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Le Hamas et des gangs rivaux s’affrontent à Gaza: «Il y a un appel d’air dangereux et favorable à ces clans» © Getty Images

Le Hamas et des clans rivaux s’affrontent à Gaza: «Il y a un appel d’air dangereux et favorable à ces clans»

Depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu et la libération des 20 otages israéliens encore en vie, Donald Trump affirme que «la guerre est terminée». Le Hamas réapparaît dans les rues, des clans armés parfois soutenus par Israël lui disputent le terrain, et l’architecture prévue par un plan de paix en 20 points doit encore passer l’épreuve du terrain.

Le cessez-le-feu à Gaza et la poursuite du plan de paix font émerger l’enjeu sécuritaire au premier plan dans les territoires palestiniens. Le Hamas tente de reprendre un semblant de contrôle sur la bande de Gaza en déployant 7.000 membres des forces de sécurité dans les rues et se heurte à plusieurs clans gazaouis rivaux. Deux jours après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu du 10 octobre, des affrontements entre le Hamas et des membres du clan armé Doghmush ont fait 64 morts, dont le journaliste Saleh Jaafaraoui.

Près de l’hôpital jordanien de Gaza, des combattants du Hamas et des hommes armés des Doghmush se sont affrontés. Le quartier sud de Gaza-ville, Tel al-Hawa, est devenu un champ de bataille entre Palestiniens, a rapporté Reuters. «Cette fois, les gens ne fuyaient pas les Israéliens, mais leur propre peuple», a raconté un témoin au média britannique The Telegraph.

Ainsi des groupes armés rivaux, souvent constitutifs de gangs criminels, cherchent à profiter du vide sécuritaire. Parmi eux, les Forces populaires, dirigées par Yasser Abou Shabab, actives notamment dans le sud de Gaza. Le groupe a publiquement défié le Hamas, escortant des convois d’aide humanitaire, et est accusé lui aussi de liens étroits avec l’armée israélienne.

Autre acteur visible, les «Forces de frappe contre le terrorisme» ou «clan al-Majida», menées par Hussam al-Astal, ancien officier de l’Autorité palestinienne. Basées à Khan Younis, ces unités sont hostiles au Hamas et ont pris le contrôle de plusieurs localités. Leurs activités, selon plusieurs observateurs, «contribuent à entretenir un climat d’insécurité et de confrontations permanentes». En tout, quatre clans sont au centre de l’attention: les Doghmush, les Forces populaires, le clan al-Majida et le clan Barkbah.

«A Gaza, l’armée israélienne y a introduit les conditions structurelles requises pour l’émergence de ces groupuscules: ils y ont détruit tout tissu social, semblant de gouvernance, de police, et y a armé des milices de l’opposition palestinienne.»

Elena Aoun, professeure de relations internationales à l’UCLouvain, parle d’un phénomène d’appel d’air créé par la guerre. «Bien avant le 7 octobre, un certain nombre de mouvances groupusculaires montaient déjà en puissance à Gaza et en Cisjordanie. Dont certaines sont idéologiquement affiliées à l’Etat islamique. Mais ce qu’on voit aujourd’hui à Gaza est un phénomène caractéristique à l’économie de conflit. Ce sont des groupes opportunistes, souvent mafieux, qui comme toute mafia sont à la fois dans la prédation économique et dans le recours aux armes pour servir leurs intérêts. A Gaza, par la guerre totale qu’elle a menée, l’armée israélienne a introduit les conditions structurelles requises pour l’émergence de ces groupuscules. Elle a détruit tout tissu social, tout semblant de gouvernance, de police, et a armé des milices dans un contexte de blocus total où l’accès aux rares biens est susceptible de devenir une manne pour ceux capables de les capter. Donc le contexte créé par Israël suscite un appel d’air dangereux et favorable à ces clans.»

Après les affrontements avec les différents clans, le Hamas a communiqué un message officiel confirmant sa volonté de retrouver son monopole sur le contrôle de Gaza: «Un certain nombre de collaborateurs et d’informateurs ont été appréhendés et arrêtés dans la ville de Gaza, après qu’il a été prouvé qu’ils étaient impliqués dans l’espionnage pour l’ennemi, ainsi que dans la participation à l’assassinat de plusieurs membres de la résistance».

«Diviser pour mieux régner»

Plusieurs experts et observateurs internationaux estiment que l’exécutif israélien alimente consciemment les divisions entre le Hamas, les clans palestiniens mais aussi à l’encontre des autres partis politiques (Fatah, Autorité palestinienne…) C’est le cas de Hugh Lovatt, chercheur au Conseil européen pour les relations internationales, qui décrit une stratégie de déstabilisation délibérée. «C’est un scénario dangereux. Mais aussi clairement la volonté politique de l’exécutif israélien, qui entend tout faire pour non seulement affaiblir le Hamas, mais aussi pour garder la société gazaouie dans le chaos. La volonté du pouvoir israélien est d’alimenter une bande de Gaza déchirée par les rivalités entre les clans, sans gouvernance centrale et livrée à des violences intracommunautaires. Cette situation est néfaste tant pour les Palestiniens que pour les Israéliens.»

Fin juin 2025, sur les ondes radio israéliennes, Avigdor Lieberman, ex‑ministre israélien de la Défense, confirmait les soupçons de collaboration avec des clans gazaouis: «Le gouvernement israélien donne des armes à un groupe de criminels et à des voyous, proches de l’Etat islamique, sur ordre du Premier ministre». Une information confirmée quelques jours plus tard par Benyamin Netanyahou lui-même, dans un communiqué de presse: «Israël œuvre à vaincre le Hamas par divers moyens, sur la base des recommandations faites par tous les responsables de l’establishment de la sécurité dans le pays».

Le plan Trump pour combler le vide

Le plan de paix proposé par Donald Trump dit vouloir éviter un effondrement sécuritaire total. Mais Elena Aoun prévient: «Les négociations dudit ‘accord de paix’ ont été faites sans aucun responsable palestinien autour de la table. On parle de l’Autorité palestinienne (AP) comme alternative au Hamas pour gouverner Gaza, mais rien n’a été fait par la communauté internationale pour que celle ci soit effective sur ce territoire, et même en Cisjordanie, pour qu’elle regagne en légitimité et en crédibilité auprès de la société palestinienne. Selon les derniers sondages de mai 2025, seuls 27 à 28% des Palestiniens font confiance à l’AP. Imposer des solutions sans même en consulter les concernés contribue à une logique de déstructuration de la société palestinienne.»

Le président américain a proposé une «gouvernance provisoire assurée par un comité de technocrates palestiniens», sous la supervision d’un Conseil de la paix qu’il présiderait lui‑même. Tony Blair, ancien Premier ministre du Royaume‑Uni, est cité pour y siéger. Selon le plan de Donald Trump, il y aurait donc deux comités; un palestinien et un international qui piloterait la transition.

Ce schéma ne laisse aucune place au Hamas, même indirectement, mais prévoit une amnistie pour les membres qui renonceraient à la lutte armée ou choisiraient l’exil.

Le plan de Donald Trump veut suivre une trame précise: trêve, échanges de prisonniers, retrait partiel israélien, puis création d’une Force internationale de stabilisation (FIS), avant un «transfert de gouvernance à une Autorité palestinienne réformée.»

La «Force internationale», pivot du plan, reste largement virtuelle. 200 soldats américains ont été déployés en Israël pour surveiller l’accord, mais ils ne mettront pas le pied à Gaza. Emmanuel Macron parle d’une résolution à l’ONU «unanime» pour définir les règles d’engagement et le statut de la FIS. Mais ni les contributeurs, ni le commandement, ni la durée, ni le financement ne sont définis.

Elena Aoun et Hugh Lovatt partagent la même conclusion critique à la vue du plan et des événements: «L’objectif est toujours de rendre Gaza ingouvernable, invivable, et ainsi de créer les conditions pour provoquer le départ de la population. En l’absence de solution locale reconnue et de mécanismes de sécurité opérationnels, la reconstruction et la stabilisation de Gaza restent hypothétiques. D’autant que la question majeure de l’occupation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est, qui y étrangle les Palestiniens, n’est même pas évoquée par ce plan.»

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