Lundi, Washington a présenté une feuille de route en 20 points pour mettre un terme au conflit à Gaza. Une proposition initialement approuvée par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, avant un rétropédalage progressif. Pour Michel Liégeois, professeur en relations internationales à l’UCLouvain, la réussite du plan dépendra de la pression que Trump pourra exercer sur l’Etat hébreu.
«L’un des plus beaux jours de la civilisation». C’est par ces termes que Donald Trump, fidèle à ses formulations dithyrambiques, a présenté son plan pour la paix à Gaza, lundi, à Washington. Une feuille de route en 20 points, censée mettre fin aux hostilités dans l’enclave palestinienne à court terme et en assurer la reconstruction à moyen et long terme. La proposition, saluée par la communauté internationale et initialement approuvée par Benjamin Netanyahou, semblait avoir toutes ses chances d’aboutir. Avant que le Premier ministre israélien ne rétropédale. Le plan américain aurait-il déjà du plomb dans l’aile? Décryptage avec Michel Liégeois, professeur en relations internationales à l’UCLouvain.
Mardi matin, Benjamin Netanyahou a semblé revenir sur le contenu de l’accord, qu’il avait pourtant approuvé la veille. Comment l’expliquer?
Le fait que le Premier ministre israélien ait accepté d’emblée le plan était en soi un peu étonnant, parce qu’Israël reste une démocratie. Netanyahou n’est pas seul à décider. Et, visiblement, il n’avait pas eu la possibilité de consulter sa coalition gouvernementale sur la question. Or, cette coalition est quand même composée de partis ultra-orthodoxes qui peuvent s’opposer à certains aspects du plan. La proposition prévoit notamment, à terme, la création d’un Etat palestinien sur une bonne partie de la Cisjordanie. Or, ce point est totalement imbuvable pour certaines factions au pouvoir. Ce qui explique logiquement le rétropédalage de Netanyahou après son départ de Washington. Un revirement qui a de quoi décevoir, car le plan offrait une perspective très rapide d’un arrêt des opérations militaires et d’une libération du flux de l’aide humanitaire, dont les Gazaouis ont désespérément besoin. Tout le monde avait envie d’y croire, mais force est de constater que ce n’est peut-être pas aussi bien parti que la communauté internationale aurait pu l’espérer.
D’autant que l’entrée en vigueur du plan dépend aussi de l’approbation du Hamas. Or, la proposition américaine prévoit son exclusion du pouvoir à terme. Accepter la proposition relèverait en quelque sorte d’un suicide politique pour le mouvement islamiste…
Pas tout à fait. Sur ce point, le plan est assez subtil, car il octroie un sauf-conduit à l’ensemble des responsables du Hamas ainsi qu’une amnistie à ceux qui rendraient les armes et accepteraient une «coexistence pacifique» avec Israël. C’est-à-dire que les leaders du Hamas, même ceux qui sont responsables des attaques du 7 octobre, auraient la liberté de quitter librement le territoire de Gaza s’ils le souhaitent, et d’obtenir un sauf-conduit dans n’importe quel pays de destination qui voudra bien les accueillir. Ce qui représente un grand pas en avant par rapport à la proposition d’Israël, qui a promis de tuer tous les leaders du Hamas… Et puis, le fait que le Hamas soit explicitement exclu de l’Autorité palestinienne reste une obligation aisément contournable. Le Hamas, avec un peu de toilettage, peut très bien renaître de ses cendres sous un autre nom ou une autre affiliation, avec toute une série de personnes qui n’ont pas directement été impliquées dans les opérations militaires. Je ne pense donc pas que ce point pose un très gros problème. Et le Hamas peut même sortir victorieux de ce plan, au vu de la totalité de son contenu. Tout est une question de perspective, mais d’une certaine façon, ce plan me paraît plus imbuvable pour certaines factions israéliennes que pour le Hamas.
La balle se situerait donc plutôt dans le camp israélien?
Oui. Le plan va devenir assez vite une affaire de politique intérieure israélienne. La coalition au pouvoir risque de se déchirer sur la question. Et on pourrait imaginer voir émerger une coalition alternative, une sorte de «coalition de la raison» qui, sous la pression américaine, permettrait l’adoption du plan. Ce qui semble impensable dans la configuration actuelle, avec les partis ultra-orthodoxes au pouvoir.
La concrétisation du plan reste donc envisageable malgré les obstacles majeurs?
La réponse à cette question se trouve à la Maison-Blanche. Tout dépendra de la pression que Trump décidera de mettre sur Netanyahou. Car on le sait, Israël vit sous perfusion permanente de l’aide financière et militaire américaine. Si celle-ci s’arrête, Israël est en grande difficulté. Trump se trouve donc en position de force pour faire valoir ses atouts. Mais va-t-il aller jusqu’à menacer de rompre le cordon ombilical? Aucun président américain n’a osé pour le moment s’engager sur ce terrain miné. Mais on sait que Trump se voit en faiseur de paix, et souhaite même décrocher le prix Nobel. Son ego personnel est également un paramètre important dans ce dossier. Il a quand même engagé sa crédibilité en mettant cette proposition sur la table. Reculer maintenant paraît risqué, car il ne peut pas perdre la face. D’autant qu’il a quand même échoué jusqu’ici à résoudre l’autre grand conflit, à savoir la guerre en Ukraine. Je ne pense pas qu’il ait envie d’échouer une deuxième fois. Il est donc prêt à aller assez loin dans la pression sur les Israéliens.