L’assouplissement du blocus israélien sous la pression américaine résonne comme un aveu de l’existence de la malnutrition et comme un échec de la stratégie du Premier ministre, de plus en plus sous la menace de l’extrême droite.
La guerre à Gaza a-t-elle connu un tournant déterminant? Tout a-t-il «basculé en 48 heures», comme l’affirme l’historien Vincent Lemire? Les revirements sont trop fréquents au Proche-Orient pour s’autoriser à le pronostiquer. Des événements majeurs ont cependant marqué la 94e semaine de conflit entre Israël et le Hamas.
D’abord, ce camouflet public infligé par Donald Trump à Benjamin Netanyahou sur l’existence d’une famine dans le territoire palestinien dévasté. Interrogé lors de son séjour au Royaume-Uni sur l’absence de problèmes de malnutrition au sein de la population gazaouie réaffirmée par le Premier ministre israélien dans une vidéo le 28 juillet, le président américain a expliqué ne pas être entièrement convaincu par ces propos. «Il s’agit d’une véritable famine, je le vois. On ne peut pas simuler cela. […] Je veux qu’il [Netanyahou] assure qu’ils [les Palestiniens] reçoivent de la nourriture.»
Ensuite, cette mise en cause du gouvernement et de l’armée par des associations israéliennes de renom, B’Tselem et Physicians for Human Rights Israël (PHRI), quant à la perpétration d’un génocide dans la bande de Gaza: «Israël mène des actions coordonnées pour intentionnellement détruire la société palestinienne à Gaza. En d’autres mots, Israël commet un génocide», concluent leurs rapports publiés le 28 juillet. Directeur de PHRI, Guy Shalev a expliqué dans une interview au Monde que trois des cinq actes constitutifs, selon les deux ONG, du crime de génocide avaient été identifiés dans les actions de Tsahal à Gaza: «Meurtres de membres du groupe, atteinte grave à leur intégrité physique ou mentale, soumission intentionnelle à des conditions d’existence menant à la destruction physique.» Une accusation que dément l’ensemble de la classe politique juive israélienne.
Vincent Lemire, sur les réseaux sociaux, ajoute à ces avertissements majeurs la lettre de cinq présidents d’universités israéliennes à Benjamin Netanyahou l’enjoignant de mettre fin à la famine à Gaza, l’appel à trois jours de grève générale lancé par les partis arabes israéliens pour les mêmes raisons, ou la tenue à New York de la conférence de l’ONU sur l’Etat palestinien, sous l’égide de la France et de l’Arabie saoudite.
«Cette politique a redonné à la majorité des pays de la planète une priorité: celle de mettre fin à la guerre.»
Distribution défaillante
La pression internationale, que ce soit à travers les critiques sur le blocage délibéré de l’aide alimentaire ou les promesses de reconnaissance de l’Etat palestinien, est montée indéniablement d’un cran ces dernières semaines, à mesure que l’utilisation par Israël de la faim comme arme de guerre révélait ses désastreux effets. Le 25 juillet, l’association Médecins sans frontières publiait un rapport indiquant que «25% des enfants âgés de 6 mois à 5 ans et des femmes enceintes et allaitantes examinés la semaine précédente dans ses installations à Gaza souffraient de malnutrition». Le 29 juillet encore, le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC), qui regroupe des ONG, des institutions régionales et des agences spécialisées de l’ONU avec pour objectif d’améliorer la prise de décision en matière d’assistance, a estimé que «le pire scénario de famine est en cours dans la bande de Gaza». «Les dernières données indiquent que les seuils de famine ont été atteints dans la majeure partie de la bande de Gaza. […] Une personne sur trois passe plusieurs jours sans manger», a détaillé l’IPC.
Du reste, la décision du gouvernement israélien le 26 juillet de desserrer le blocus humanitaire à Gaza (pauses temporaires des combats, couloirs d’acheminement supplémentaires, largages de vivres…) avant même la dénonciation publique de Donald Trump, apparaît en soi comme un aveu de la réalité du problème… nié par lui. Il y a bien des signes inquiétants de malnutrition dans le territoire palestinien du fait de la politique israélienne (selon l’OMS, 133 décès pour malnutrition, dont ceux de 87 enfants, depuis le 2 mars). Et le système mis en place depuis cette date, avec la Fondation humanitaire de Gaza comme maître d’œuvre en remplacement du réseau de l’ONU et des ONG, est largement défaillant (plus de 1.000 personnes ont été tuées et plus de 7.200 blessées en deux mois lors de distributions d’aide, principalement sur les sites de la Fondation, d’après le ministère palestinien de la Santé).

«Victoire plus improbable»
«La politique menée par Israël en ce qui concerne les aides n’a atteint aucun de ses objectifs depuis le mois de mars, analyse sur un plan plus stratégique Lazar Berman, le correspondant diplomatique du Times of Israël. Elle n’a pas amené le Hamas à accepter les propositions d’accord de cessez-le-feu, qui auraient ouvert la porte à la remise en liberté des otages, et elle n’a pas non plus rompu l’emprise du Hamas sur la population. […] En réalité, cette politique […] semble avoir rendu toute perspective de victoire encore plus improbable dans la mesure où elle a redonné à la majorité des pays de la planète une priorité: celle de l’urgence de mettre fin à la guerre, quel qu’en soit le prix, dans le but de mettre un terme définitif aux combats et à l’horreur de la faim.» Même guidée par l’objectif israélien d’éradication complète du Hamas, la politique de Benjamin Netanyahou serait donc contre-productive.
La pression des Etats-Unis, si elle se confirme après les propos de Donald Trump, convaincra-t-elle le chef du gouvernement israélien de changer sa stratégie à Gaza, de stabiliser la fourniture d’aide humanitaire au delà d’une simple «pause», voire de mettre fin au conflit? Tout aurait-il donc basculé en cette fin juillet? Rien n’est moins sûr. La conduite de la guerre est aussi suspendue au sort du gouvernement israélien. Or, la coalition qui le constitue est affaiblie depuis la mi-juillet par le retrait des deux partis ultraorthodoxes, le Judaïsme unifié de la Torah et le Shass, en représailles à un projet de loi réduisant les exemptions à l’obligation du service militaire pour les étudiants en yeshiva. La solidarité avec des militaires et des conscrits fortement sollicités depuis le 7 octobre justifie cette évolution. Mais les ultraorthodoxes tiennent à leurs privilèges malgré les circonstances exceptionnelles.
Dès lors, et malgré le fait que les deux formations religieuses aient décidé de ne pas faire tomber le gouvernement, la dépendance de celui-ci aux deux partis politiques d’extrême droite qui en font partie, Force juive d’Itamar Ben-Gvir et le Sionisme religieux de Bezalel Smotrich, s’est accrue alors même que l’assouplissement du blocus humanitaire va à l’encontre de leur projet pour Gaza. Pour le second, cette décision n’est qu’une «mesure tactique préalable à une campagne militaire plus large contre le Hamas». Si c’est le cas, le geste de Netanyahou aura été symbolique, sans effet durable pour la population gazaouie, et Donald Trump aura été une nouvelle fois dupé par son «grand ami» israélien.