Le sud de la Syrie se déchire à Soueïda: «C’est une opportunité qu’Israël ne va pas louper» © AFP via Getty Images

Le sud de la Syrie se déchire à Soueïda: «C’est une opportunité qu’Israël ne va pas louper»

Dans une Syrie en pleine recomposition, la province druze de Soueïda cristallise les tensions entre un pouvoir sunnite centralisateur et des communautés locales inquiètes pour leur survie. Tandis que l’armée syrienne impose sa reprise en main, Israël multiplie les frappes et affiche ses ambitions dans le sud du pays.

Depuis la chute de Bachar el-Assad en décembre 2024, la Syrie est entrée dans une nouvelle phase de turbulences. Le président syrien Ahmad al-Chareh peine à instaurer une sécurité durable et à rassurer les minorités religieuses de son pays. Les violences communautaires se multiplient. A Soueïda, ville syrienne du sud majoritairement druze, un affrontement sanglant entre factions locales et tribus sunnites bédouines a marqué un tournant. Les combats ont éclaté dimanche 13 juillet après l’enlèvement d’un commerçant druze. En 48 heures, 116 personnes ont été tuées, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, dont 77 Druzes, 18 Bédouins, quatorze membres des forces de sécurité et sept hommes non identifiés.

L’intervention de l’armée syrienne, suivie de deux frappes israéliennes en moins de deux jours, révèle une course à l’influence entre Damas et Tel-Aviv dans une région historiquement marginalisée, mais devenue stratégique.

Ce nouvel épisode s’inscrit dans une série de violences. En mars 2025, une insurrection pro-Assad sur la côte syrienne a été réprimée dans le sang. Plus de 1.700 Alaouites, en majorité des civils, ont été tués. En avril, plus de 100 personnes sont mortes dans des premiers affrontements entre forces druzes et unités du régime épaulées par des tribus sunnites. En juin, un attentat-suicide contre une église à Damas a causé la mort de 22 catholiques.

«Ces événements renforcent un sentiment d’abandon et d’insécurité. Est-ce qu’Ahmad al-Chareh peut protéger les minorités en Syrie? Pour le moment, la réponse est tragiquement non», affirme Rami Abou Diab, docteur en géopolitique et spécialiste de la question druze. Il estime que le régime actuel est pris en étau entre son incapacité à garantir la sécurité des populations vulnérables et une stratégie de reconquête territoriale jugée brutale.

Après deux jours de combats, les troupes gouvernementales sont entrées dans Soueïda avec l’accord d’une partie des autorités religieuses druzes. Le gouvernement syrien a annoncé un «cessez-le-feu total» et décrété un couvre-feu dans plusieurs quartiers. Des blindés ont été déployés et les habitants ont été appelés à signaler tout «mouvement de groupes hors-la-loi.» Le ministre de la Défense syrien, Mourhaf Abou Qasra, a affirmé que les forces de sécurité intérieure (les Druzes) reprendraient le contrôle de la ville «une fois les opérations de ratissage terminées».

Soueïda, nouveau front entre Damas et Tel-Aviv-

Lundi 14 juillet, l’armée israélienne a frappé plusieurs chars syriens postés aux abords de Soueïda. Le lendemain, d’autres véhicules militaires ont été visés dans la région. Le Premier ministre Benyamin Netanyahou a confirmé avoir donné l’ordre de cibler les «forces du régime et les armements» déployés dans la zone. Le ministre de la Défense Israël Katz a déclaré: «Nous ne permettrons pas que du mal soit fait aux Druzes en Syrie.»

Pour Rami Abou Diab, ces frappes s’inscrivent dans un jeu d’équilibre bien plus large. «Ce qui se joue à Soueïda, ce n’est pas juste une opération de maintien de l’ordre. C’est une opportunité qu’Israël ne va pas louper. Son objectif est de contrôler le sud syrien. De se mettre les Druzes dans la poche.»

Le sud syrien représente un enjeu stratégique majeur. Cette région frontalière du plateau du Golan et du Liban concentre aujourd’hui les ambitions croissantes de Tel-Aviv et de Damas. L’ancien régime de Bachar el-Assad, largement appuyé par l’Iran, avait permis une certaine présence de groupes armés pro-iraniens aux portes d’Israël. Aujourd’hui, le nouveau pouvoir sunnite d’Ahmad al-Chareh entend reprendre le contrôle total du territoire, mais Israël redoute un retour de forces hostiles sous une autre bannière.

Dans ce contexte, la communauté druze devient un facteur décisif. Présente à la fois en Syrie, au Liban et en Israël, elle représente un maillon entre trois Etats et autant d’intérêts divergents. «Les Druzes israéliens sont très intégrés dans l’armée, ils ont une forte influence dans les cercles militaires. Cela explique en partie la réaction rapide d’Israël. Il y a une instrumentalisation du conflit, mais aussi une pression interne liée à la protection d’une population nationale», analyse Rami Abou Diab.

La province sudiste de Soueïda, peuplée de 370.000 habitants dont une majorité de Druzes , a longtemps incarné une forme de neutralité. Pendant les quatorze années de guerre civile, les autorités de Damas avaient toléré une relative autonomie des structures druzes locales, en échange d’une non-agression. Des milices d’autodéfense encadraient la province, souvent mieux acceptées que les forces gouvernementales. Ce fragile équilibre a été rompu.

«Avec l’arrivée d’un président sunnite à Damas, la stratégie a changé. Le régime cherche désormais à intégrer les milices druzes aux forces régulières, parfois de manière forcée. Ce n’est pas un dialogue, c’est une absorption sous contrainte, explique Rami Abou Diab. Cette dynamique suscite une profonde inquiétude. Les Druzes se demandent s’ils seront les prochains à subir des exactions. La souveraineté que revendique Damas ne rassure pas. Elle fait peur. Plus que les bombardements israéliens

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