La tension est très forte entre l’Inde et le Pakistan. © Getty Images

L’Inde bombarde le Pakistan: «Le monde ne peut plus se permettre une nouvelle confrontation militaire»

Dans la région disputée du Cachemire, l’Inde et le Pakistan rentrent dans une escalade militaire qui met en péril la sécurité de la région. Après des bombardements indiens sur un territoire administré par le Pakistan, 38 morts, soldats comme civils, sont à déplorer des deux côtés de la frontière.

L’opération «Sindoor» a été déclenchée. En réponse à l’attentat de Pahalgam du 22 avril 2025, l’Inde a mené une série de frappes aériennes contre plusieurs cibles situées au Pakistan, y compris dans les zones du Cachemire placées sous administration pakistanaise. L’attaque initiale d’avril, survenue dans la vallée du Cachemire, avait visé un bus transportant des pèlerins hindous, faisant 26 morts, dont 25 ressortissants indiens et un citoyen népalais. Fidèle à sa promesse de riposte, le gouvernement indien a ainsi ouvert une nouvelle phase d’escalade dans un conflit gelé depuis plus de 20 ans. L’ampleur des bombardements et la nature des sites visés témoignent d’un changement de doctrine. Selon les premiers bilans, les frappes de cette nuit auraient causé la mort de 26 personnes côté pakistanais, tandis que douze décès sont à déplorer du côté indien.

La Ligne de Contrôle qui traverse le Cachemire est l’une des frontières les plus instables de la planète. Elle coupe en deux une région revendiquée par les deux Etats depuis la partition de l’Empire britannique en 1947. Cela fait des décennies que des accrochages frontaliers y sont fréquents. Les tirs de snipers et les échanges d’artillerie rythment le quotidien des soldats et des civils vivant à proximité. Les bombardements ciblés en profondeur dans les terres, en revanche, sont beaucoup plus rares. L’opération indienne «Sindoor» a visé neuf sites stratégiques, dont plusieurs situés dans la province pakistanaise du Pendjab, ainsi que dans le Cachemire pakistanais.

New Delhi affirme avoir neutralisé des camps d’entraînement et des entrepôts logistiques utilisés par trois groupes armés islamistes, Lashkar-e-Taiba, Jaish-e-Mohammed et Hizbul Mujahideen, que l’Inde accuse d’avoir commandité l’attentat de Pahalgam. Tous trois sont classés comme organisations terroristes par l’ONU, les Etats-Unis et l’Union européenne. L’armée indienne précise qu’aucune installation militaire pakistanaise n’a été visée. De son côté, Islamabad dénonce un acte d’agression et accuse l’Inde d’avoir frappé des zones civiles. D’après les autorités locales, au moins une mosquée et deux habitations auraient été touchées, causant la mort de plusieurs civils, dont deux fillettes de 3 ans et un garçon de 5 ans.

Carte du Cachemire le 7 mai 2025. © Getty Images

Le Cachemire disputé

Ce n’est pas la première fois que le Cachemire devient l’épicentre d’une confrontation armée. En 1947, 1965 et 1999, l’Inde et le Pakistan se sont déjà affrontés militairement pour le contrôle de cette région montagneuse à majorité musulmane. Ces trois guerres ont fait au total près de 40.000 morts et des millions de déplacés. Depuis plus de 70 ans, les deux puissances nucléaires se partagent ce territoire sans jamais parvenir à une solution diplomatique durable.

Le Cachemire indien est marqué par une forte présence militaire et une insurrection alimentée par des réseaux islamistes actifs depuis les années 1990. Les autorités indiennes accusent régulièrement le Pakistan d’abriter et de soutenir des groupes armés agissant dans la région, notamment en facilitant leur entraînement et leur logistique. Le Pakistan, pour sa part, considère le Cachemire comme un territoire illégalement occupé par l’Inde et soutient ce qu’il présente comme un mouvement de libération.

L’opération «Sindoor» s’inscrit dans une stratégie indienne de frappes de représailles ciblées, déjà utilisée par le passé. En 2016, après une attaque contre une base militaire indienne à Uri, dans le Cachemire, l’Inde avait mené ce qu’elle avait qualifié de «frappes ciblées», contre des camps terroristes présumés au Pakistan. L’attaque d’Uri avait causé la mort de 19 soldats indiens. C’était la première fois que New Delhi revendiquait publiquement une opération de ce type.

Trois ans plus tard, l’attentat de Pulwama, en février 2019, a marqué une autre rupture. Un kamikaze du groupe Jaish-e-Mohammed a tué 40 paramilitaires indiens dans une attaque à la voiture piégée, la plus meurtrière depuis le début de l’insurrection dans le Cachemire. En réponse, l’armée de l’air indienne a mené un raid aérien sur Balakot, une ville située au cœur du Pakistan, loin de la frontière. C’était la première fois depuis la guerre de 1971 que l’Inde menait des frappes aussi profondes en territoire pakistanais.

Selon Christophe Jaffrelot, politologue et spécialiste de l’Asie du Sud, «l’Inde joue une carte de dissuasion punitive plus affirmée qu’auparavant. Elle veut démontrer qu’elle ne tolérera plus aucune incursion violente sur son territoire sans réplique.»

Sur le pied de guerre

La communauté internationale suit de près cette nouvelle escalade entre deux Etats dotés de l’arme nucléaire. Les appels à la désescalade se multiplient. Londres s’est proposée comme médiateur. Les Etats-Unis, par la voix du Département d’Etat, ont exprimé leur «préoccupation face aux risques d’instabilité régionale». Le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a déclaré que: «Le monde ne peut plus se permettre une nouvelle confrontation militaire», en appelant les deux pays à la retenue.

Les dynamiques internes dans les deux pays compliquent la perspective d’un apaisement rapide. En Inde, les élections générales sont prévues pour 2026, et le Premier ministre Narendra Modi, en perte de popularité dans les milieux urbains, pourrait tirer profit d’un sursaut nationaliste. Au Pakistan, l’instabilité politique chronique laisse une place prépondérante à l’armée, qui conserve un droit de regard sur la politique étrangère et sécuritaire du pays. «Chaque gouvernement a des intérêts domestiques à maintenir un niveau de tension maîtrisé, observe Christophe Jaffrelot. Mais le danger réside dans la possibilité d’un dérapage incontrôlé.»

Le scénario le plus plausible, selon l’universitaire, repose sur une guerre de basse intensité, faite de frappes ponctuelles et d’échanges de tirs localisés, sans engagement massif. Mais l’équilibre reste fragile. «Un attentat imprévu, une bavure, ou une mauvaise interprétation tactique peuvent suffire à faire basculer la région dans un conflit ouvert», prévient le politologue. Ce dernier rappelle aussi que les acteurs armés non étatiques, bien qu’instrumentalisés par le passé, échappent de plus en plus au contrôle des Etats de la région.

Quel rôle pour la Chine?

Dans cette crise, un acteur majeur reste à l’écart du tumulte tout en surveillant la situation de très près. La Chine contrôle une partie orientale du Cachemire, l’Aksai Chin, rattachée administrativement au Xinjiang. Cette région frontalière, objet de tensions récurrentes entre New Delhi et Pékin, fait de la Chine un troisième acteur stratégique dans ce conflit à deux têtes.

En 2020, des affrontements meurtriers entre soldats indiens et chinois dans la région du Ladakh avaient ravivé les tensions le long de la frontière sino-indienne. Depuis, Pékin renforce discrètement ses infrastructures militaires dans cette zone stratégique. La crise actuelle inquiète la diplomatie chinoise, qui appelle à la stabilité régionale. Le ministère chinois des Affaires étrangères, cité par le Global Times, s’est déclaré «profondément préoccupé par l’escalade militaire entre deux pays amis de la Chine» et a appelé à un retour au dialogue.

La Chine entretient des liens étroits avec le Pakistan, notamment à travers le China-Pakistan Economic Corridor (CPEC), un projet d’infrastructures massif lancé en 2015. Il s’agit d’un réseau d’autoroutes, de lignes ferroviaires, de centrales électriques et de ports, reliant la région autonome chinoise du Xinjiang au port pakistanais de Gwadar, en mer d’Arabie. Ce corridor, long de plus de 3.000 kilomètres, est l’un des projets phares de la Belt and Road Initiative (BRI), l’ambitieuse stratégie chinoise visant à redessiner les routes commerciales mondiales.

«Une intensification du conflit avec l’Inde ferait planer une menace directe sur ces infrastructures, déjà régulièrement ciblées par des groupes armés hostiles à la présence chinoise», conclut Christophe Jaffrelot.

Dans ce contexte, Pékin reste prudent. Le ministère chinois des Affaires étrangères a rappelé son «attachement à la souveraineté et à la stabilité du Pakistan», son principal allié dans la région. «La Chine n’a aucun intérêt à une guerre en Asie du Sud. Mais elle veillera à ce que ses intérêts économiques et stratégiques soient préservés», analyse Yun Sun, chercheuse au Stimson Center, un think tank américain spécialisé dans la sécurité internationale.

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