Au Liban, la réouverture d’une guerre Hezbollah-Israël est vécue comme une fatalité. L’intensification des bombardements sur la région, le refus israélien des négociations directes et l’échec du désarmement du Hezbollah dressent un tableau où la catastrophe humanitaire est décrite comme inévitable.
Depuis le cessez-le-feu à Gaza entré en vigueur le 10 octobre 2025, les opérations de l’armée israélienne se sont amplifiées au Liban. Si les frappes étaient fréquentes dès le lendemain de la trêve entre Israël et la milice armée chiite du Hezbollah en novembre 2024, elles sont devenues quotidiennes depuis une dizaine de jours. Faisant au moins cinq morts et seize blessés ces derniers jours et augmentant le bilan total depuis la trêve à «plus de 270 morts et au moins 850 blessés», selon le ministère libanais de la Santé.
La crainte des Libanais est qu’une nouvelle guerre éclate. Depuis le cessez-le-feu à Gaza, l’armée israélienne a réaffirmé la poursuite de ses objectifs au Liban: «Désarmement du Hezbollah et sécurisation de la frontière». Les autorités israéliennes présentent certaines de leurs cibles comme «des infrastructures terroristes du Hezbollah» pour justifier leurs frappes. Mais des responsables libanais tous azimuts, comme le président Joseph Aoun, démentent ces annonces et accusent Israël «d’empêcher la reconstruction du Liban par la destruction d’infrastructures civiles essentielles.»
«Quand nous parlons de paix, c’est une illusion. Il n’y en a jamais eu au Moyen-Orient. Il n’y en aura probablement jamais. Tout le monde se bat pour sa légitimité.»
Pour Ghinwa Jaber, libanaise du sud et spécialiste politique de la région, la guerre ne s’est jamais vraiment finie, mais risque de reprendre plus intensément sous peu: «Chaque pression finit par une action. Ces tensions, nous les avions ressenties l’année dernière. Puis est venue la guerre. Mais le fait qu’on reparle davantage de cette possibilité n’est pour moi pas directement attribuable au cessez-le-feu à Gaza. Israël a largement les moyens de tenir deux fronts et de mener des opérations conjointes. La crainte d’une nouvelle guerre est un constat presque logique. Israël continue d’imposer ses règles au Liban en contrôlant le sud et en empêchant toutes reconstructions civiles. Tout en imposant des « visas » pour les agriculteurs qui ont des plantations d’olives jugées trop proches de la frontière. Les casques bleus sont obligés d’encadrer les récoltes, arme à la main. Ça n’a l’air de rien, mais ce sont des pressions qui n’existaient pas avant. On observe un désir israélien d’avoir la mainmise sur tout ce qui se passe au sud du Liban, mais aussi de dicter la politique intérieure du pays.»
Un cul-de-sac qui mène au conflit
Le Liban est empêtré dans un cul-de-sac. D’un côté, Israël répète que le désarmement du Hezbollah est une des conditions non négociables pour le maintien du cessez-le-feu. De l’autre, la milice chiite utilise les violations pour justifier sa «légitimité aux armes».
Au vu des récents événements, plusieurs analystes de la région interrogés partagent le constat fataliste de Tom Barrack, émissaire américain envoyé au Liban, interrogé par The National: «Quand nous parlons de paix, c’est une illusion. Il n’y en a jamais eu au Moyen-Orient. Il n’y en aura probablement jamais. Tout le monde se bat pour sa légitimité.» Une sortie médiatique qui a alerté jusqu’au président du Parlement libanais, Nabih Berri. Lors d’une conférence de presse, il dira ne pas comprendre comment l’homme fort de la diplomatie trumpienne au Liban, chargé du processus de désarmement des groupes armés non étatiques, du retrait israélien et de la stabilisation à la frontière sud-libanaise, peut tenir des propos à l’encontre des fondements de sa mission.
Le principal média du Liban, L’Orient-Le Jour, titre sur ce changement d’attitude généralisé, jugeant les déclarations de Tom Barrack comme «un tournant qui révèle tout ce qui était jusqu’alors implicite.» L’urgence est comprise par les Libanais, et particulièrement par les chiites du pays, majoritairement dans le sud. Le désarmement du Hezbollah et la mise en place de négociations directes avec Israël s’imposent comme les seules issues viables. «A défaut, Israël pourrait mener une opération militaire d’envergure contre le Hezbollah», conclut le quotidien libanais.
Mais ce désir de négociations directes a tourné court. Nabih Berri a annoncé ce 21 octobre «l’échec de la voie diplomatique.» Selon lui, Israël a formellement rejeté une initiative américaine transmise par Tom Barrack prévoyant une pause de deux mois des opérations israéliennes au Liban, suivie d’un retrait des «territoires libanais occupés» et du lancement de discussions sur les frontières.
«La guerre va reprendre»
Le Liban apparaît démuni. Ses tensions internes prennent de l’ampleur, entre un Parlement qui demande l’abandon urgent des armes du Hezbollah, et une milice armée chiite qui ne jure que par elles. Les civils, eux, observent la scène de loin et sentent que la reprise de la guerre trace son chemin de jour en jour.
Ghinwa Jaber explique ce qu’elle est amenée à voir quotidiennement et ce qu’elle considère comme des signes avant-coureurs d’un ravivement du conflit: «Dans les zones déjà rasées par la guerre, où les populations tentent de reconstruire leur maison, chaque bulldozer est une cible pour leurs drones. Les enfants font leurs adieux à leurs parents tous les matins avant d’aller à l’école. Les habitants sont déprimés. Ils voient l’inaction de l’armée libanaise, les échecs répétitifs de la diplomatie, et se tournent davantage vers le Hezbollah. Ici, dans le sud, la milice chiite n’a jamais été aussi populaire qu’aujourd’hui. La majorité des civils du sud ne veulent pas du désarmement. Il y a d’un côté le gouvernement libanais qui joue le jeu de la diplomatie selon l’agenda américain et sous pression des bombardements israéliens, et de l’autre les promesses non tenues du cessez-le-feu. Il est impossible pour eux d’avoir confiance dans le plan israélien qui assure une paix totale et une libération des «zones occupées» une fois le désarmement acté. Personne n’y croit. Il y a cette peur constante d’être une victime collatérale des bombardements qui tombent sans avertissement, sur des voitures garées devant des cafés, proche des écoles. Dans le sud, tout le monde pense que du jour au lendemain, la guerre va reprendre.»