au dernier moment, le cabinet israélien refusait l’accord. Alors qu’une possibilité de libération totale des otages existait. En réalité, le sort des otages israéliens est le cadet des soucis de Netanyahou. Ce qui lui importe, c’est sa politique d’annexion expansionniste.

L’Etat d’Israël, traditionnellement, a toujours tout mis en œuvre pour libérer ses otages en faisant des concession, déjà avec le Hamas au début des années 2000. On pouvait penser que ce serait également le cas après le 7 octobre. Mais on ne retrouve plus cette réelle volonté. Le fait que Netanyahou prenne comme prétexte que ses otages sont atteints par la famine, alors deux millions de personnes en souffrent à Gaza, est plutôt incongru. Cela ne justifie aucunement les agissements du Hamas envers les otages israéliens. Mais, des deux côtés, on assiste à un cynisme terrifiant, à une guerre des images.

Quel serait le plan d’Israël, alors qu’il ne reste presque plus d’endroits habitables à Gaza? Contrôler militairement des endroits surpeuplés pourrait-il encore aggraver la situation humanitaire?

Netanyahou veut «nasser» les Palestiniens le plus au sud possible, continuer les bombardements, et maintenir une pression maximale. Autrement dit, le gouvernement israélien veut mettre les Palestiniens à genoux en rendant la vie quotidienne impossible, de façon à les pousser à partir. Or, on sait que la Jordanie et l’Egypte n’accepteront pas un accueil massif, pour différentes raisons démographiques et sécuritaires qui leur sont propres. Il semblerait cependant qu’il y ait des tractations assez cyniques entreprises par Israël avec un certain nombre de pays de la région –des pays africains et asiatiques sont aussi cités– pour accueillir une partie des Palestiniens.

«Il y a un aspect de résistance politique absolu au sein de la population palestinienne.»

Alors qu’une grande partie de la population palestinienne refuse cette «solution» forcée aux accents de nettoyage ethnique…

Les Palestiniens résistent dans des conditions inimaginables car l’histoire prouve que lorsqu’ils partent en exil, ils ne peuvent jamais revenir. La Nakba en 1948, puis l’exode de 1967, l’ont démontré. Si le peuple palestinien s’accroche autant à son territoire, ce n’est pas simplement le courage individuel et louable des familles. Il y a un aspect de résistance politique absolu.

Comment sortir de cette impasse?

Soit Netanyahou parvient à ses fins et réoccupe militairement et politiquement Gaza (c’est une éventualité qu’on ne peut pas exclure), soit la reconnaissance de l’Etat de Palestine se formalise dans une majorité de pays européens d’ici fin septembre. Avec elle, la question de la gouvernance de Gaza pour le «jour d’après» devra être négociée. L’hypothèse, soutenue par la France et l’Arabie saoudite, consisterait en une gouvernance sous l’égide de l’ONU et d’un certain nombre de pays arabes, exclurait toute forme de représentation du Hamas, et remettrait en selle l’Autorité palestinienne. Bon nombre de diplomates sont actuellement à la manœuvre pour faire émerger une décision en ce sens. Les Français sont optimistes et ont marqué des points ces derniers jours. Pour autant, les questions de fond ne sont toujours pas résolues. Il faut également prendre le temps de consulter les Palestiniens eux-mêmes. Le droit à l’auto-détermination des peuples devrait être un principe supérieur en droit international. Actuellement, les conditions concrètes et précises sont cependant loin d’être réunies.

De nouvelles élections semblent irréalisables.

Mahmoud Abbas plaide pour des élections législatives et présidentielles en 2026 sur les territoires palestiniens. Mais cette hypothèse fait tristement sourire: comment imaginer une seconde que l’on puisse organiser des élections dignes de ce nom à Gaza aujourd’hui? Il accepterait aussi une Palestine démilitarisée, avec l’appui de la coalition internationale. Mais pourquoi? Un pays sous occupation a le droit de se défendre.

«La logique de survie politique d’un seul individu –exécrable– entrave les tentatives de règlement du conflit, de cessez-le-feu, de ravitaillement humanitaire.»

S’il occupe entièrement Gaza, Netanyahou irait à l’encontre de l’avis de son chef d’Etat-major. S’isole-t-il également en interne?  

Oui, on assiste à une fuite en avant de Netanyahou. Des raisons terribles l’expliquent. On sait que s’il accepte un compromis, les ministres les plus extrémistes –Bezalel Smotrich, ministre de la Défense, et Itamar Ben-Gvir, ministre de la Sécurité nationale, notamment–, démissionneraient immédiatement du gouvernement. Netanyahou n’aurait alors plus de majorité parlementaire. De nouvelles élections seraient organisées, lors desquelles Netanyahou peinerait à rassembler une majorité. On voit donc que la logique de survie politique d’un seul individu –exécrable– entrave les tentatives de règlement du conflit, de cessez-le-feu, de ravitaillement humanitaire.

Pourquoi semble-t-il vouloir accélérer le mouvement maintenant?

Netanyahou est «tranquille» jusqu’en octobre, en raison des vacances parlementaires, mais aussi des vacances judiciaires. Il dispose d’une fenêtre d’opportunité pour continuer sa guerre en toute impunité. Il sait qu’il n’aura pas d’ennuis intérieurs.

Même si la pression est de plus en plus forte: le chef d’Etat-major tire la sonnette d’alarme sur l’usure de l’armée, et une pétition signée par 600 anciens responsables israéliens, qui ont fait partie de l’appareil sécuritaire, le sermonne d’arrêter. C’est l’indication que dans la société israélienne, des formes de résistance émergent, même si elles sont encore insuffisantes. Ces signataires constatent surtout que l’image d’Israël, dans l’opinion publique internationale, se dégrade irrémédiablement.

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