Vendredi, la France a largué 40 tonnes d’aide d’humanitaire au-dessus de la bande de Gaza. Une aide bienvenue, dans un territoire en proie à une grave famine, qui est toutefois critiquée, car jugée coûteuse, insuffisante et inefficace. Sans compter qu’elle peut représenter un danger physique pour les Gazaouis.
La population gazaouie n’est plus seulement au bord de la famine, la bande de Gaza connaît aujourd’hui des «niveaux alarmants» de malnutrition, alertent les Nations unies. «Les dernières données indiquent que deux des trois seuils de famine ont désormais été franchis dans certaines parties du territoire», soulignent le Programme alimentaire mondial, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).
Devant les images d’une population dénutrie –en particulier les enfants– et face à la pression internationale, les gouvernements ont enfin décidé d’agir. D’abord Israël, en coordination avec la Jordanie et les Emirats arabes unis, qui ont repris les largages aériens d’aide humanitaire le week-end dernier. Ensuite, les pays occidentaux comme l’Espagne, l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni ou encore la Belgique ont fait des promesses. Ce vendredi, des avions français ont largué pas moins de 40 tonnes d’aide humanitaire au-dessus de la bande de Gaza.
Cette aide venue du ciel est cependant décriée. AJ+, média qatari très orienté sur la question du conflit israélo-palestinien, a publié, jeudi, une vidéo sur Instagram montrant des Gazaouis sur une plage d’Az-Zawayda après un largage a priori israélien, dont la date n’a pas été communiquée. On y voit plusieurs dizaines de personnes en train de fouiller dans le sable. Face caméra, plusieurs déplacés témoignent d’aliments impropres à la consommation. Ils sont «tombés à la mer, explique un homme. Le sachet de thé était tout trempé. Le sac de farine était trempé. C’est inutilisable.» Un second Palestinien ajoute: «Tout se disperse au sol, tout s’abîme en tombant.» Tous deux parlent d’«humiliation», le premier appelant à l’ouverture des points de passage pour l’aide humanitaire terrestre.
ÍLes largages aériens sont notoirement inefficaces et dangereux. Ils transportent beaucoup moins de marchandises que les 20 tonnes que peut transporter un camion.»
6.000 camions attendent d’entrer à Gaza
La méthode de livraison par voie aérienne est aussi vivement critiquée par les organisations, à l’instar de Médecins Sans Frontières France, pour qui les largages aériens sont «une initiative qui relève du cynisme». MSF estime que la seule vraie solution demeure le convoi terrestre. «Les routes sont là, les camions sont là, la nourriture et les médicaments sont là, tout est prêt pour acheminer l’aide à Gaza, à juste quelques kilomètres. Il suffit d’une simple décision des autorités israéliennes pour faciliter son acheminement, écrit Jean-Guy Vataux, coordinateur d’urgence de l’organisation sur X. Les largages aériens sont notoirement inefficaces et dangereux. Ils transportent beaucoup moins de marchandises que les 20 tonnes que peut transporter un camion.»
Selon l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), 6.000 camions chargés de vivres sont prêts à entrer à Gaza, mais sont actuellement bloqués à l’extérieur du territoire. Outre la capacité des camions à transporter plus d’aide, ceux-ci sont aussi 100 fois moins coûteux que le largage par avion. «S’il existe une volonté politique pour permettre des largages aériens –extrêmement coûteux, insuffisants et inefficaces–, il devrait y avoir une volonté politique similaire pour ouvrir les passages routiers», souligne, sans désigner explicitement Israël, le commissaire général de l’UNRWA, Philippe Lazzarini.
Rixes et imprécision: les dangers du largage aérien
Médecins Sans Frontières évoque également les risques physiques pour les quelque deux millions de personnes concentrées sur 12% du territoire gazaoui. Un largage aérien est, par essence, imprécis et peut être dangereux. Le 8 mars 2024, cinq personnes ont été tuées, et dix autres blessées par la chute d’un colis humanitaire, dans le camp de réfugiés d’al-Chati, à l’ouest de la ville de Gaza. D’autres peuvent mourir noyés en voulant récupérer des vivres tombés dans la mer, témoigne un Palestinien, dans la vidéo d’AJ+. Sans compter que certaines livraisons atterrissent parfois dans des zones militaires inaccessibles à la population.
«C’est la jungle maintenant. Tout le monde veut vivre, tout le monde veut manger.»
La faim qui tiraille peut, en outre, transformer les hommes. Youssef, journaliste gazaoui, rapporte auprès de franceinfo des scènes insensées observées ce dimanche 27 juillet, après un largage aérien de l’Etat hébreu. D’après lui, onze personnes ont été blessées dans des rixes entre déplacés, qui se battaient pour avoir un peu de sucre, de farine ou des boîtes de conserve. «Il y avait des tirs, il y a des gens qui ont attaqué. Si tu prends un sac de farine, il y a des gens qui viennent te braquer, t’agresser. Il n’y a pas de loi, déplore-t-il. C’est la jungle maintenant. Tout le monde veut vivre, tout le monde veut manger.»
100 à 200 camions par jour, contre les 500 nécessaires
Après près de 22 mois d’une guerre dévastatrice déclenchée par une attaque sanglante du Hamas contre Israël, le 7 octobre 2023, Israël a très partiellement assoupli, fin mai, un blocus total imposé début mars à Gaza, qui a entraîné de très graves pénuries de nourriture, médicaments et autres biens de première nécessité.
L’aide humanitaire a recommencé depuis lors à entrer par la route dans le territoire assiégé, mais pour l’essentiel via la GHF (Fondation humanitaire pour Gaza), soutenue par Israël et les Etats-Unis, et en quantité jugée largement insuffisante par la communauté humanitaire internationale, qui refuse de travailler avec cet organisme.
Ces derniers jours, entre 100 et 200 camions d’aide ont pu entrer quotidiennement à Gaza, selon le Cogat (organisme dépendant du ministère de la Défense israélien), alors que l’ONU estime qu’il en faudrait au moins 500 par jour.