Cessez-le-feu Hamas
Le Hamas exhibant son armement devant la population en juin 2023, à Gaza-City: une image définitivement révolue? © GETTY

Cessez-le-feu à Gaza: le Hamas forcément affaibli, mais pas mort

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Le groupe islamiste palestinien aurait remplacé ses combattants tués, mais il a beaucoup perdu en leadership et en armement. Il sera compliqué de le désarmer complètement.

Le Hamas n’a pas pu organiser, lors de la libération des derniers otages israéliens détenus à Gaza, le 13 octobre, une mise en scène et une «démonstration de force» comme il l’avait fait lors des précédentes opérations d’échanges avec des prisonniers palestiniens. L’accord de cessez-le-feu signé avec Israël le lui interdisait. Mais de quelle force dispose-t-il encore réellement?

Après l’exécution de la première phase du plan Trump, les aspects les plus délicats du processus devront être mis en œuvre avec, en point d’orgue, la démilitarisation du groupe islamiste palestinien. La question de l’état de ses forces est donc crucial. Depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, le 10 octobre, des signes de tentative de reprise en main par le Hamas ont été observés. Des policiers du mouvement sont réapparus dans les rues. Des miliciens ont mené des attaques contre des groupes qui se sont opposés à lui. Le quotidien saoudien Asharq Al-Awsat en a rapporté qui auraient eu pour cadre le nord de l’enclave. En revanche, Yasser Abu Shabab, chef d’une milice active près de Rafah, a démenti que certains de ses hommes aient été tués par le Hamas. En plus de la sienne, deux autres forces opposées aux islamistes seraient principalement actives à Gaza, selon les médias israéliens, celle de Hussam al-Astal dans la zone centrale de Khan Younès, et celle de Ashraf al-Mansi, dans la région septentrionale de Jabaliya et de Beit Lahiya. Dans la période de transition avant le déploiement d’une force internationale d’intervention, prévue dans la deuxième phase du plan Trump, une bataille pour le contrôle du territoire délivré de la présence de l’armée israélienne risque de faire rage.

Autant d’hommes, moins aguerris

Mais le Hamas aujourd’hui, c’est combien de divisions? «La question de la quantification est toujours compliquée, les chiffres sont opaques, souligne Didier Leroy, chercheur à l’Institut royal supérieur de défense (IRSD). Mais on peut donner un ordre de grandeur. Avant le conflit actuel, il était assez consensuel d’évaluer la composante armée du Hamas, les Brigades al-Qassam, a environ 25.000 combattants à temps plein. Des fourchettes allaient jusqu’à 40.000 en incluant ceux à temps partiel, les réservistes, voire les simples partisans prêts à prendre les armes dans certaines circonstances. Sur cet effectif de 25.000 combattants, Tsahal estime en avoir éliminé entre 10.000 et 15.000. Mais, en janvier 2025, l’agence de presse Reuters a publié un article évoquant le recrutement de 10.000 à 15.000 jeunes au sein cette même force. On resterait donc quantitativement dans le même ordre de grandeur qu’avant le 7-Octobre.»

La distinction de l’état des forces sur le plan quantitatif par le spécialiste indique que d’un point de vue qualitatif, la préservation par le Hamas de sa force de frappe ne soit pas du même ordre. «Le leadership a été décapité; la chaîne de commandement largement déstructurée; énormément de commandants d’unités, dépositaires d’une expertise martiale et d’une expérience du terrain, ont été tués ou blessés, énumère Didier Leroy. Les ressources humaines des Brigades al-Qassam sont donc toujours aussi nombreuses mais moins aguerries puisque les troupes sont plus jeunes. En revanche, elles sont davantage « enragées », la plupart des nouvelles recrues ayant été récemment endeuillées et traumatisées. Elles sont assoiffées de vengeance.»

«L’objectif d’éliminer complètement le Hamas a manifestement été revu à la baisse par Israël.»

Arsenal fortement réduit

A côté de l’aspect humain, il y a la dimension matérielle. Là, l’affaiblissement par rapport à la conjoncture d’avant-guerre est plus manifeste. «L’arsenal de projectiles, des roquettes et des missiles du groupe palestinien a été réduit à sa portion congrue. Entre 10% et 20% de ses pièces existeraient encore. Se pose par ailleurs la question de l’état des lanceurs sans lesquels ces pièces résiduelles ne sont d’aucune utilité. Et si l’on évoque le désarmement du Hamas, il concerne des armes plus légères: armes de poing, armes automatiques et le matériel qui les accompagne. Comme toute force milicienne, le Hamas dépend aussi d’ordinateurs, de moyens de télécommunication, de véhicules… Sur ce point, le flou domine par rapport à ce qui est encore opérationnel. Mais on peut raisonnablement penser que l’état de ses ressources matérielles doit être le reflet du degré de destruction du bâti dans la bande de Gaza, soit autour des 80%.»

Le contexte –un conflit qui dure depuis plus de deux ans face à une des armées les plus puissantes du monde– a en outre forcé les Brigades al-Qassam à, de facto, se repenser comme une guérilla dont la force de nuisance réside plutôt dans les «hit-and-run attacks» impliquant de piéger des véhicules, des portes, des fenêtres, mais qui peut aussi, dans un contexte encore plus extrême, faire feu de tout bois. «Dans ce cadre, n’importe quel couteau de cuisine est une arme létale», souligne en substance le chercheur de l’IRSD.

Le défi du désarmement

Le Hamas est en lutte armée contre Israël depuis sa création en 1987. Il est probable qu’il ne désarmera jamais complètement malgré l’engagement de l’accord du Caire. «La question du désarmement est un des points les plus problématiques du plan américain qui, je le rappelle, est un two pager, un A4 recto-verso. On se doute bien qu’il s’agit d’un document très superficiel où chaque point pose des problèmes de concrétisation pratique, commente Didier Leroy. Le Hamas a déjà émis des réserves sur la question du désarmement. Il a rappelé qu’il considérait comme légale aux yeux du droit international la conservation d’armes puisqu’il est confronté à une situation d’occupation par l’armée israélienne, si on sort du cadre post-7-Octobre et si on se réinscrit dans une chronologie plus large. Les Brigades al-Qassam pourraient remettre une quinzaine de roquettes devant les caméras lors d’une cérémonie orchestrée, cela ne voudrait aucunement dire que la dimension milicienne et armée du Hamas se serait tout d’un coup volatilisée. Cet objectif me semble assez illusoire. On perçoit sur ce point que le gouvernement israélien a sans doute fait quelques pas en arrière en signant l’accord de cessez-le-feu par rapport à ses exigences maximalistes. L’objectif d’éliminer complètement le Hamas a manifestement été revu à la baisse. Benjamin Netanyahou se rend bien compte que c’est très beau d’un point de vue rhétorique mais que c’est inatteignable sur le terrain. Et du côté du Hamas, le retrait total de Tsahal de la bande de Gaza, qui était exigé, a aussi été revu puisqu’il y aura un retrait mais il ne sera que partiel.»

Ainsi, en regard de ce qu’aurait été sa situation si Tsahal avait poursuivi son offensive à Gaza-City, on peut se demander si le Hamas n’a pas réussi à sauver ce qui pouvait l’être en se pliant aux exigences du plan Trump. «Il peut espérer « sauver certains meubles ». Mais ils ne sont plus très nombreux, nuance Didier Leroy. Quand on voit l’état de la bande de Gaza, l’état du réseau de tunnels, parmi lesquels les conduits transfrontaliers, largement démolis ou rendus inopérants, avec l’Egypte qui lui permettait d’acheminer différents biens, y compris de l’armement, au départ du Sinaï égyptien, le Hamas a tout de même perdu énormément d’atouts.»

G.P.

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