Gaza
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Après-guerre à Gaza: «2 visions s’affrontent, mais le déplacement de la population est une certitude»

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Le plan américain pour Gaza suscite la crainte d’un remodelage forcé et d’un nettoyage ethnique au profit d’intérêts géopolitiques. Deux visions s’affrontent pour l’après-guerre, mais aucune ne pourra empêcher le déplacement de la population.

L’idée semblait irréaliste et grotesque. Elle s’est transformée en plan gouvernemental de 38 pages, révélé par le Washington Post, dans lequel le gouvernement américain dévoile plus précisément ses intentions pour le futur de Gaza.

En février, Donald Trump diffusait sur ses réseaux sociaux une vidéo made in IA, imaginant une «riviera du Moyen-Orient». La sortie avait déjà choqué le monde entier, tant le ton employé semblait déconnecté de la réalité et de la catastrophe humanitaire en cours en Palestine.

Mais le document révélé par le quotidien vient confirmer le projet, aux accents technologiques. On peut notamment y lire l’objectif de construire «six à huit nouvelles villes intelligentes et alimentées par l’IA». Ou encore la volonté de créer des usines de voitures électriques, des hôtels dernière génération et des centres de données.

Durant la reconstruction, estimée à dix ans, Gaza serait placée sous la direction d’une entité américaine baptisée GREAT Trust (pour Gaza Reconstitution, Economic Acceleration and Transformation Trust). But officiel de la manœuvre: voir naître une nation palestinienne «réformée et déradicalisée».

Pour encourager (ou forcer) les Gazaouis à quitter les lieux, le plan américain évoque une somme de 5.000 dollars en cash, l’équivalent d’un an de nourriture et quatre ans de loyer, proposé à chaque individu volontaire. Selon le Washington Post, la Fondation humanitaire de Gaza (GHF), une organisation soutenue par Israël, serait en partie à l’origine de ces plans.

Cette fuite dans la presse est-elle un nouveau ballon d’essai lâché semi-intentionnellement pour tester le degré d’indignation dans l’opinion publique internationale? La réponse reste floue, tout comme les plans concrets actuellement sur la table pour «le jour d’après».

Gaza: deux plans opposés, mais un déplacement inévitable

Dans ce brouillard quant aux plans d’après-guerre, deux visions sont cependant discernables. L’américano-israélienne, «déjantée et insultante, et de l’autre, l’égyptienne, à laquelle la plupart des membres onusiens sont attendus de souscrire, distingue Didier Leroy, chercheur à l’Institut Royal Supérieur de Défense (IRSD), spécialiste du Moyen-Orient. Le plan américain englobe une notion d’appropriation, avec la gestion sécuritaire attribuée à des firmes privées. Le plan égyptien, lui, envisage une force internationale onusienne.»

Dans le scénario du «moins pire», l’Etat palestinien est reconnu, avec une autorité palestinienne réformée à la manœuvre. Dans le scénario du pire, la bande de Gaza est annexée, et devient une gigantesque colonie israélienne. «Une sorte de Goush Katif (1967) puissance 20.»

Selon l’expert, dans les deux cas, le degré de destruction est tel que la reconstruction générera inévitablement un remblayage aux proportions gigantesques. Par conséquent, «le déplacement de la population est une certitude, en dehors de toute considération politique, estime-t-il. Qu’il s’agisse d’une autorité pro-israélienne, pro-palestinienne ou même pro-Hamas aux commandes, aucun scénario ne permet d’envisager que les habitants de Gaza-ville restent pendant la reconstruction.» Concrètement, donc, des populations déjà déplacées le seront encore davantage. Le seront-elles dans la bande, ou poussées à emprunter des voies de sortie?

Gaza: la logique d’entassement

Le gouvernement israélien d’extrême droite ne dévoile pas ses cartes quant aux canaux de départ envisagés. Seule certitude actuelle: la «logique d’entassement» de la population s’intensifie. «Israël génère davantage de promiscuité, d’inconfort, d’insécurité, de famine, toujours dans cette logique de pousser au départ.»

Selon Didier Leroy, il devient dès lors difficile de démontrer qu’on n’assiste pas à une volonté de nettoyage ethnique. «Les faits se sont encore aggravés sur le terrain. Donc oui, à mon sens, Israël peut être incriminé de tout ce qui lui est actuellement imputé. Plus personne ne peut justifier pourquoi la guerre se poursuit encore à Gaza-ville.»

D’après le chercheur, ces départs forcés fonctionneront peut-être auprès des personnes les plus désespérées et les moins politisées. «La population gazaouie n’est pas monochrome, rappelle-t-il. Elle s’étend du riche propriétaire terrien à la personne qui vit en bidonville. D’autre part, il reste la grande inconnue des pays susceptibles de se profiler comme accueillants, et donc complices du plan israélien.»

Un grand corridor commercial

Derrière ces intentions, l’idée du plan américain pourrait également consister à s’emparer des gisements gaziers de Gaza Marine, qui se trouvent au large de Gaza-ville, mais qui n’ont pas encore été exploités, souligne Didier Leroy. «La motivation matérielle semble faire sens», au vu, aussi, de l’attrait de Trump pour les énergies fossiles.   

En dézoomant sur le planisphère, un grand dessin commercial semble également prendre forme, avec le corridor qui relie l’Europe et l’Inde (l’Imec, pour India–Middle East–Europe Economic Corridor). «Or, le maillon faible de ces liaisons, c’est la Cisjordanie, pointe Didier Leroy. Dans ce cadre-là, on entend dire que la zone de Gaza-ville pourrait voir son littoral aménagé, de façon à bypasser l’obstacle cisjordanien et faciliter ces gigantesques flux commerciaux à long terme.»

Sur le terrain, Israël veut rendre l’émergence d’un Etat palestinien impossible

Ce plan américain vient toutefois se heurter à un Hamas fortement affaibli mais toujours armé. La déradicalisation et le désarmement du Hamas «font aujourd’hui consensus, même auprès de la Ligue Arabe», rappelle Didier Leroy. Seuls la Turquie et le Qatar s’y opposent encore. «Mais concrètement, le Hamas n’a plus aucun allié de taille. Ses jours sont de facto comptés. Symboliquement, il n’est pas exclu de voir le drapeau rebourgeonner dans l’après-guerre, mais sous une forme moins milicienne.»

La «déhamasisation» en tant que force armée «est toujours réaliste, estime Didier Leroy, mais cette méthodologie implique le rasage de quartiers entiers, y compris des sous-sols.» Les personnes qui pénétreraient ensuite dans la zone reconstruite «seraient minutieusement filtrées».

Par ailleurs, le Hamas joue toujours la carte de l’isolement diplomatique du gouvernement israélien qui, lui, «avance de manière de plus en plus décomplexée». Sur le terrain, «tout est mis en œuvre pour rendre impossible l’émergence d’un Etat palestinien, remarque enfin Didier Leroy. Que cet Etat ait été reconnu par la majorité des membres de l’ONU ou non.»

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