Gaza, l’aide humanitaire au cœur de la stratégie militaire israélienne © Getty Images

Gaza: l’aide humanitaire au cœur de la stratégie militaire israélienne

Alors que la famine menace la population de Gaza, Israël impose un blocus total depuis plus de deux mois. Derrière les bombardements, une bataille s’engage aussi autour de l’aide humanitaire, devenue un levier de guerre autant qu’un sujet de division au sommet de l’Etat hébreu.

Israël accélère ses opérations militaires au Proche-Orient. A Gaza, au Liban et en Syrie, l’Etat hébreu multiplie les bombardements et les incursions, à l’aube d’une nouvelle offensive d’ampleur dans la bande de Gaza. Là où la communauté internationale réclame la levée du blocus humanitaire imposé depuis plus de deux mois, la stratégie de Benjamin Netanyahou prend une tout autre direction: celle d’étendre ses opérations dans l’enclave palestinienne, en mobilisant plusieurs dizaines de milliers de réservistes. Son cabinet sécuritaire a validé un plan de «conquête» du territoire, incluant des «frappes puissantes contre le Hamas.»

S’il n’est pas rare de voir Israël adopter une position contraire aux recommandations internationales, les développements récents laissent entrevoir une stratégie militaire articulée autour du contrôle de l’aide humanitaire. Plus un sachet de riz, ni une bouteille d’eau, ni un gramme de farine n’a été acheminé à Gaza depuis deux mois. Les stocks sont vides. Le risque de famine est de quatre sur cinq, jugé critique par l’IPC (Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire), organe de surveillance de la faim dans le monde: «La situation humanitaire dans la bande de Gaza est extrêmement grave et se détériore rapidement. Une action immédiate, en quelques jours et non en quelques semaines, est requise.»

Israël a récemment informé les Nations unies de sa volonté de reprendre la gestion de l’aide en la confiant à des sociétés de sécurité privées. Une note interne de l’organisme israélien de coordination de l’aide à Gaza (COGAT), qui circule dans les réseaux humanitaires, détaille ce plan: tous les convois passeront par le point de Kerem Shalom, au sud de la bande de Gaza, avec un maximum de soixante camions par jour. Les centres logistiques, opérés par des entreprises israéliennes, devront utiliser un système de reconnaissance faciale pour identifier les bénéficiaires de l’aide. L’objectif est de «centraliser l’aide», indique le document. Une mesure que dénoncent plusieurs ONG, qui y voient une manœuvre pour forcer les déplacements de populations vers le sud du territoire.

Kheda Djanaralieva, chercheuse en droit international humanitaire à l’ULB, rappelle: «L’autorité occupante, donc Israël, peut, si elle le souhaite, vérifier et contrôler le déroulement de l’aide humanitaire. C’est permis par le droit international, à condition qu’elle assure elle-même cette aide. C’est son devoir le plus élémentaire. Sur papier, Israël doit même en faciliter l’accès. Restreindre son déploiement à une zone précise, c’est provoquer des déplacements forcés ou empêcher l’acheminement vers certaines zones. Dans ce cas, l’obligation n’est pas honorée. La famine devient une arme de guerre. C’est d’ailleurs l’un des éléments qui a conduit la Cour internationale de justice à émettre un mandat d’arrêt contre Benjamin Netanyahou.»

L’ONU, qui a rejeté le plan israélien, estime qu’il «viole les principes humanitaires fondamentaux et semble conçu pour renforcer le contrôle sur les biens essentiels à la survie.» Une position saluée par le Hamas, qui dénonce un «chantage politique basé sur l’aide humanitaire».

De son côté, l’Etat israélien justifie le blocus par des soupçons de détournement de l’aide par des membres du Hamas. «Nous estimons qu’il y a de la nourriture à Gaza, que l’histoire de la faim est orchestrée par le Hamas, qui a détourné l’aide envoyée il y a deux mois », a déclaré Benjamin Netanyahou. Une accusation non étayée, contredite par plusieurs ONG, dont Amnesty International et le Programme alimentaire mondial (PAM).

Des enfants premières victimes de la famine

Selon le système de classification IPC, utilisé par les Nations unies pour mesurer l’insécurité alimentaire, une situation atteint le niveau 5 – Famine lorsque des décès pour sous-alimentation sont en cours ou imminents.

Ce seuil critique peut être franchi dès deux à trois mois après l’arrêt total de l’aide alimentaire, surtout si l’accès à l’eau et aux soins est également coupé. A Gaza, où aucun convoi humanitaire n’est entré depuis plus de 60 jours, les agences humanitaires estiment que «des enfants sont déjà morts de faim dans le nord de l’enclave.» Si aucune mesure urgente n’est prise, la famine létale risque de s’étendre rapidement à toute la population civile.

Divisions israéliennes

Derrière les portes closes du cabinet israélien, les débats s’enflamment. Si l’unité affichée autour de l’objectif militaire à Gaza semble sans faille, les discussions autour de l’aide humanitaire révèlent une fracture croissante entre responsables politiques et hauts gradés de l’armée. Dimanche soir, une réunion du cabinet sécuritaire s’est muée en véritable scène de tension. Le ministre d’extrême droite Itamar Ben Gvir y a balayé d’un revers de main la question de l’assistance aux civils palestiniens: «Il n’est pas nécessaire d’apporter de l’aide. Ils en ont assez. Les réserves alimentaires du Hamas devraient être bombardées», a-t-il lancé, selon la chaîne d’information israélienne N12.

Face à lui, le chef d’état-major, Eyal Zamir, a immédiatement répliqué. Il aurait qualifié ces propos de «dangereux » pour la sécurité d’Israël. «Vous ne comprenez pas ce que vous dites. Vous nous mettez tous en danger. Il existe un droit international et nous nous y sommes engagés.» L’alerte est claire: l’usage délibéré de la faim comme outil de guerre pourrait fragiliser la position diplomatique d’Israël, déjà sous pression devant la Cour internationale de justice. La procureure générale Gali Baharav-Miara l’a d’ailleurs rappelé quelques instants plus tard, en rappelant que Tel-Aviv est tenu, en vertu du droit international, de garantir un accès minimal à l’aide humanitaire.

Au sein de l’exécutif israélien, deux visions de la guerre se confrontent. L’une, militaire, craint les conséquences diplomatiques et sécuritaires d’un usage incontrôlé de la famine comme levier. L’autre, politique et idéologique, voit dans la crise humanitaire un moyen de pression supplémentaire.

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