
Guerres au Proche-Orient: pourquoi les pressions sont maximales sur les rebelles houthis du Yémen
Aux bombardements israéliens en réponse à une attaque de missile sur Tel-Aviv, s’ajoute la menace d’une opération terrestre de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite, mais minée par les divisions.
Sur le front nord de Marib, à Raghwan, le commandant Saleh (1) a posé les armes une fois la nuit venue. Depuis que Donald Trump a lancé l’opération «Rough Rider» le 15 mars, intensifiant les bombardements américains sur les Houthis, les forces du gouvernement internationalement reconnu ont vu les rebelles yéménites réduire leurs activités militaires contre elles. «Nous espérons marcher bientôt sur Sana’a, affirme le commandant. Je peux vous dire que ça bouge sur les lignes de front des deux côtés. Avec les récents mouvements et préparatifs, il y a des signes d’espoir», ajoute-t-il, sans entrer dans les détails.
Au Yémen, la rumeur d’une grande offensive terrestre contre les Houthis a redonné espoir à des milliers de familles séparées par la guerre. Fin 2014, le groupe rebelle proche de l’Iran a envahi un tiers du pays et précipité la fuite du président et de son gouvernement dans le sud. Aidée militairement et économiquement par une coalition formée par l’Arabie saoudite, l’armée nationale l’a repoussé dans les anciennes frontières du Yémen du nord. Marib, région située à seulement 200 kilomètres à l’est de la capitale Sana’a tenue par les Houthis, fait office, depuis le début du conflit, de zone particulièrement disputée par les belligérants. Côté gouvernemental, une coalition de tribus et ce qui reste de l’armée nationale défendent avec férocité cette portion de territoire depuis 2015.
«La bataille est désormais internationale et mondiale. Elle n’est plus uniquement yéménite.»
Afflux de nouvelles recrues
Depuis le massacre du 7-Octobre par le Hamas palestinien et l’entrée des Houthis dans le conflit en réaction à l’offensive israélienne à Gaza, ceux-ci ont fait l’objet d’une campagne de bombardements de la part des Etats-Unis. Elle a notamment tué 200 officiers dans leurs rangs, dont deux généraux de brigade. Washington aurait déjà dépensé un milliard de dollars en munitions dans ces opérations. Beaucoup doutent cependant que les Américains mettent en péril leurs stocks pour un groupe qui, à travers ses attaques de navires en mer Rouge, nuit surtout, selon les propos du vice-président J.D. Vance révélés par le «Signalgate», au commerce maritime européen. Des commandants américains ont alerté sur les effets négatifs concernant les munitions nécessaires à la dissuasion contre la Chine en cas de campagne militaire prolongée au Yémen. Officiellement, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, soutiens de l’armée nationale yéménite, ont rejeté toute éventualité de reprendre la guerre contre les Houthis. Mais…
Sur la ligne de front, le commandant Saleh constate une relance récente de l’aide saoudienne. «Depuis un mois, nous observons une reprise du soutien logistique de la part de l’Arabie saoudite. D’après ce que l’on constate sur le terrain, l’aide militaire a repris», s’enthousiasme-t-il. «La bataille est désormais internationale. Elle n’est plus uniquement yéménite. La menace houthie s’est propagée au-delà du Yémen et beaucoup d’acteurs réalisent désormais qu’elle est devenue mondiale», précise Hassan Abu Salem, colonel de l’armée nationale yéménite.
Le commandant Saleh précise que sa section a enregistré un nombre impressionnant de nouvelles recrues, motivées par la perspective d’une offensive contre des Houthis affaiblis. Mais selon les observateurs, il est peu probable qu’un tel scénario se produise. «La coalition dirigée par l’Arabie saoudite estime qu’après huit ans, elle n’a pas réussi à vaincre les Houthis, en grande partie en raison des profondes divisions au sein de l’alliance qui les combat», avance Mohammed Albasha, analyste américain spécialiste du Yémen.
Des désaccords profonds
Les forces progouvernementales connaissent en effet des désaccords profonds. Le Conseil de transition du sud (CTS), l’une des principales forces militaires du pays soutenue par les Emirats arabes unis, est toujours en conflit ouvert avec le gouvernement pour obtenir l’indépendance du Yémen du Sud. Il semble considérer la question des Houthis comme un «problème nordiste» et être peu intéressé par une implication de ses troupes au-delà de ses territoires. Dans l’Hadramaout, région pétrolière et zone d’influence historique des Saoudiens, un puissant conglomérat de tribus locales formé depuis peu, l’Alliance tribale de l’Hadramaout (ATH), appelle lui aussi à une autonomie de la région et se pose en adversaire direct du CTS. Sur la côte ouest, les forces de Tarek Saleh, le petit-neveu de l’ancien président tué par les Houthis, ne bénéficient pas encore du soutien militaire américain, saoudien et émirati réclamé par son leader. Il faut aussi prendre en compte deux forces salafistes, la Brigade des géants, armée et financée par les Emirats arabes unis, et l’unité les Boucliers de la nation, créée par l’Arabie saoudite. Mais elles ne coopèrent pas.
«Nombreux sont ceux qui, dans le nord, luttent discrètement contre les Houthis.»
La partie du pays qui échappe au contrôle des Houthis vit en outre une crise politique importante. Le 12 mars, la presse yéménite a publié un document confidentiel faisant état d’émoluments astronomiques (trois millions de dollars mensuels) partagés par la poignée des membres du Conseil présidentiel. Un montant perçu comme indécent à l’heure où 19,8 millions de Yéménites, soit plus de la moitié de la population, dépendent de l’aide humanitaire. L’accès irrégulier ou inexistant à l’électricité, à l’eau courante et à des soins médicaux de base, à l’origine d’importantes manifestations dans plusieurs districts d’Aden la capitale intérimaire, ont accru la pression sur le gouvernement.
Fragilisé par l’absence de cohésion militaire et politique, celui-ci fait face à des rebelles houthis qui ont pris soin d’éliminer toute forme de pluralité politique. «Bien que je ne croie pas que les Houthis puissent remporter des élections démocratiques dans le nord, de nombreux habitants sont également déçus par le gouvernement internationalement reconnu, qui, selon eux, n’a pas réussi à diriger efficacement les zones libérées. Par conséquent, les frappes aériennes qui font des victimes civiles font finalement le jeu des Houthis», analyse Mohammed Albasha. Les images d’un bombardement attribué aux Américains sur un marché de Sana’a le 21 avril, faisant douze morts et 30 blessés, ont renforcé la colère populaire contre les Etats-Unis. Cependant, les assassinats ciblés de personnalités militaires houthies par les Américains témoignent de l’existence d’un renseignement humain hostile aux rebelles.
Des dirigeants houthis traqués
Le général Yahya Abdullah Al-Hamran, surnommé «l’aveugle», était gouverneur adjoint de Saada, fief des Houthis, et responsable du recrutement et de la mobilisation militaire dans la province. Il a été tué dans sa voiture par un tir de drone américain. Par crainte d’assassinat, certains cadres auraient limité leurs apparitions publiques et leurs mouvements. Les demandes d’accréditation presse des médias étrangers ont, elles, été mises en pause. «Nombreux sont ceux qui, dans le nord, luttent discrètement contre les Houthis, ce que ces derniers ont eux-mêmes reconnu publiquement. Cette résistance interne croissante explique pourquoi ils sont de plus en plus paranoïaques et continuent d’arrêter des saboteurs présumés», soutient Mohammed Albasha. Depuis mars, de nombreux civils ont été appréhendés, accusés d’espionnage ou pour avoir simplement filmé des destructions causées par des bombardements américains.
Ces informations ont certainement pu livrer des localisations secrètes et stratégiques au renseignement américain. A la mi-avril, les Etats-Unis ont bombardé la base militaire et stratégique d’Al-Hafa, située sur le mont Nuqum, en amont de la capitale yéménite. Cette base comprendrait une importante série de tunnels et de réserves d’armes. «Les frappes américaines ont perturbé le commandement des Houthis. Ils pourraient surmonter ce problème avec le temps, si l’opération aérienne n’est pas accompagnée d’une action terrestre», insiste Hassan Abu Salem, colonel de l’armée nationale yéménite.
Les intérêts saoudiens
A ce stade, la balle semble être dans le camp des Saoudiens. Mais leur engagement reste très incertain. L’accord de paix obtenu par la Chine en 2022 entre Riyad et Téhéran –jusqu’ici respecté– pourrait également pousser le prince héritier Mohammed ben Salmane à ne pas intervenir au Yémen. «Riyad donne désormais la priorité aux efforts de paix régionaux avec l’Iran, tout en investissant massivement dans ses propres initiatives de développement, notamment la Coupe du monde de football en 2030, l’Exposition universelle la même année et d’autres événements majeurs. Une reprise du conflit avec un adversaire voisin ne ferait que compromettre les objectifs de sa Vision 2030», assure Mohammed Albasha. Les Houthis ont d’ores et déjà menacé de reprendre leurs frappes sur leur voisin en cas d’un réengagement militaire de sa part.
Autre possible facteur d’influence, les négociations sur le programme nucléaire iranien entre Téhéran et Washington pourraient isoler un peu plus les rebelles yéménites. Comme la réplique d’Israël au tir d’un missile sur Tel-Aviv le 4 mai concrétisée deux jours plus tard par une attaque aérienne visant l’aéroport international de Sana’a et des centrales électriques. Les prochaines semaines risquent d’être agitées au nord du Yémen.
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