Mexico
Pour pallier les défaillances du système de distribution, les autorités de Mexico ont mis en place un approvisionnement par camions-citernes.

Pourquoi Mexico n’arrive pas à résoudre ses problèmes d’eau

Alors que 2025 enregistre des précipitations extrêmes, la capitale mexicaine peine à satisfaire les besoins en eau de ses 24 millions d’habitants.

Empreinte de société #6

Des meurtres sans fin d’Italiennes, de l’arnaque en ligne organisée depuis les confins de la Birmanie, des attaques au couteau devenues presque habituelles pour le citoyen allemand, une vague de résistance canadienne à un arrogant voisin, des agressions d’entrepreneurs français de cryptomonnaie… Un «fait divers» plus frappant que le tout-venant de la criminalité, la répétition en un temps réduit de délits semblables, ou une tendance sociale de plus en plus ancrée confrontent parfois une population à ce qui devient un phénomène de société. D’Afragola à Bielefeld, de Bangkok à Montréal, c’est ce qu’explore Le Vif cet été: des empreintes d’auteurs de délits à l’empreinte que leurs méfaits laissent sur la société. Et comment la prise de conscience de ces phénomènes en a changé, ou pas, les règles de vie.

Dans un bruit sec, le robinet de ce point d’eau au sud de Mexico crache difficilement ses dernières gouttes. «Il n’y a déjà plus d’eau», fait remarquer Vasthy Ocampo, une habitante, pourtant loin d’être étonnée. A seulement 11 heures, l’une des seules sources en libre accès de San Gregorio Atlapulco, une zone agricole aux confins de la capitale mexicaine, est déjà à sec. Plutôt banale, cette scène se déroule en plein milieu du mois de mai, période charnière vers la fin des fortes chaleurs et avant les premiers signes de la saison des pluies. C’est sur les hauteurs de la colonia («quartier») qu’habite Vasthy Ocampo.

Depuis près de trois ans, la maison familiale n’a plus accès à l’eau courante. «C’est notre citerne de 3.000 litres qui se remplissait avec un système de tuyaux», décrit l’habitante dans son petit jardin. En tapant dessus, le réservoir en plastique bleu sonne creux: «C’est complètement vide!» Avec plusieurs enfants, cette situation implique inévitablement des bouleversements. «On a dû abandonner cette maison la plupart du temps pour louer un autre logement et payer un loyer là où il y a de l’eau.»

Dans tout le Mexique, le risque de stress hydrique augmente significativement. En avril, la Commission nationale de l’eau indiquait dans son rapport que près de la moitié du territoire (45%) était touchée par une forme de sécheresse. Sans surprise, les régions arides du nord sont les plus affectées avec des températures dépassant parfois les 45 °C. Mais la vallée de Mexico (région la plus densément peuplée regroupant l’aire métropolitaine étendue de Mexico) souffre aussi des fortes chaleurs et, par conséquent, du manque d’eau. De novembre à avril, la saison sèche fait parfois monter le mercure à 35 ºC, un extrême pour cette capitale nichée à 2.240 mètres au-dessus du niveau de la mer et habituée à un climat tempéré.

Le spectre du «jour zéro»

La crainte du manque d’eau est une problématique récurrente à Mexico. La plus grande ville hispanophone du monde a vu ses peurs se concrétiser de manière brutale en 2023. Alors que plus de la moitié des 24 millions d’habitants de la vallée de Mexico se disaient affectés par le manque d’eau, le terme de «jour zéro» a commencé à se propager dans le débat public. Popularisée après les graves épisodes de sécheresse qu’a connu la ville du Cap en Afrique du Sud à partir de 2018, l’expression fait référence à un prétendu jour où plus aucune goutte ne coulera des robinets.

Au Cap comme à Mexico, la situation est évitée de peu presque chaque année mais quelques exemples alimentent les craintes. Pendant l’été 2022, une sécheresse prolongée a épuisé la quasi-totalité des réserves en eau de Monterrey, la deuxième plus grande ville du Mexique. Deux ans plus tard dans la capitale, le «jour zéro» avait même une date précise. Observant avec inquiétude les niveaux des principaux barrages de la vallée de Mexico tomber à 26% de leur capacité et quelque peu galvanisés par les réseaux sociaux, de nombreux internautes ont calculé un épuisement général des réserves le 26 juin 2024. L’information a vite été démentie par les autorités et, de fait, l’eau n’a pas été coupée dans tous les quartiers de manière prolongée. Mais, «jour zéro» ou non, cela fait peu de différence pour de nombreux habitants privés d’eau courante.

Dans ce contexte, l’unique moyen d’avoir le minimum vital est d’attendre le ravitaillement d’urgence mis en place par les municipalités et les autorités en charge de l’eau. Au moins dix des seize arrondissements de Mexico ont régulièrement recours à un système de camions-citernes et la quasi-totalité des localités de l’aire métropolitaine est concernée pendant les pires épisodes de sécheresse. A San Gregorio Atlapulco, le bal des engins d’approvisionnement est presque devenu un rituel. Dans chaque colonia, des dizaines de files indiennes de riverains, bidons vides à la main, se forment toutes les semaines.

Le système de barrages de Lerma-Cutzamala alimente Mexico en eau. Une infrastructure indispensable. © Getty Images

Des zones inaccessibles

Le ravitaillement est certes limité à 1.000 litres par famille et par semaine, soit légèrement plus que la consommation moyenne hebdomadaire d’une seule personne en Belgique. C’est un droit pour lequel les habitants ont lutté. «La mairie nous a souvent dit d’être patients, que pour l’instant, il n’y a pas d’eau, s’exaspère Vasthy Ocampo. Mais on a atteint un tel désespoir qu’il a fallu bloquer des rues et même l’hôtel de ville pour faire réagir le gouvernement.» Ces avancées n’entraînent pas nécessairement de changements significatifs pour les nombreux habitants de zones difficiles d’accès, comme la maison des Ocampo, à flanc de colline: «La rue est trop étroite pour permettre aux camions-citernes de passer. Il faut donc mettre en place un système de pompe électrique pour distribuer l’eau avec les voisins, mais c’est vraiment compliqué», soupire la mère de famille en montrant la rue. Pour d’autres, les quantités délivrées ne suffisent pas et dans cette zone rurale, il n’est pas rare de voir des habitants transporter à dos d’âne l’eau qu’ils trouvent où ils le peuvent.

Au Mexique, il est grosso modo possible de diviser le climat en deux périodes distinctes: une saison sèche et un cycle humide. Les mois d’été sont ainsi les plus pluvieux et, fait paradoxal étant donné le débat constant sur le manque d’eau, le taux de précipitations à Mexico est au moins égal sinon supérieur à celui de Londres, avec en moyenne 710 millimètres de pluie par an. Les fortes chaleurs génèrent souvent, après coup, des pluies torrentielles et une intensification des orages pendant la saison humide.

2025 en est l’illustration parfaite: Mexico a enregistré en une seule journée autant de précipitations que sur l’ensemble de l’année 2017. L’impressionnant système de barrages Lerma-Cutzamala qui alimente en partie la capitale a pu regagner rapidement en capacité et s’éloigner des niveaux extrêmement bas (moins de 30%) qu’il affichait un an plus tôt. Et si cet été, les craintes sont dissipées quant à une rupture profonde et généralisée de l’approvisionnement en eau, de nombreux habitants de la région vivent leur quotidien avec les mêmes préoccupations, la pluie en plus.

«L’eau qui arrive par les tuyaux est sale car avec la pluie, tout se mélange aux eaux d’évacuation.»

Des pertes importantes

Avec l’été, Vasthy Ocampo et sa famille ont pu regagner leur maison principale grâce à leur citerne qui a retrouvé un niveau raisonnable avec la pluie. Cette eau sert à un usage domestique pour le ménage et les lessives mais elle n’est absolument pas recommandée pour l’alimentation, ni pour se laver. «L’eau qui nous arrive par les tuyaux est sale car avec la pluie, tout se mélange aux eaux d’évacuation, décrit-elle. On a observé beaucoup de cas d’infections à l’estomac dans la communauté.»

Alors que le risque de stress hydrique est presque permanent, l’eau de pluie offre un peu d’oxygène mais il ne s’agit que d’initiatives individuelles. Beaucoup de Mexicains sont maintenant habitués à récolter l’eau de pluie, à optimiser son usage, et il n’est pas rare de voir des dizaines de seaux pour la captation à l’extérieur des maisons. De son côté, le gouvernement de Mexico a mis en place un programme permettant pour l’instant à 55.000 familles de s’approvisionner majoritairement avec de l’eau de pluie.

L’opposition et la société civile accusent les autorités, qui ne proposent comme réponse que des programmes expérimentaux et isolés, de ne pas prendre la mesure du problème. Une des principales critiques pour expliquer ces crises à répétition est la vétusté et l’inefficacité des installations d’acheminement et d’évacuation des eaux. Alors que Mexico voit ses besoins en eau augmenter constamment, les observateurs alertent sur le fait que 40% de l’eau stockée se perd dans sa distribution. D’immenses trous dans les vastes réseaux de pipelines parfois rouillés conduisent à la perte de 12.000 litres par seconde, soit l’équivalent de 345 piscines olympiques. Le problème perdure sans que cela ne soit la priorité du gouvernement de gauche de Clara Brugada, la maire de Mexico, qui concentre sa stratégie sur la captation de certains cours d’eau pour renforcer l’approvisionnement des barrages formant l’ensemble Lerma-Cutzamala.

Ces systèmes de retenue fournissent environ un tiers de l’eau de la vallée de Mexico si les capacités le permettent. Une autre source d’importance pour la mégalopole réside dans les réserves souterraines. Mais cette solution est de moins en moins durable à cause de la surexploitation. Avec 578 puits actifs dans toute la ville, qui extraient en moyenne 28 m3 d’eau par seconde, les ingénieurs voient les réserves diminuer et doivent mettre au point de nouvelles technologies pour creuser toujours plus profond.

Les effets de la bétonnisation

Certains de ces barrages qui se trouvaient autrefois en zone rurale ou semi-rurale sont maintenant entourés d’immeubles. Attirant de nouveaux habitants et d’innombrables industries, Mexico s’étend et remplace petit à petit ses espaces verts par du béton. En plus du véritable défi que comporte la hausse significative de la demande en eau, l’urbanisation croissante est aussi synonyme de nombreux risques. Entre les bâtiments et les rues goudronnées, le taux de perméabilité des sols est parfois complètement nul et la dynamique tend à se généraliser tant la ville gagne du terrain. Or, la quantité d’eau qui peut infiltrer les sols diminue considérablement, ce qui empêche la régénération des nappes phréatiques. Le gouvernement assure imposer aux nouveaux projets immobiliers un minimum de 40% de surface perméable mais de forts doutes existent autour du respect de la réglementation.

Les inondations de plus en plus fréquentes à Mexico (ici, le 12 juin) n’empêchent pas les pénuries récurrentes d’eau. © NurPhoto via Getty Images

En considérant tous ces paramètres, la conséquence peut-être la plus visible est le risque d’inondation, plus que décuplé. Les fortes pluies qui peinent à être évacuées avec un sol qui n’absorbe presque plus l’eau et un système d’évacuation obsolète font sortir de leur lit les cours d’eau et créent de véritables drames. Les inondations des dernières années ont affecté des milliers d’habitants et des quartiers entiers sont devenus inhabitables. Les images de voitures flottantes ou de riverains se déplacant en canoë sont désormais communes lors de la saison humide.

Début août, six arrondissements de Mexico étaient en alerte rouge pour inondation. Cette situation de haute tension peut durer jusqu’à octobre ou novembre. Alors que Mexico a été fondée sur un lac, la gestion de l’eau et des sols est sans doute le plus gros défi de la mégalopole pour les années à venir.

Ce qui a changé

Le gouvernement de Mexico a lancé un programme d’approvisionnement en eau de pluie pour 55.000 familles.

Le gouvernement exige des nouveaux projets immobiliers un minimum de 40% de surface perméable à l’eau.

 Par Julien Delacourt, à Mexico

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