
Fin de la guerre en Ukraine: comment Vladimir Poutine continue de berner Donald Trump

L’attaque meurtrière de Soumy situe les priorités de la Russie dans la guerre. Deux mois après leur début, les négociations sur la paix offrent un maigre bilan. Le président russe veut-il vraiment y œuvrer?
L’attaque la plus meurtrière qui ait frappé l’Ukraine depuis le début de 2025, à Soumy le 13 avril avec un bilan de 34 morts, questionne une nouvelle fois la volonté de Vladimir Poutine de parvenir à un cessez-le-feu et de conclure un accord pour une paix durable. Alors que l’administration américaine disait un temps espérer aboutir pour Pâques –catholiques et orthodoxes la célèbrent à la même date cette année, le 20 avril–, la tuerie des civils ukrainiens le dimanche des Rameaux ruine, s’ils existaient encore, les derniers espoirs de bénédiction pascale des négociateurs.
L’attaque sur la ville de l’est de l’Ukraine illustre en effet une recrudescence des violences infligées aux Ukrainiens. Rien que pour le mois de mars, 164 civils ont été tués et 910 blessés, soit une augmentation de 50% par rapport au mois précédent et de 71% comparé à mars 2024. Le 4 avril, un bombardement supplémentaire sur la ville natale du président Volodymyr Zelensky, Kryvyï Rih, a coûté la vie à 19 personnes, dont neuf enfants. C’est un quartier résidentiel, comprenant un espace récréatif pour les plus petits, qui a été visé.
«Trump voudrait être dans une relation de coopération positive avec Poutine, mais ce n’est pas du tout le calcul de Poutine.»
Des sous-munitions pour tuer
A Soumy, les Russes ont justifié le bombardement par la tenue d’une réunion de militaires dans le centre-ville. Les Ukrainiens ne la démentent pas, évoquant une cérémonie de remise de médailles tantôt prévue en plein air, tantôt annulée et organisée dans le sous-sol d’un bâtiment visé. Quelles que soient les circonstances, l’attaque n’échappe pas à la suspicion du crime de guerre puisque opérée dans un endroit à forte densité de population, elle ne pouvait pas éviter d’importantes pertes civiles. Le modus operandi accrédite même l’idée que là était l’objectif recherché. Un premier missile Iskander doté d’une charge explosive aurait d’abord touché un immeuble. Quelques minutes plus tard, un autre, pourvu d’une bombe à sous-munitions, aurait causé le plus grand nombre de victimes, dont des personnes venues porter secours aux premiers blessés. L’Iskander est un missile balistique sol-sol très rapide et difficile à intercepter. Même s’ils visaient des militaires, les Russes ne se sont pas attachés à minimiser le nombre de victimes civiles.
Le carnage de Soumy est survenu deux mois après le début officieux des pourparlers pour mettre fin à la guerre. Le 12 février, Donald Trump, à peine investi président des Etats-Unis, annonçait avoir eu un entretien téléphonique avec Vladimir Poutine, et décrétait que les négociations étaient ouvertes, à la stupéfaction des Ukrainiens et des Européens, non associés à la démarche. Le 18 février, le secrétaire d’Etat américain Marco Rubio rencontrait son homologue Sergueï Lavrov à Djeddah, en Arabie saoudite. Le 11 mars, c’était au tour des Ukrainiens de rendre visite aux médiateurs étatsuniens. Entre-temps, le 28 février, Volodymyr Zelensky avait été tancé de manière indigne par Donald Trump et le vice-président J.D. Vance dans le Bureau ovale de la Maison-Blanche. La réunion de Djeddah, avec le directeur du cabinet présidentiel Andriy Yermak en costume et cravate comme chef de la délégation ukrainienne, raccommodait pourtant la relation bilatérale. L’Ukraine se montrait même comme le bon élève de la négociation, acceptant le respect d’un cessez-le-feu pendant 30 jours. La Russie le rejetait. Le 19 mars, Kiev marquait son accord pour une trêve des bombardements des infrastructures énergétiques et civiles. Moscou en limitait le champ aux seuls sites énergétiques. Le 25 mars, les deux parties, cette fois-ci, s’entendaient sur un arrêt des hostilités en mer Noire.

Vladimir Poutine, un «ami» à ménager pour Trump
Mais globalement, les acquis de deux mois de négociation sont très maigres. Et la Russie de Vladimir Poutine n’est pas la plus encline à faire des concessions, même minimes, alors que la base de travail, telle que présentée par les Américains, lui est favorable de façon totalement inéquitable. A deux reprises, le président des Etats-Unis a haussé –légèrement– le ton face à son homologue russe: le 7 mars, «compte tenu du fait que la Russie pilonne actuellement l’Ukraine sur le champ de bataille», et le 30 mars, quand il s’est dit «saoulé» par l’attitude du président russe dans la négociation. L’irritation américaine n’a pourtant pas eu, à ce stade, de conséquences. La Russie a ainsi échappé à l’imposition de surtaxes douanières lors de la présentation de la première liste d’Etats ciblés.
Pire même, Donald Trump a minimisé la responsabilité, pourtant patente, de la Russie dans l’attaque de Soumy. Il se serait opposé à une déclaration du G7 la condamnant «pour préserver l’espace pour les pourparlers de paix». Et il a à nouveau entretenu la confusion sur la paternité de la guerre. Reportant principalement la faute sur la Russie, il a d’abord affirmé que «des millions de personnes sont mortes à cause de trois personnes, disons Poutine en premier, le deuxième est Biden, qui n’a pas compris ce qui se passait, et Zelensky». Puis il a quand même pointé la responsabilité du président ukrainien, en assénant que «vous ne commencez pas une guerre contre quelqu’un 20 fois plus grand que vous, en espérant que les gens vous livrent des missiles». Comment mener un combat digne pour la liberté de son pays quand on doit souffrir ce genre d’avanies de la part de son principal allié?
Un diplomate situe bien le dilemme des démocraties face au parti pris des Etats-Unis dans le dossier de la guerre russo-ukrainienne. «Il y a deux éléments [à prendre en considération pour tenter de comprendre la position américaine], avance Philippe Etienne, l’ambassadeur de France aux Etats-Unis de juillet 2019 à février 2023, interrogé sur LCI. Un élément un peu permanent du côté américain –je l’ai vu aussi sous l’administration démocrate–, le rêve de détacher stratégiquement la Russie de la Chine, […] comme à une époque plus ancienne, on voulait détacher la Chine de l’Union soviétique. C’est illusoire […]. La deuxième chose [est] plus spécifique au président Trump –John Bolton , son ancien conseiller à la Sécurité le disait. Il a cette vision que les rapports des Etats-Unis avec la Russie, ce sont les rapports qu’il a, lui, avec Poutine […]. Mais [la relation] avec Poutine, elle n’est pas symétrique […]. Trump voudrait être dans une relation de coopération positive avec Poutine, mais ce n’est pas du tout le calcul de Poutine.»
Le président russe, lui, n’est pas pressé de négocier, veut engranger un maximum de gains territoriaux et militaires pendant la médiation, et au terme de celle-ci, il entend bien concéder un minimum à la partie ukrainienne. Objectif a priori d’autant plus aisément atteignable que les conditions de départ de la négociation posées par les Etats-Unis sont peu contraignantes pour lui. Résultat: Donald Trump, qui veut en finir à n’importe quelles conditions avec ce conflit, est piégé, puisqu’une paix, acceptable pour l’Ukraine, ne figure pas à l’horizon géopolitique actuel.
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