Sur la côte du Golfe persique, une installation du gisement gazier de South Pars, stratégique pour la viabilité économique de l’Iran. © GETTY

Le blocage du détroit d’Ormuz par l’Iran serait une bombe stratégique: «Une action désespérée est envisageable», 3 scénarios sont possibles

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

L’arrêt de la production des hydrocarbures iraniens ou, pire, le blocage du détroit d’Ormuz auraient des répercussions autrement plus redoutables sur l’économie mondiale.

L’Iran est le troisième producteur de pétrole de l’Opep avec 3,4 millions de barils de brut par jour (chiffre d’avril 2025) derrière l’Irak (4,2 millions) et l’Arabie saoudite (neuf millions). Sa production représentait en 2023 quelque 5% de l’offre mondiale d’or noir. La proportion est sensiblement de même grandeur pour le gaz iranien. Quelles conséquences pourrait avoir sur le marché des hydrocarbures une guerre qui se prolongerait? De la réponse à cette question dépendra l’évolution du portefeuille du citoyen, relativement épargné depuis plusieurs mois, lors de son passage à la station-service.

La conjoncture offre des sources légitimes d’inquiétude. Le registre des attaques d’Israël en Iran s’est étendu au secteur énergétique: le dépôt de pétrole de Shahran à Téhéran, une partie de la raffinerie de Chahr-e-Rey à une dizaine de kilomètres de la capitale, une usine de traitement du gaz dans le port de Kangan à l’extrémité sud-ouest du pays, à proximité du gigantesque gisement de South Pars, ce qui a entraîné la suspension des activités d’une de ses plateformes maritimes… La menace n’est pas encore intense, mais elle n’est pas absente. Dans ce contexte, depuis le début de l’attaque d’Israël le 13 juin, les cours du Brent ont augmenté aux alentours des 75 dollars le baril, un prix conforme à ce qu’il était il y a deux mois, soit avant la décision de l’Opep début mai d’augmenter sa production. Pas de quoi s’alarmer, donc.

Ne pas nuire à Trump

«Il est difficile de connaître exactement les intentions d’Israël sur les capacités productives iraniennes en gaz ou en pétrole, souligne Adel El Gammal, professeur en géopolitique de l’énergie à l’ULB . A ce stade, il n’y a pas eu de destructions massives de l’infrastructure. Cela pourrait être un des objectifs de guerre, parce que la vente des hydrocarbures est une des conditions de la survie économique du régime. Ce qui retient probablement Israël, c’est que créer un choc pétrolier majeur aurait immanquablement des répercussions sur l’augmentation du prix des hydrocarbures, plus élevé que celui qu’on a connu jusqu’à présent, et induirait automatiquement une nouvelle inflation, ce que le principal allié d’Israël, les Etats-Unis, essaie précisément d’éviter.»

Dès lors, trois scénarios sont envisageables. Première hypothèse: le conflit est contenu, sans destruction majeure sur l’infrastructure énergétique. Dans ce cas, et avec les précisions d’usage liées aux incertitudes de pareille situation, on pourrait imaginer que les prix n’augmentent pas de façon démesurée. «Ils grimperaient tout de même dans une fourchette entre 75 et 100 dollars le baril de Brent si le conflit perdure. Car il faudra composer avec les doutes sur la production et le transport, le renchérissement des assurances, la hausse du coût de la navigation, etc. La volatilité des prix pourrait alors être assez forte, c’est-à-dire une grande sensibilité à tout effet exogène dans le cadre du conflit ou à sa périphérie. On peut imaginer, par exemple, qu’à un certain moment, la Chine et la Russie commencent à réagir», analyse Adel El Gammal.

Deuxième scénario: malgré l’effet possible sur l’inflation aux Etats-Unis, Israël cible davantage d’infrastructures, et la production d’hydrocarbures iranienne est arrêtée. «Si Israël en venait à neutraliser la production de l’Iran, ce que je ne pense pas, cela aurait indiscutablement une incidence assez prononcée sur les prix, complète l’expert de l’ULB. Néanmoins, on peut se poser la question de savoir quelle en serait la durée. Depuis les chocs pétroliers des années 1970, depuis l’invasion russe de l’Ukraine, le système international est beaucoup plus résilient. Les pays de l’Opep ont la capacité de remonter en charge relativement facilement. L’effet immédiat serait très important. Mais on ne se situerait pas du tout dans une situation telle que celles connues en 1973 et en 1979. Les prix se restabiliseraient à un niveau plus élevé dans les mois qui suivraient. Ce ne serait pas une apocalypse sur le marché des hydrocarbures.»

«Depuis les chocs pétroliers des années 1970 et l’invasion russe de l’Ukraine, le système international est beaucoup plus résilient.»

Une action désespérée…

Troisième hypothèse: la guerre s’intensifie, le régime de Téhéran est acculé, il déclenche la «bombe stratégique», le blocage du détroit d’Ormuz, entre l’Iran et Oman, par lequel passe 21% de la consommation mondiale de pétrole. «Le régime d’Ali Khamenei joue sa survie. En général, ce type d’autocrate ne se laisse pas entraîner tout seul dans sa chute. Il pourrait donc être tenté par des actions désespérées, comme le blocage du détroit d’Ormuz. On ne peut pas l’exclure, même si, de la sorte, le régime se priverait d’importants revenus. Il pourrait tester cette action pour voir comment l’Occident réagit. Ce serait sans doute un mauvais calcul parce que le blocage provoquerait une intervention militaire beaucoup plus directe des Etats-Unis qui ne laisseraient pas faire.» Scénario improbable donc, mais…

«Le plus inquiétant dans cette guerre, avertit Adel El Gammal, c’est qu’elle intervient entre deux pays gouvernés par des autocrates qui ont perdu tout sens de la limite. En Iran, les dirigeants n’en ont jamais eu et ils sentent leur chute possible. Une action désespérée est envisageable. En Israël, le gouvernement de Benjamin Netanyahou, qui a le soutien indéfectible des Etats-Unis et n’est soumis qu’à très peu de contre-pouvoir intérieur, développe une fièvre impérialiste avec le rêve de remodeler complètement la région. C’est un véritable risque parce que le Moyen-Orient est le centre névralgique de la production des hydrocarbures et une zone dans laquelle tous les grands acteurs géopolitiques ont des intérêts.»

G.P.

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