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Le détroit d’Ormuz, boîte de pandore géostratégique ?

Muriel Lefevre

Le détroit d’Ormuz, couloir entre l’Iran et les Émirats arabes, est l’un des passages obligés pour le commerce mondial de pétrole. C’est aussi souvent un coupe-gorge, puisqu’il est au coeur des tensions régionales depuis des décennies. Des tensions qui ont connu un regain de vigueur depuis le mois de mai avec l’escalade entre Washington et Téhéran.

Six navires sabotés de manière mystérieuse, un drone américain abattu par un missile iranien et des déclarations belliqueuses qu’on ne compte plus: depuis quelque mois, le détroit d’Ormuz est à nouveau au centre des attentions internationales et est redevenu l’un des points à risques au niveau géopolitique.

Un passage étroit et périlleux

Le détroit d’Ormuz, qui relie le Golfe au golfe d’Oman, est situé entre l’Iran et le Sultanat d’Oman. Il est particulièrement vulnérable en raison de sa faible largeur, 50 kilomètres environ, et de sa profondeur, qui n’excède pas 60 mètres. Il est parsemé d’îles désertiques ou peu habitées, mais d’une grande importance stratégique: les îles iraniennes d’Ormuz, et celles de Qeshm et de Larak, face à la rive iranienne de Bandar Abbas. « Les navires sont obligés de circuler dans des chenaux très étroits, de 2 milles nautiques (3,7 km). Un espace interdit à la navigation d’une distance équivalente sépare le couloir entrant du couloir sortant », précise Le Monde. Le passage est encore compliqué par la brume de chaleur qui restreint la visibilité.

Artère cruciale pour le pétrole

Le détroit d’Ormuz reste la voie de navigation quasi exclusive reliant les producteurs d’hydrocarbures du Moyen-Orient (Arabie saoudite, Koweït, Qatar, Émirats arabes unis, Irak et Iran) aux marchés d’Asie, d’Europe et d’Amérique du nord. En 2018, environ 21 millions de barils de brut y circulaient quotidiennement, selon l’Agence américaine de l’Energie (EIA). Cela représente environ 21% de la consommation mondiale de pétrole et un tiers du brut transitant par voie maritime dans le monde. Un quart du commerce mondial de gaz naturel liquéfié passe également par Ormuz.

Quelque 76% des exportations de brut passant par ce détroit stratégique étaient destinées l’an dernier aux pays d’Asie (en premier lieu la Chine, l’Inde, le Japon et la Corée du Sud), selon l’EIA. Si l’Arabie saoudite et les Émirats ont établi un réseau d’oléoducs pour contourner le détroit, ces voies alternatives ne convoient que des volumes limités (3 millions de barils/jour en 2018, pour une capacité totale de 6,8 millions) et elles ne sont pas épargnées, comme l’a montré en mai l’attaque d’un oléoduc saoudien par des rebelles yéménites. Les récentes attaques de tankers en mer d’Oman puis l’épisode du drone américain abattu attisent le spectre de perturbations significatives du trafic et de déstabilisation du marché pétrolier. Pour les pays consommateurs, il paraît cependant difficile de trouver une alternative, en volume comme en qualité, aux bruts extraits de la région du Golfe. Ainsi, le pétrole léger produit par les Etats-Unis n’est pas un substitut aux bruts lourds du Moyen-Orient. Les Etats-Unis, bien que premier producteur mondial et exportateur net de pétrole, ont ainsi importé en 2018 environ 1,4 million de barils/jour de brut ayant passé par le détroit d’Ormuz, soit 7% de leur consommation.

Le détroit d'Ormuz, boîte de pandore géostratégique ?
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Théâtre de tensions et de conflits

Ormuz n’est pas que « l’épine dorsale du système énergétique international », comme le précise le quotidien Le Monde. « Ormuz se trouve aussi sur la ligne de faille entre l’Iran et l’Arabie saoudite, deux puissances à couteaux tirés, qui se disputent la suprématie régionale. »

Les Gardiens de la Révolution, l’armée idéologique iranienne, contrôlent les opérations navales dans le Golfe. Une des perturbations majeures du transport pétrolier remonte à 1984, en plein conflit Iran-Irak (1980-1988), durant la « guerre des pétroliers ». Plus de 500 navires avaient été détruits ou endommagés. En juillet 1988, un Airbus A-300 de la compagnie nationale Iran Air, assurant la liaison entre Bandar-Abbas et Dubaï, avait été abattu par deux missiles d’une frégate américaine qui patrouillait dans le détroit: 290 personnes ont été tuées. L’équipage de l’USS Vincennes avait affirmé avoir pris l’Airbus pour un chasseur iranien animé d’intentions hostiles.

L’Iran se considère toujours comme le gardien du Golfe et dénonce régulièrement la présence de forces étrangères dans la région, notamment la Ve Flotte américaine stationnée à Bahreïn.

En avril 2015, des bateaux des Gardiens de la Révolution ont arraisonné dans le détroit d’Ormuz un porte-conteneurs des îles Marshall. Le mois suivant, des patrouilleurs iraniens tiraient des coups de semonce dans une apparente tentative d’interception d’un navire commercial battant pavillon singapourien. Ravivées par le retrait américain en mai 2018 de l’accord international sur le nucléaire iranien et le rétablissement de lourdes sanctions américaines, les tensions se sont récemment intensifiées avec des sabotages et attaques contre des pétroliers dans la région du Golfe en mai et en juin, imputées par Washington à Téhéran –qui a cependant démenti.

A la politique de « pression maximale » mise en oeuvre par Trump les forcer à accepter un accord plus contraignant, l’Iran répond par la menace de fermer le corridor maritime. De quoi redonner à l’endroit son côté sulfureux comme au temps de la fameuse guerre des Tankers des années 1980. « Ultrasurveillé, ultramilitarisé, Ormuz est une boîte de Pandore géostratégique », précise encore Le Monde.

Le détroit d'Ormuz, boîte de pandore géostratégique ?
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A ceci près que la situation n’est plus la même qu’il y a 35 ans. Comme déjà indiqué précédemment, il existe aujourd’hui des alternatives à Ormuz pour le pétrole et Téhéran sait qu’il n’a pas les moyens de verrouiller militairement Ormuz le temps nécessaire pour créer une véritable pénurie puisque les forces armées des Etats-Unis, de la France ou encore de la Royal Navy britannique sont trop présentes dans le coin. Toutes ces marines effectuent par ailleurs des exercices conjoints de déminage du détroit tous les deux ans, la dernière ayant eu lieu en mai 2019. Ensuite la plupart des pays disposent aujourd’hui de réserves stratégiques de pétrole pour parer à ce genre de situation. « Dans ce bras de fer asymétrique avec les Etats-Unis et leurs alliés, l’Iran espère tout de même pouvoir s’appuyer sur l’effet dissuasif de son arsenal balistique qui, par beau, temps est capable de frapper toute la côte des Émirats », dit encore Le Monde

Mais plus que militaire, la stratégie de Téhéran semble avant tout économique. En créant des troubles dans le détroit, ça fait monter le prix des assurances, et donc, in fine, le prix du baril. Or pour se renflouer un tant soit peu, l’Iran a besoin de vendre le peu de barils qu’il arrive encore à écouler au prix le plus élevé possible. Téhéran espère aussi pousser les Chinois et les Européens, qui souffriraient en premier d’un pétrole cher, à faire pression sur Trump pour qu’il change de politique.

L’escalade des tensions dans le Golfe en 2019

Déploiements militaires américains, attaques contre pétroliers et drones abattus, le tout dans un contexte d’effondrement de l’accord sur le nucléaire iranien: rappel de plus deux mois d’escalade des tensions dans la région du Golfe.

– Déploiement américain –

Le 5 mai, un mois après avoir placé les Gardiens de la Révolution sur sa liste noire des « organisations terroristes étrangères », les Etats-Unis annoncent le déploiement d’un porte-avions et de bombardiers au Moyen-Orient. Dans les semaines qui suivent, Washington va progressivement renforcer sa présence militaire dans la région.

– Désengagement de l’accord nucléaire –

Le 8 mai, l’Iran décide de cesser de limiter ses réserves d’eau lourde et d’uranium enrichi, des mesures auxquelles il s’était engagé dans le cadre de l’accord international de 2015 visant à limiter son programme nucléaire.

Un an après le retrait unilatéral des Etats-Unis de l’accord et le rétablissement de sanctions contre l’Iran, Donald Trump impose de nouvelles sanctions sur plusieurs secteurs économiques iraniens. Le 1er juillet, Téhéran annonce avoir dépassé la limite de 300 kg imposée par l’accord à ses réserves d’uranium faiblement enrichi. Le 8, il annonce qu’il produit désormais de l’uranium enrichi à au moins 4,5%, un niveau prohibé.

– « Sabotage » de navires –

Le 12 mai, quatre navires, dont trois pétroliers, sont la cible d' »actes de sabotage » dans les eaux territoriales émiraties. Washington et Ryad incriminent l’Iran, qui dément. Téhéran, qui a menacé à plusieurs reprises de fermer le détroit d’Ormuz, juge ces actes « alarmants ».

Début juin, les Emirats arabes unis indiquent qu’une enquête multinationale conclut à la responsabilité probable d’un « acteur étatique », mais sans incriminer l’Iran. Le 13 juin, deux pétroliers, dont un japonais, sont attaqués en mer d’Oman. L’incident coïncide avec la visite à Téhéran du Premier ministre japonais Shinzo Abe. Washington, Londres et Ryad accusent l’Iran, qui nie.

– Attaques près de Ryad –

Le 14 mai, des rebelles Houthis pro-iraniens du Yémen lancent des attaques à l’aide de drones dans la région de Ryad, endommageant deux stations de pompage d’un oléoduc reliant l’est à l’ouest du royaume saoudien. Ryad accuse l’Iran d’être derrière l’attaque contre l’oléoduc. Le 12 juin, 26 civils de diverses nationalités sont blessés dans une attaque au missile revendiquée par les Houthis contre l’aéroport d’Abha, dans le sud-ouest de l’Arabie saoudite. Depuis, la ville d’Abha a été ciblée à plusieurs reprises.

– Tir de roquettes en Irak –

Le 19 juin en Irak, des roquettes visent des complexes pétroliers de la province de Bassora (sud), où travaillent des entreprises américaines de services ainsi que le géant de l’or noir, Exxon Mobil. Depuis le 14 juin, plusieurs roquettes se sont abattues sur des bases où sont postés des soldats américains, de Bagdad jusqu’à Mossoul, dans le nord de l’Irak.

– Drone abattu –

Le 20 juin, les Gardiens de la Révolution annoncent avoir abattu un drone américain qui avait « violé l’espace aérien iranien ». Washington affirme que l’appareil se trouvait dans l’espace aérien international.

Le président Trump qualifie d' »énorme erreur » la frappe iranienne, avant d’affirmer le lendemain avoir annulé à la dernière minute des frappes contre l’Iran pour éviter un lourd bilan humain. Il annonce des sanctions à caractère éminemment politique, qui visent le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, et huit généraux du commandement des Gardiens de la Révolution.

– Pétrolier britannique –

Londres affirme que des navires iraniens ont « empêché le passage » d’un pétrolier britannique dans le détroit d’Ormuz le 10 juillet, quelques jours après l’arraisonnement d’un pétrolier iranien par le Royaume-Uni à Gibraltar. Les Gardiens de la révolution nient en bloc.

Avec l’AFP et Le Monde

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