Inde Pakistan
Une des victimes de l’attentat de Pahalgam, le 22 avril, est transportée dans un hôpital de Srinagar: reflet du choc subi en Inde. © AFP via Getty Images

Conflit entre l’Inde et le Pakistan: «Le cessez-le-feu devrait tenir… jusqu’au prochain attentat»

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Difficile d’être optimiste sur la trêve entre l’Inde et le Pakistan «au vu des expériences passées», analyse Jean-Luc Racine, chercheur à l’Asia Centre. Les problèmes de fond restent pendants.

Il a surpris nombre d’observateurs. Mais il est respecté –du moins il l’était jusqu’en milieu de semaine–, le cessez-le-feu intervenu entre l’Inde et le Pakistan le samedi 10 mai, après un épisode de violences comme les deux pays n’en avaient plus connu depuis la guerre de 1999. «Il devrait tenir… jusqu’au prochain attentat», pronostique, guère optimiste «au vu des expériences passées», Jean-Luc Racine, directeur de recherche émérite au CNRS et chercheur senior au think tank Asia Centre.

Beaucoup d’inconnues demeurent, sur l’origine des affrontements, leur bilan, et sur les effets d’une médiation. C’est Donald Trump, sur son réseau Truth Social, qui a annoncé l’accord «après une longue nuit de discussions sous la médiation américaine». Le récit a été validé par la partie pakistanaise, mais pas du tout par son homologue indienne. New Delhi a assuré que les deux belligérants avaient conclu «directement» cette sortie de crise. Et a démenti les propos du secrétaire d’Etat américain, Marco Rubio, évoquant l’engagement de l’Inde et du Pakistan à «entamer des pourparlers sur un large éventail de questions dans un lieu neutre». Relancer une négociation sur la question du Cachemire satisferait les attentes du Pakistan, explique en substance Jean-Luc Racine, et mécontenterait l’Inde qui a d’ailleurs précisé que le cessez-le-feu n’ouvre pas la voie à une négociation sur ce dossier.

Des soldats indiens inspectent une voiture à Srinagar, le 11 mai: le conflit a cessé, la crainte demeure. © GETTY

Aucun intérêt politique à la guerre

Plus que dans d’éventuelles pressions des Etats-Unis, les raisons de l’entente sur une trêve sont à chercher dans les situations intérieures des deux pays. Le Pakistan connaît un contexte économique très difficile et ne survit que grâce à des prêts du Fonds monétaire international (FMI) et à des prêts ou à des dons de l’Arabie saoudite et des pays du Golfe. Des voix s’élevaient au sein de la république islamique pour estimer que ce n’était sans doute pas le meilleur moment pour engager les militaires dans une guerre totale avec l’Inde. Est-ce ce qui a guidé le chef d’état-major de l’armée, le général Asim Munir, l’homme fort du régime pakistanais?

Islamabad a en tout cas bataillé pour que New Delhi prouve la responsabilité des groupes cachemiris propakistanais dans l’attentat de Pahalgam où un groupe de touristes indiens a été délibérément ciblé par les terroristes. Les Pakistanais ont réclamé la création d’une commission d’enquête internationale indépendante sur la responsabilité de la tuerie, semblant vouloir donner du temps à l’analyse des événements et de la sorte retarder ou atténuer l’inévitable réplique indienne. Une demande rejetée par l’Inde.

Le Premier ministre Narendra Modi, de son côté, n’était pas dans une situation où il aurait eu intérêt à exploiter à tout crin un mouvement de patriotisme national face à l’ennemi ancestral. L’attentat du 14 février 2019 contre un convoi des forces centrales de réserve de la police (46 morts), autre moment d’exacerbation des tensions de la période contemporaine, avait, lui, donné lieu à ce type d’instrumentalisation, rappelle Jean-Luc Racine. «Narendra Modi avait fait de la réplique à l’attaque un argument de campagne en vue des élections législatives qui avaient lieu en avril et en mai. Cette année, c’est beaucoup plus ténu parce que l’échéance électorale qui s’annonce (NDLR: en octobre ou novembre 2025) est celle dans l’Etat du Bihar, dirigé par un allié du Parti indien du peuple (BJP) du Premier ministre, et que cette coalition ne semble pas menacée.»

«Dans le combat entre récits nationalistes, les deux parties se disent gagnantes, chacune face à son opinion et ses médias.»

Unité derrière le drapeau

Le conflit se résolvant par un règlement certes précaire mais relativement rapide, les conséquences pour les deux régimes demeurent incertaines. «Dans le combat entre récits nationalistes, les deux parties se disent gagnantes, chacune face à son opinion et à ses médias, souligne le chercheur au think tank Asia Centre. Côté pakistanais, il n’y a pas qu’Asim Munir. Si l’on y célèbre la vaillance des forces armées, le Premier ministre Shehbaz Sharif (NDLR: dont l’installation à la tête de l’exécutif fut discutée après la victoire des candidats de son principal adversaire, Imran Khan, Iors des élections législatives de février 2024) reste dans le jeu: l’opposition pakistanaise s’est ralliée au pouvoir et à l’armée pendant cette période de crise.»

Le même mouvement d’union derrière le drapeau a été observé en Inde au plus fort des tensions. Mais on peut se demander si à l’heure du bilan de la confrontation, l’unanimité prévaudra toujours quant à l’efficacité de l’action de Narendra Modi. Après tout, l’attentat de Pahalgam a mis en échec, même de manière éventuellement provisoire, la politique de normalisation du Cachemire indien du Premier ministre, censée être reflétée par le retour des touristes. La question, occultée pendant les affrontements, risque de revenir sur le devant du débat politique à New Delhi.

Négociations improbables sur le Cachemire

Il importera aussi d’analyser plus avant dans les prochains jours les modalités de l’accord de cessez-le-feu, et l’engagement, réel ou fantasmé, à une relance des discussions sur le Cachemire. Pour Jean-Luc Racine, c’est peu probable du fait même du gouffre entre les revendications des deux parties. «Elles n’ont jamais avancé. La position d’Islamabad est de continuer de réclamer un référendum comme le prévoient les résolutions des Nations unies des années 1940 et 1950, qui sont de fait restées lettre morte. Le général Pervez Musharraf, ordonnateur de la guerre de Kargil en 1999 alors qu’il était chef d’état-major de l’armée, avait eu cette phrase qui avait secoué le Pakistan un peu après être arrivé au pouvoir à la suite de son coup d’Etat (NDLR: il fut ensuite président élu de 2001 à 2008): « Nous pouvons peut-être mettre les résolutions de l’ONU de côté. » Ce discours n’a plus cours aujourd’hui. Il fut un temps, lors de périodes d’accalmie, où des responsables pouvaient se demander s’il ne serait pas opportun de transformer la ligne de contrôle entre les parties pakistanaise et indienne du Cachemire en frontière officielle. Ce discours ne peut plus avoir cours aujourd’hui. Un gouvernement qui le tiendrait, tant en Inde qu’au Pakistan, serait aussitôt accusé par son opposition d’avoir vendu la cause nationale ou celle des Cachemiris.»

Une confrontation a pris fin entre l’Inde et le Pakistan. Mais tous les mobiles qui y ont mené restent d’actualité.

G.P.

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