Une photo de Donald Trump et du pédophile condamné Jeffrey Epstein est affichée sur le côté d'une camionnette dans le centre-ville d'Aberdeen, pendant le voyage privé de cinq jours du président américain en Écosse.

Michael Wolff, biographe de Trump: «Jeffrey Epstein connaissait les secrets de Trump»

Le président américain Donald Trump s’efforce de minimiser sa relation passée avec le délinquant sexuel Jeffrey Epstein. Pourtant, selon Michael Wolff, journaliste d’investigation et biographe de Trump, qui connaissait également Epstein de près, ils étaient des amis intimes. «En réalité, ils étaient le même homme.»

«Jeffrey Epstein m’a appelé en 2014, raconte l’auteur américain Michael Wolff. Il voulait redorer son image après son passage en prison. Il espérait qu’un livre lui soit consacré, ou à tout le moins un article.» Connu pour ses portraits controversés, Michael Wolff est l’auteur de Le Feu et la fureur: Trump à la Maison-Blanche (2018), un ouvrage explosif sur Donald Trump.

La peine évoquée est celle de treize mois de prison infligée à Epstein pour des abus sur mineure. Une sanction très clémente, fruit d’un accord confidentiel avec le parquet. Voulait-il ainsi retrouver un accès aux cercles du pouvoir?

Michael Wolff : Exactement. Il m’a dit: «Pose-moi toutes les questions que tu veux, quand tu veux.» Il s’est montré d’une disponibilité totale. La conversation a donc commencé.

Avez-vous hésité à entrer en contact avec lui, compte tenu de ses antécédents judiciaires?

Oui. Mais à ce moment-là, on ne savait que deux choses : qu’il avait été condamné et qu’il avait été incarcéré pour des faits qualifiés de prostitution. L’ampleur réelle de ses actes n’était pas encore connue.

Le Miami Herald n’a publié ses premières enquêtes approfondies sur le passé d’Epstein qu’à la fin 2018.

Il faisait déjà l’objet de procédures civiles, mais les contours de l’affaire restaient flous. J’y ai vu une opportunité, et j’ai entamé le dialogue. Il recevait des personnalités fascinantes.

Vous parlez de sa luxueuse propriété new-yorkaise –la plus vaste résidence privée de Manhattan– où il organisait régulièrement des dîners. Y avez-vous reconnu certaines figures?

Oui. Il y avait Bill Gates (NDLR: le patron de Microsoft), le prince héritier d’Arabie saoudite, Noam Chomsky (NDLR: philosophe et essayiste américain). Une seule pensée m’a traversé l’esprit : oh mon Dieu!

Avez-vous enregistré vos échanges avec Epstein?

J’ai en ma possession 100 heures de conversations.

Evoquait-il les femmes, les jeunes filles? Ou la manière dont il avait bâti sa fortune?

Il laissait échapper quelques allusions, mais rien qui permettait de comprendre les raisons de son arrestation ni de son inculpation. Il se moquait des conventions bourgeoises et de la vie domestique. Il se voyait comme une sorte de playboy, à la manière de Hugh Hefner. L’impression persistait qu’il semblait appartenir à une autre époque.

«Il se voyait comme une sorte de playboy, à la manière de Hugh Hefner. L’impression persistait qu’il semblait appartenir à une autre époque.»

C’est aussi, d’une certaine manière, le cas de Trump, non?

Absolument. Epstein et Trump étaient, en essence, le même homme. Leur proximité était extrême. Ils partageaient une fascination pour les mannequins. Lorsque Trump a annoncé sa candidature en 2015 et que j’ai commencé à écrire sur lui, Epstein m’a confié une grande quantité d’informations exclusives sur qui il était et sur la vie qu’il menait avant la politique. Ils ont été les meilleurs amis pendant plus de dix ans, de 1988 à 2004.

Cela correspond à l’époque des premiers faits reprochés à Epstein en Floride. Que vous a-t-il dit, précisément, à propos de Trump?

Il racontait de nombreuses histoires sur la manière dont Trump abordait les femmes. Il parlait aussi de ses finances. Epstein en savait énormément sur lui, sur son entourage, sur sa vie privée. Il connaissait les secrets de Trump. Et il savait quel type de femmes ce dernier trouvait le plus séduisant. Il m’a montré beaucoup de photos de Trump entouré de jeunes filles dans sa villa de Palm Beach.

Epstein aurait conservé dans son coffre-fort des Polaroids montrant Trump en compagnie de jeunes femmes torse nu. Le FBI les détient-il aujourd’hui?

Oui.

Dans Le Feu et la fureur, vous qualifiez Trump, Epstein et Tom Barrack de «trois mousquetaires de la nuit». Leur amitié s’est rompue en 2004. Epstein vous a-t-il dit pourquoi?

Cela s’est terminé par une violente dispute. Epstein était hors de lui. Il s’est senti trahi.

A cause d’une affaire immobilière à Palm Beach, remportée par Trump?

Les riches se querellent toujours autour de l’immobilier. Epstein était convaincu que Trump avait prévenu la police de Palm Beach à propos des filles présentes chez lui.

Cela a conduit, en 2005, à sa première condamnation.

Oui. Il pensait que tout remontait à Trump.

«Epstein offre un accès direct à ce que Trump est vraiment.»

L’un est devenu président, l’autre a été retrouvé mort dans sa cellule.

C’est fascinant, oui. Et c’est précisément là que réside le problème de Trump aujourd’hui. Epstein offre un accès direct à ce qu’il est vraiment.

Steve Bannon, l’ancien stratège en chef de Trump, entretenait lui aussi un lien avec Epstein. Dans Too Famous, vous décrivez comment il l’a aidé à se préparer face aux médias avant sa seconde inculpation en 2019. Etiez-vous présent?

Oui. Bannon lui prodiguait des conseils médiatiques.

Quelle était la nature de leur relation?

Très étroite. Ce qui les rapprochait, c’était leur obsession commune pour Trump. En réalité, ils le méprisaient. Ils le disséquaient sans relâche et échangeaient un flux constant d’informations le concernant.

Vous avez écrit que Bannon avait déclaré à Epstein: «Tu étais le seul qui me faisait peur pendant la campagne.» Etiez-vous témoin de cette scène?

Oui.

Selon vous, qu’est-ce que Bannon sait?

Je l’ignore. Et je ne veux en aucun cas laisser entendre qu’il était impliqué dans les affaires de jeunes filles. Mais il entretenait à l’évidence une relation étroite avec Epstein. Ils étaient liés par de nombreuses affaires. Cela transparaîtra un jour à travers des dizaines d’e-mails, s’ils finissent par être divulgués.

Que pourraient révéler les fameux «Epstein files» que la Maison-Blanche refuse de publier, malgré la pression insistante des partisans de Trump?

Adam Gray / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Des éléments précis sur ses liens avec Trump. Jusqu’ici, cela n’a alimenté que des spéculations. Mais l’essentiel –la relation entre Trump et Epstein– n’a jamais été au cœur de l’attention. Je ne sais pas ce que contiennent ces dossiers, mais je sais que le FBI possède le disque dur d’Epstein. Il regroupe sans doute des documents financiers, une vaste correspondance et un aperçu détaillé de ses activités. L’ensemble représente une masse considérable d’informations.

Les partisans de Trump souhaitent surtout consulter ces documents pour y trouver confirmation de leurs théories du complot par les Démocrates. Ils sont aujourd’hui déçus de voir Trump tout minimiser.

On pourrait dire que la phase lame duck (NDLR: un terme qui désigne, dans le monde politique anglo-saxon, un élu dont le mandat arrive à terme, mais qui est toujours en poste, alors que son successeur est déjà connu) a déjà commencé. Tous ces profils MAGA se battent désormais pour revendiquer son héritage.

Epstein a été retrouvé mort dans sa cellule en août 2019, en attente de son procès. Beaucoup doutent d’un suicide. Quel est votre avis?

Il faut faire preuve d’une naïveté considérable pour ne pas s’interroger. Je ne sais pas ce qui s’est réellement passé. Il m’est aussi difficile d’imaginer qu’il ait pu se pendre que de concevoir qu’il ait été assassiné.

«Il m’est aussi difficile d’imaginer qu’il ait pu se pendre que de concevoir qu’il ait été assassiné.»

Vous avez écrit qu’il avait envoyé, quelques heures avant sa mort, un dernier message à un ami: « Assez fou. Mais je traîne encore ici –sans jeu de mots. (NDLR: En anglais, to hang peut à la fois dire “pendre” ou “traîner quelque part”) » Etiez-vous cet ami ?

Oui.

Avait-il, selon vous, l’intention de faire des révélations sur Trump avant sa mort?

Je savais que ses avocats échangeaient avec le ministère américain de la Justice (NDLR: sous la première présidence Trump). Ils exploraient la possibilité d’un accord. C’était bel et bien envisagé.

Que ferez-vous des 100 heures d’enregistrement avec Epstein? Un livre est-il à prévoir?

J’essaie depuis des années. Mais à part quelques internautes, personne n’a voulu en entendre parler. Les éditeurs se sont toujours tenus à distance. Dans les grands médias, l’opposition était nette. On jugeait cela trop obscène. Peut-être que cela changera. C’est une histoire vaste, essentielle.

Une histoire avec des centaines de victimes réelles.

Et c’est peut-être précisément ce qui pose problème. Le vécu des victimes a souvent été raconté. Mon point de vue est différent. Je l’aborde depuis l’intérieur. Et cela, peut-être que personne ne veut l’entendre. Cette position trouble le discours ambiant sur la condition de victime.

«Que les riches ou les célébrités bénéficient d’une impunité quasi totale n’a rien de nouveau. Ce qui rend cette affaire unique, c’est qu’un homme impliqué dans tout cela soit devenu président des Etats-Unis.»

Votre récit est-il celui d’un monde où les puissants échappent à tout?

Le sujet de fond, c’est Trump. Que les riches ou les célébrités bénéficient d’une impunité quasi totale n’a rien de nouveau. Ce qui rend cette affaire unique, c’est qu’un homme impliqué dans tout cela soit devenu président des Etats-Unis. Regarder Trump à travers le prisme Epstein permet de mieux le comprendre. Encore une fois: ils n’étaient pas seulement proches, à bien des égards, ils étaient le même homme.

Reste-t-il, selon vous, des zones d’ombre?

Absolument. Epstein était d’une complexité extrême. Je sais certaines choses sur l’origine de sa fortune, mais je suis loin de tout savoir.

L’affaire Jeffrey Epstein, en bref


Mars 2005

La police de Palm Beach, en Floride, ouvre une enquête sur l’investisseur Jeffrey Epstein après qu’une famille ait signalé l’agression d’une fille de 14 ans dans sa villa.

Juillet 2006
Epstein est arrêté à la suite de son inculpation par un grand jury pour incitation à la prostitution. La police souhaitait des poursuites bien plus lourdes, mais le parquet opte pour une qualification plus clémente.

Juin 2008
Epstein plaide coupable et n’écope que de 18 mois de détention, assortis d’un régime de semi-liberté. Ce résultat découle d’un accord secret avec des procureurs fédéraux dirigés par Alexander Acosta, futur ministre du Travail dans la première administration Trump.

Juillet 2009
Epstein est libéré après un an. Des victimes engagent une procédure pour faire annuler l’accord qui lui avait garanti l’immunité contre d’éventuelles poursuites fédérales ultérieures.

Novembre 2018
Le Miami Herald relance l’affaire par une série d’articles centrés sur le rôle d’Acosta, désormais ministre. La polémique resurgit.

Juillet 2019
Epstein est de nouveau arrêté, cette fois pour trafic de mineures, sur décision fédérale. Quelques jours plus tard, Acosta démissionne face à la pression publique.

10 août 2019
Epstein est retrouvé mort dans sa cellule à New York. L’enquête officielle conclut au suicide. Le président Donald Trump diffuse sur les réseaux sociaux plusieurs théories complotistes au sujet de sa mort.

Juillet 2020
Ghislaine Maxwell, ex-compagne d’Epstein, est mise en examen à New York pour son rôle dans le recrutement de jeunes filles et les abus. En juin 2022, elle est condamnée à 20 ans de prison.

Janvier 2024
L’affaire revient dans l’actualité lorsqu’un juge autorise la publication de milliers de pages de documents judiciaires. Peu de révélations nouvelles y figurent, mais la demande de transparence s’amplifie.

Juin 2024
Trump déclare durant sa campagne qu’il rendra «probablement» publics les dossiers Epstein, tout en précisant qu’ils pourraient contenir de «fausses informations».

Février 2025
La ministre de la Justice, Pam Bondi, affirme que la «liste de clients» d’Epstein est sur son bureau et promet la transparence. Seuls des documents déjà largement diffusés sont publiés.

7 juin 2025
Sur X, un échange entre Trump et Elon Musk, ancien dirigeant de DOGE, dégénère. Musk tweete: «@realDonaldTrump is in the Epstein files.»

7 juillet 2025
Le ministère de la Justice publie une note affirmant qu’il n’existe aucune «liste de clients» et qu’Epstein s’est bien suicidé.

17 juillet 2025
The Wall Street Journal révèle qu’en 2003, Trump a écrit une lettre d’anniversaire à Epstein, décorée d’un dessin représentant une femme nue. Trump dément et engage une action en diffamation contre le journal, réclamant 10 milliards de dollars.

23 juillet 2025
Une sous-commission de la Chambre des représentants assigne le ministère de la Justice pour exiger l’intégralité des documents liés à Epstein. The Wall Street Journal rapporte que Bondi a informé Trump, en mai, que son nom y figurait.
24 et 25 juillet 2025
Fait inédit: le vice-ministre de la Justice, Todd Blanche –encore avocat personnel de Trump quelques mois auparavant– s’entretient pendant neuf heures avec Ghislaine Maxwell, qui bénéficie d’une immunité temporaire. Interrogé sur une éventuelle grâce présidentielle, Trump répond qu’il n’y a «pas encore réfléchi».

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