Des musulmans chiites de l'Organisation des étudiants Imamia brûlent des drapeaux israéliens et américains lors d'une manifestation anti-israélienne à Lahore le 15 juin 2025, dans le cadre du conflit actuel entre Israël et l'Iran. © Getty Images

Les Etats-Unis basculent vers une participation directe à la guerre Israël-Iran: «Ils ont le feu vert du G7. On voit des signaux»

Washington affirme ne pas être impliqué dans la guerre entre Israël et l’Iran. Pourtant, des avions américains ravitaillent les chasseurs israéliens, des porte-avions convergent vers la région, et Donald Trump répète que l’Iran ne doit jamais obtenir la bombe nucléaire. A mesure que la situation s’envenime, la ligne entre dissuasion et participation directe devient de plus en plus floue.

«Nous avons réussi un certain nombre de surprises. Lorsque la poussière retombera en Iran, vous verrez des surprises les prochains jours, qui feront que l’opération des bipeurs au Liban semblera presque simple.» Cette phrase, prononcée le 17 juin par Yechiel Leiter, ambassadeur d’Israël aux Etats-Unis, dans un entretien à la chaîne Merit TV, figure parmi les nombreux signaux d’une coordination stratégique étroite entre Tel-Aviv et Washington. Officiellement, la Maison-Blanche maintient une posture de retenue. Mais les mouvements militaires, diplomatiques et logistiques indiquent un soutien croissant à l’offensive israélienne.

Lorsque l’USS Nimitz, l’un des plus anciens porte-avions nucléaires américains encore en service, a soudainement changé de route en mer de Chine pour se diriger vers le Moyen-Orient, la manœuvre a été immédiatement interprétée comme un message politique. Prévu au Vietnam, l’arrêt du navire a été annulé pour une «exigence opérationnelle urgente», selon l’ambassade américaine à Hanoï. Dans les heures suivantes, près de 30 avions ravitailleurs américains traversaient l’Atlantique vers des bases militaires européennes.

Ces mouvements coïncident avec l’escalade militaire entre Israël et l’Iran, entrée dans sa cinquième journée. Depuis la nuit du 13 au 14 juin, l’aviation israélienne mène une série de frappes sans précédent sur des infrastructures militaires et nucléaires iraniennes. Téhéran réplique par des salves de missiles, certains visant Tel-Aviv et Jérusalem. Le bilan humain s’élève à plus de 400 morts en Iran, 24 en Israël.

Malgré les affirmations de neutralité, l’engagement américain se précise. Le secrétaire à la Défense Pete Hegseth parle d’un maintien de la paix par la force, et plusieurs responsables américains ont confirmé leur participation à l’interception des missiles lors des assauts iraniens.

Réunis à Ottawa, les dirigeants du G7 (le groupe des sept principales puissances économiques mondiales) ont signé un accord appelant à «la désescalade, tout en réaffirmant le droit d’Israël à se défendre et en soulignant qu’il est impératif que l’Iran ne se dote jamais de l’arme nucléaire». Selon Elena Aoun, professeure et chercheuse en relations internationales à l’UCLouvain, cette position revient à légitimer l’offensive : « Ils ont le feu vert du G7 . On voit des signaux. Même si ce conflit reste celui de Netanyahou, l’activité croissante des États-Unis et leur soutien explicite à Israël montrent que l’on est déjà bien au-delà d’un scénario hypothétique d’une implication directe. Donald Trump a appelé les Iraniens à évacuer Téhéran. Comment se fait-il qu’un président puisse demander à une capitale de se vider de ses dix millions d’habitants

Le chiffon rouge du nucléaire

Pour Elena Aoun, le récit nucléaire avancé par Tel-Aviv repose sur une mécanique bien rodée: «Cela fait des années que l’on agite le chiffon rouge du programme nucléaire iranien. On nous parle de « points de rupture » imminents, mais aucune échéance ne s’est jamais concrétisée. Ce que fait aujourd’hui Netanyahou, c’est saisir une opportunité pour remodeler l’équilibre régional. Et les Etats-Unis le suivent.»

La chercheuse se base notamment sur les constats de Rafael Grossi, directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Ce dernier confirme que l’Iran enrichit actuellement de l’uranium à 60%, un niveau «presque militaire» mais qui ne constitue pas en soi une preuve d’intention militaire. Selon le dernier rapport de l’agence, l’Iran dispose depuis mai 2025 d’environ 408,6 kg d’uranium enrichi à 60%, contre 274,8 kg en février.

Dans un rapport transmis à l’ONU, Rafael Grossi précise que le passage de 60% à 90%, seuil nécessaire à une bombe, nécessite «du temps, des équipements spécifiques extrêmement coûteux, et une décision politique claire».

Des informations des services de renseignements américains viennent compléter son affirmation et notent que la République islamique aurait encore besoin de trois ans pour en développer une. La chaîne d’informations américiane CNN a rapporté l’information, sur la base de quatre sources anonymes. Leur conclusion est que l’Iran ne chercherait pas à se doter d’une arme nucléaire.

Elena Aoun partage cette analyse: «On sait que l’Iran n’était pas sur le point de créer une telle arme. Ce que nous, chercheurs, nous observons, c’est qu’il y a une stratégie de renforcement, pas d’agression. A chaque attaque, l’Iran accélère son programme, non pas pour fabriquer une arme immédiatement, mais pour disposer d’une monnaie d’échange.»

La chercheuse évoque un scénario actuel anticipé, où les Etats-Unis étaient au courant de l’opération. «Quelques jours avant les premières frappes, les ambassades américaines ont commencé à réduire leurs personnels. On a vu de l’activité dans les bases américaines de la région. Ce genre de mouvement, pour nous chercheurs, annonçait déjà une action imminente. On a lu entre les lignes que les Américains avaient neutralisé certains leviers, pour préparer les frappes en Iran.»

Elena Aoun critique la méthode diplomatique américaine. «Il y a eu une division du travail. Les Etats-Unis ont entretenu l’illusion d’un dialogue sur le nucléaire, alors que dans leurs exigences, aucune concession n’était prévue. Ce n’était pas une négociation, c’était une impasse programmée. Les contours d’une implication militaire directe se dessinent. Soit les Israéliens poursuivent les bombardements de surface en espérant atteindre plus en profondeur. Soit les Américains prennent le relais avec leur propre armement. Dans les deux cas, l’objectif est de bombarder des structures nucléaires.»

Selon la chercheuse de l’UCLouvain, le soutien militaire des Etats-Unis à Israël ne peut être dissocié d’une stratégie plus large, marquée par des précédents historiques: «Si l’objectif final est d’aboutir à un changement de régime à Téhéran, l’issue pourrait être une déstabilisation de l’Iran à grande échelle, voire un effondrement de l’Etat. Des interventions similaires en Irak, en Libye ou en Afghanistan ont provoqué des centaines de milliers de morts, sans jamais réussir à imposer une alternative politique stable. Loin de pacifier la région, ces opérations ont souvent accentué l’instabilité, en nourrissant le chaos sécuritaire qu’elles prétendaient prévenir. Dans cette logique, la politique menée par les Etats-Unis et Israël contribuerait à entretenir les dynamiques de crise qu’ils affirment vouloir contenir.»

Fordo, le point de rupture

Le site de Fordo, à une centaine de kilomètres au sud de Téhéran, a été visé à deux reprises par l’aviation israélienne, les 13 et 16 juin. L’installation, creusée à flanc de montagne et protégée par des dizaines de mètres de roche, abrite plusieurs centaines de centrifugeuses destinées à l’enrichissement de l’uranium. Selon l’Agence internationale de l’énergie atomique, les frappes n’auraient pas endommagé les équipements sensibles, mais des explosions ont été signalées à proximité immédiate.

Un rapport du Congressional Research Service, une agence de recherche non partisane rattachée au Congrès américain, souligne que seule la bombe américaine GBU‑57, d’un poids de treize tonnes, est conçue pour percer ce type de structure. Elle ne peut être larguée que par un bombardier spécifique, que seul l’armée américaine détient. En l’état, Israël n’a donc pas la capacité technique de neutraliser le site de Fordo par voie aérienne.

La question d’une frappe américaine reste posée. Le nom de Fordo figure en tête de toutes les hypothèses sur une extension du conflit.

Israël n’en est pas à sa première opération contre des infrastructures nucléaires sensibles. En juin 1981, l’aviation israélienne avait mené l’opération Opera, détruisant le réacteur nucléaire irakien d’Osirak, près de Bagdad. Dix soldats irakiens et un civil français avaient été tués dans ce raid, vivement condamné à l’époque par la communauté internationale. En septembre 2007, c’est un réacteur syrien en construction à Deir ez-Zor qui a été visé dans l’opération Orchard. Le site sera confirmé par l’AIEA comme étant nucléaire. Plus récemment, des frappes israéliennes ont visé des sites stratégiques en Syrie, au Liban et en Irak, soupçonnés d’abriter des activités militaires ou technologiques liées à l’Iran.

Ces précédents montrent la capacité d’Israël à frapper au cœur de dispositifs sensibles, souvent avec le soutien discret des Etats-Unis. Mais aucune de ces opérations n’a requis une puissance de frappe équivalente à celle nécessaire contre Fordo. Cette cible particulière, par son emplacement et son blindage naturel, pourrait marquer un point de bascule. Sa destruction nécessiterait une implication militaire américaine explicite.

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