Shoah
Le siège de Marioupol par les Russes en 2022, une réalité plus proche de la guerre à Gaza que le ghetto de Varsovie.

Guerre à Gaza: «Pourquoi faut-il convoquer la Shoah quand il s’agit d’Israël et de la Palestine?»

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Les Israéliens n’ont pas la volonté de détruire l’ensemble de la population palestinienne, estime l’historien Tal Bruttmann. L’accusation de génocide relève chez certains de l’antisémitisme.

En tant qu’historien et citoyen, Tal Bruttmann, coauteur de Auschwitz. L’image comme source (Seuil) a été évidement marqué par le massacre du 7 octobre 2023 et est sensible à la guerre qui se déroule à Gaza depuis lors.

Certains parlent à propos de l’offensive militaire israélienne dans la bande de Gaza de «génocide visible». Quelle est votre opinion sur cette qualification?

La convocation du génocide contre Israël est systématique depuis les années 1970. Chaque fois qu’il y a eu des affrontements armés, Israël a été accusé de génocide. C’est récurrent. Ensuite, l’accusation de génocide en Belgique, en France et en Allemagne est portée avec un arrière-plan: les Israéliens feraient ce que les nazis ont fait aux Juifs. Il est intéressant de noter que Gaza a été rasée d’un point de vue militaire, et que des députés, en France, ont fait un lien avec le ghetto de Varsovie, ce qui n’est pas comparable par plein d’aspects. En revanche, personne ne s’est référé à Marioupol, en Ukraine, rasée il y a trois ans par les Russes, et où il y a eu le même nombre de morts, environ 50.000 personnes. Que l’on convoque le ghetto de Varsovie dont 95% des habitants ont été tués et pas Marioupol où il y a 50.000 morts, ce qui est beaucoup plus proche de ce qui est vécu à Gaza, m’interpelle en tant qu’historien. Cela pose une question. Y a-t-il une volonté des Israéliens de détruire l’ensemble de la population palestinienne vivant à Gaza? La réponse est non, même si le nombre de victimes est très élevé. S’il s’agit juste de gesticuler pour accuser les Israéliens, autrement dit les Juifs, de commettre un génocide et de se laver les mains de tout ce qui se passe dans le monde comme le font un grand nombre de commentateurs, cela me questionne. Ceux qui sont en train de parler de génocide à Gaza se sont désintéressés d’énormément d’autres sujets contemporains, comme le sort des Ouïghours ou celui des Soudanais. On pourrait multiplier les exemples. Je ne vous dis pas que ce qui se passe à Gaza est normal, ce n’est absolument pas le propos. Cela relève du crime contre l’humanité, il n’y a aucun doute là-dessus. Mais l’accusation de génocide pose question.

«Protester contre ce qui se passe à Gaza est totalement légitime.»

Ceux qui l’affirment se fondent sur les vidéos et les photos reçues de Gaza…

L’image d’un crime –des femmes, des enfants tués, par exemple– ne dit pas la qualification juridique du crime. Lors du Covid, on a eu une génération spontanée de plusieurs dizaines de millions de spécialistes ès virologie. Depuis le 7-Octobre, puis de la réponse israélienne au massacre commis par le Hamas, on a des dizaines de millions de spécialistes en droit international, qui, à ma connaissance, est très peu pratiqué. On va laisser cela aux juristes. En tant qu’historien, je peux qualifier ce qui est en train de se passer à Gaza, de façon analytique, de crime contre l’humanité, comme le 7-Octobre est un crime contre l’humanité. Protester contre ce qui se passe à Gaza est totalement légitime. Les populations civiles sont en train de payer un prix très lourd. Ce qui m’interroge, c’est pourquoi il n’y a que sur ce conflit-là qu’il y a de telles mobilisations. Pourquoi faut-il convoquer la Shoah quand il s’agit d’Israël et de la Palestine? Une fois que l’on aura la réponse à la question, on y verra beaucoup plus clair.

Y voyez-vous une forme d’antisémitisme?

Dans le chef d’une grande partie de ceux qui gesticulent, oui, c’est évident. Et je ne suis pas en train de dire qu’il est illégitime, antisémite, de protester contre le sort des Palestiniens. En revanche, qu’il y ait une telle focalisation, traduite par des accusations de génocide… dès fin octobre 2023, a de quoi interpeller.

G.P.

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